Les femmes gauloises et celtiques : des femmes libres ! (1/6). Pour une archéologie des hommes et des femmes

Cratère de Vix. Détail de l’anse avec la face de la Gorgone, VIe siècle avant notre ère. Châtillon-sur-Seine, musée du Pays Châtillonnais - Trésor de Vix. © Grand-Palais RMN, Mathieu Rabeau
Et si Jules César n’avait pas envahi la Gaule ? Nos grands-mères et arrière-grands-mères n’auraient peut-être pas eu à se battre pour avoir le droit de vote ou celui de posséder un chéquier… Car des princesses celtes du premier Âge du fer aux Gauloises guerrières et cheffes de famille, la condition des femmes est alors à l’opposé du droit patriarcal romain qui triomphe après la Conquête. Ce dossier d’Archéologia met en lumière cette condition féminine oubliée du monde celte, longtemps ignorée aussi d’une archéologie essentiellement dominée par les hommes !
L’auteur de ce dossier est : Laurent Olivier, conservateur général des collections d’Archéologie celtique et gauloise au musée d’Archéologie nationale – Domaine national de Saint-Germain-en-Laye
Reconstruction faciale de Sextameta, jeune Gauloise sacrifiée du IIIe siècle avant notre ère et retrouvée dans un silo de Marsal en Moselle. Réalisation P. Froesch, Visual Forensic.
Si les femmes ont toujours constitué au moins 50 % de la population, cette moitié de l’humanité est demeurée longtemps la moins visible dans les recherches des archéologues, et son rôle sous-estimé. Une nouvelle donne se dessine aujourd’hui.
Lorsqu’on évoque la Préhistoire, par exemple, on pense spontanément aux « hommes préhistoriques » (qu’ils aient été chasseurs de mammouths, tailleurs de silex ou peintres des grottes) et on n’envisage guère leurs partenaires féminines, comme si, au fond, il n’y aurait pas grand-chose à en dire… Ainsi, quand il s’agit des périodes anciennes du passé, les femmes, en général, n’ont pas été considérées comme des actrices sociales ; autrement dit, des personnes qui auraient eu un rôle actif dans l’économie, la politique, les sciences ou les arts. C’est ce pouvoir qui, en revanche, a été naturellement attribué aux hommes.
« L’archéologie des Âges du fer reste encore dominée par une vision très “masculiniste” des sociétés celtique et gauloise. »
Prérogatives de genre ?
Mais est-ce vraiment le cas ? Et pourquoi a-t-on pensé ainsi ? Au début des années 1980, l’Américaine Joan Gero (1944-2016) jette un pavé dans la mare : elle montre que les recherches archéologiques sont alors essentiellement dirigées par des hommes ; tandis que le deuxième sexe est le plus souvent réduit à des tâches subalternes, au laboratoire ou dans les réserves des musées. La prétendue neutralité scientifique des recherches, soutient-elle, masque en réalité une version du passé envisagée du point de vue d’une société dans laquelle les femmes ne sont pas égales aux hommes.
Et chez nous ? Il faut avouer que ces idées ont mis du temps à cheminer en Europe. Néanmoins, elles ouvrent dorénavant un immense chantier, pour redonner aux actrices du passé la place qui leur revient. Cela ne concerne pas seulement les femmes du lointain passé, mais aussi celles dont les contributions, pourtant majeures, sont restées dans l’ombre au profit de leurs collègues masculins (qui, d’ailleurs, n’étaient pas nécessairement meilleurs qu’elles). En France, ce sont les préhistoriennes qui ont ouvert la voie, ces dix dernières années, avec les travaux de Claudine Cohen, Marylène Patou-Mathis ou encore Anne Augereau. Néanmoins, l’archéologie des Âges du fer reste encore dominée par une vision très « masculiniste » des sociétés celtique et gauloise, l’attention des chercheurs se concentrant sur ce qui est considéré comme étant la prérogative des hommes – à savoir le pouvoir et la guerre. Jusqu’à ce que les études d’ADN démontrent, en 2003, que le personnage enterré dans la tombe de Vix (Côte-d’Or) était bien une femme, nombre de spécialistes (masculins) étaient réticents à admettre qu’un tel pouvoir ait pu lui être confié. Certains avaient même imaginé qu’il s’agissait d’un homme travesti, puisque le squelette était paré de bijoux féminins. Et tout dernièrement, la découverte de Lavau a été présentée comme celle d’un « prince celte », alors que ses parures en or sont typiques des panoplies féminines de cette période.
La reconstitution (fantasmée) du visage de la « princesse gauloise » de Vix en 1953 : « 30 ans, des cheveux blonds, un diadème d’or, un collier d’ambre »… D’après Paris Match numéro 228 du 1er au 8 août 1953. © DR
Qui connaît Françoise Henry ?
Cette grande archéologue, formée par Henri Hubert (1872-1927), compagnon de route de l’anthropologue Marcel Mauss, a révolutionné l’étude de l’art celtique, en le rapprochant du mouvement de l’abstraction dans l’art contemporain. Au musée des Antiquités nationales, comme sur le terrain, en Bourgogne, elle a réalisé un travail visionnaire, en avance de plus de cinquante ans sur l’archéologie des Âges du bronze et du fer de son temps. Mais elle n’a pu trouver sa place en France et s’est établie à l’université de Dublin, où les Irlandais vénèrent aujourd’hui sa mémoire. Revenue en France à sa retraite, elle est morte dans l’indifférence générale du milieu scientifique national, qui l’avait oubliée.
Portrait à l’huile de Françoise Henry (1902‑1982). Dublin, collection particulière. © DR
Pour de nouvelles pistes
Il y a donc encore beaucoup de travail à accomplir pour sortir la Protohistoire française de cet héritage rétrograde, et en grande partie inconscient, malgré les efforts grandissants de nombreux archéologues. Il ne fait pas de doute que les transformations de l’opinion publique sur la condition féminine y contribueront, avec la féminisation croissante de la profession. Comme le rappelle Claudine Cohen, il ne s’agit pas d’inverser la tendance, en cherchant, dans un mouvement de réaction, « les preuves de la prééminence des femmes », mais plutôt d’identifier, au moyen d’une recherche rigoureuse, « les différents rôles qu’elles ont réellement assumés dans la Préhistoire et la manière dont les sociétés préhistoriques ont pu déterminer et vivre les différences entre les sexes ».
Ajoutons que cette entreprise concerne l’ensemble des scientifiques. « L’archéologie du genre » serait un échec si elle se construisait contre « l’archéologie des hommes », ou supposée telle. C’est toute la discipline qui doit s’ouvrir à une approche véritablement anthropologique du passé, comme le soutenaient déjà Henri Hubert et Marcel Mauss, en leur temps. Ce dossier propose quelques pistes, pour les périodes celtique et gauloise.
Sommaire
Les femmes gauloises et celtiques : des femmes libres !
1/6. Pour une archéologie des hommes et des femmes
2/6. Les princesses celtes (à venir)
3/6. Femmes sacrées et druidesses (à venir)
4/6. Dans la famille gauloise, des femmes émancipées (à venir)
5/6. De valeureuses guerrières (à venir)
6/6. La romanisation ou la fin d’une ère de liberté (à venir)