Les étranges mégalithes de Veynes

Cédric Lepère et le plus grand monument. Dix menhirs, mais sans dôme.

Cédric Lepère et le plus grand monument. Dix menhirs, mais sans dôme. © Antoine Barles

Une fouille archéologique, achevée le 12 novembre à Veynes, a révélé un site mégalithique à la configuration inédite. Menée par la société Éveha, cette opération a d’abord livré des vestiges des époques néolithiques et de l’Âge du bronze avant que soient mises au jour ces intrigantes structures, associant pierres dressées, tumulus et crémations. Voici ce que nous raconte ce site.

Commençons par remonter le temps à petits pas. Il y a une quinzaine d’années, l’Établissement public foncier régional rachetait un pré de 2 hectares en contrebas du hameau de Saint-Marcellin. Mais c’est seulement il y a trois ans qu’un projet immobilier est décidé, menant à un diagnostic sur ce terrain connu pour receler des vestiges de différentes époques. En effet, en 2011, une première fouille préventive avait confirmé une occupation de l’Âge du bronze et du Néolithique final. De nouvelles opérations, confiées au bureau d’études archéologiques Éveha, sont alors programmées à partir de mars 2024, sous la direction de Cédric Lepère et Antoine Meiraud.

Le grand tumulus en forme de dôme couvrant des pierres dressées.

Le grand tumulus en forme de dôme couvrant des pierres dressées. © Éveha

Des vestiges attendus

Dans cet environnement ample et montagnard, on devine, à quelques centaines de mètres au sud, la ripisylve du petit-Buëch, serpentant sous le massif d’Oule, une large vallée, et au nord le plateau des Eygaux qui sépare les deux Buëch, d’où semble provenir ce « cône détritique » dont parle Cédric Lepère pour définir cet environnement fait des déversements de la montagne et de ruissellements à travers les âges. Des premiers coups de tractopelle ressortent, comme attendu, des artefacts de l’Âge du bronze moyen (1500-1000 avant notre ère) et du Néolithique final (vers 3300-3000 avant notre ère) dans la zone proche de la rivière. Des éléments presque familiers : des fosses et de la céramique pour l’Âge du bronze (somme assez anecdotique) ; et, pour le Néolithique final, des éclats de silex, des meules, des vases, des ensilages, des poteries, des pointes de flèches, du macro-outillage en grès, des fosses de calage à vases et de rejet, dont des fosses spécifiques en silo, et surtout, des foyers à pierres chauffées.

Plus de 300 foyers à pierres chauffées

Mais ces tas de pierres, tout juste incongrus à l’œil profane, et peut-être seulement sensibles à l’odeur de cendre qui en émane encore, sont plus de trois cents ! S’agissait-il de fours (mais très peu d’ossements d’animaux y ont été retrouvés) ou de séchoirs à peaux ou plantes ? Difficile à savoir pour le moment, même si ce type de foyer est assez commun, et ce même jusqu’à l’Âge du fer. En tout état de cause, cette zone sud indique une occupation agricole au Néolithique tardif, en périphérie d’un village. Repérée par ses trous de poteaux, qui vont en se densifiant vers le sud, la zone principale d’habitation devait donc se trouver, pour cette période, proche de la rivière, sous un secteur non fouillé.

Hedy Kernafi, grand monument type tumulus et pierres dressées.

Hedy Kernafi, grand monument type tumulus et pierres dressées. © Antoine Barles

« On retrouve là, en plein Néolithique moyen, il y a environ 6000 ans (3900 avant notre ère) les fameux foyers à pierres chauffées. Mais également, vers le nord-ouest, des structures beaucoup plus originales et monumentales. »

Des mégalithes néolithiques originaux

Mais le plus étonnant, découvert au nord-ouest, concerne une période encore plus ancienne : un « deuxième niveau stratigraphique du Néolithique, très rare » assure Cédric Lepère. Ce qui a motivé un prolongement d’un mois du chantier pour « découverte exceptionnelle » (en moyenne une vingtaine de classement par an, en France). On retrouve là, en plein Néolithique moyen, il y a environ 6000 ans (3900 avant notre ère) les fameux foyers à pierres chauffées. Mais également, vers le nord-ouest, des structures beaucoup plus originales et monumentales. Il ne s’agit pas ici d’un lieu du quotidien. Les spécialistes peinent d’ailleurs à rattacher ces structures à quoi que ce soit de connu. Sur les huit ensembles dégagés, on trouve beaucoup de choses différentes : des mégalithes qui pourraient être qualifiés d’ordinaires, dressés, solitaires. D’autres sont sur une sorte de pavement. Certains mesurent jusqu’à 1,60 mètre de haut, pesant plusieurs centaines de kilos…

L'un des mégalithes ''solitaires'' découvert lors des fouilles.

L'un des mégalithes ''solitaires'' découvert lors des fouilles. © Antoine Barles

Un lieu mémoriel ?

L’ensemble le plus impressionnant est un vaste polygone groupant pas moins de dix menhirs. Enfin, trois ensembles de pierres dressées sont les plus surprenants car recouverts d’un tumulus de terre et de pierres brûlées. Le plus grand mesure environ 6 mètre de diamètre et demeure, sans doute, le plus intéressant, puisque des rejets de crémation y ont été mis au jour, accompagnés d’un « petit fagot d’os » humains. Des cendres crématoires ont été identifiées, notamment dans un tumulus, au pied d’une « stèle », ainsi qualifiée par Cédric Lepère. Ces dépôts secondaires d’incinération confirment l’hypothèse de l’équipe, à savoir qu’il s’agit d’un lieu mémoriel, où ont été enfouis des restes après crémation. Les cendres devraient permettre, grâce au carbone 14 des charbons, une datation précise.

Mystérieux personnages « cornus »

Certaines stèles présentent, elles, des gravures aux personnages « cornus », finement piquetés sur les roches. Sans doute colorées autrefois, elles ne sont aujourd’hui bien visibles qu’à l’aide d’une lumière rasante. Si ces « cornus » rappellent les gravures du Mont-Bégo (Alpes-Maritimes), l’ensemble de ces structures étonne tant par les dimensions que pour l’âge supposé. Il y a bien « quelque ressemblance avec des sites de Montpellier ou de Clermont, mais ça reste exceptionnel pour cette taille, pour le Néolithique » note Cédric Lepère, qui ajoute que ce type de tumulus est connu comme sépulture, mais à l’Âge du bronze.

Gravure d'un être à corne, sur une stèle.

Gravure d'un être à corne, sur une stèle. © Éveha

Des hypothèses à confirmer

Résumons : pierres dressées, tumulus, gravures d’êtres à cornes, rejet de crémations humaines, on semble en présence d’une nécropole à la configuration rare, peut-être unique pour l’époque. Notons aussi que des vases ou encore une assiette à rebord associés au même niveau stratigraphique révèlent un style « chasséen » caractéristique. Des mois d’analyses vont certifier et affiner ces conclusions. Des tonnes de pierres ont été retirées du terrain avant que ne débutent les travaux d’aménagements. Mais pour avoir une idée précise des occupations et leur évolution, il faudrait fouiller les terrains environnants… ce qui n’est pas à l’ordre du jour !