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Mars 2025 : les livres à ne pas manquer pour les amateurs d’archéologie

De la grotte du Portel dans les Pyrénées à la tombe du mystérieux cavalier de Notre-Dame, découvrez notre sélection de livres du mois.

« Une des grottes majeures de la Préhistoire occidentale »

La dernière monographie datait de… 1966 ! C’est peu dire que cet ouvrage était impatiemment attendu. Est enfin mise à la disposition des spécialistes comme du grand public la description complète et exhaustive des chefs-d’œuvre de cette grotte ariégeoise paléolithique, qui a toujours été fermée au public. Rencontre avec les auteurs.

La grotte ornée du Portel (Ariège, Pyrénées), 2024, Régis Vézian, Jean-Pierre Alzieu, Jean Vézian, Escourbiac, Auto‑édition, 304 p., 45 €

Quelle est la place de la grotte du Portel dans l’art paléolithique ?

C’est assurément une des grottes majeu­res de la Préhistoire occidentale. Elle a longtemps souffert d’un déficit d’image et de renommée du fait de la synthèse tardive de l’abbé Breuil, seulement publiée en 1955, par rapport à la découverte en 1908. Pour André Leroi-Gourhan, elle fut le révélateur de la disposition non aléatoire des images sur les parois, qui révolutionna les études sur l’art pariétal paléolithique. Notre ouvrage a pour objectif de montrer toute sa richesse et sa diversité, témoin d’une ornementation en deux phases bien distinctes (lors du Gravettien à plus 20 000 ans avant notre ère, puis plus récemment, au Magdalénien, entre 16 000 et 13 000 ans) avec leurs spécificités techniques et stylistiques.

Certains préhistoriens pensent que Néandertal a pu dessiner sur les parois des grottes. Or il est venu au Portel. Pensez-vous que certaines traces puissent lui être attribuées ?

Comme le suggèrent certains éléments mobiliers mis au jour près de l’entrée, Néandertal a longtemps occupé le porche du Portel-ouest, mais s’est aussi introduit dans le réseau souterrain de la grotte. À ce jour, aucune trace gravée ou peinte ne peut lui être raisonnablement attribuée. La réalisation future d’un large panel de datations sur les figurations du sanctuaire ancien pourrait permettre d’approfondir la réflexion.

Vous montrez que certaines parois sont badigeonnées de rouge, comme pour les signaler au visiteur. La décoration du Portel suit-elle un plan préconçu ? Peut-on imaginer que des cérémonies régulières s’y ­déroulaient ?

Le dispositif non figuratif est bien représenté au Portel ; il est ­complexe et dominé par des signes très ­majoritairement rouges, essentiellement à base d’hématite. Le sanctuaire ancien révèle le plus de diversité : il est marqué à ses deux extrémités, et de façon similaire, par un groupe de gros points rouges. Dans son entrée présumée se rencontrent aussi, sur plusieurs mètres, des zones portant de nombreuses traces rouges assez larges et irrégulières, évoquant l’apposition par la main de colorant, témoignant d’un rituel d’entrée analogue à celui de Cougnac (Lot). Les ponctuations isolées semblent associées à des panneaux figuratifs, qu’elles paraissent annoncer, souvent face à ceux-ci. En revanche, fort différentes sont les nappes diffuses et souvent étendues badigeonnant des stalagmites et des zones d’aspersion, fréquemment placées dans des alcôves – qui peuvent faire penser à des volontés de sacralisation de certaines zones jugées importantes et potentiellement lieux de regroupement ou de manifestations rituelles. Le dispositif du sanctuaire récent semble moins intense mais il est très varié. Deux portions de galeries interpellent avec l’application d’un large badigeon rouge puissant, depuis le sol jusqu’à 1 m de haut et sur plusieurs mètres de long, sous des ensembles figuratifs et participant manifestement à leur mise en scène ; ces zones bien accessibles correspondent à la logique dite de secteurs « publics », présentables à des groupes plus nombreux pour d’éventuels rites de célébration et/ou d’initiation. Leur association fréquente à une sonorité majorée des lieux renforce cette hypothèse. Propos recueillis par Romain Pigeaud

Qui est le mort de Notre-Dame ?

L’affaire avait fait grand bruit : un cercueil anépigraphe retrouvé lors des fouilles de l’Inrap après l’incendie de la cathédrale Notre-Dame de Paris en avril 2019, et la possible identification, révélée cinq ans plus tard, de ses restes comme étant ceux de Joachim Du Bellay ! La communauté scientifique, comme le grand public d’ailleurs, attendait avec impatience l’exposé de l’ensemble des arguments ayant mené à ce résultat retentissant. C’est maintenant chose faite dans ce volumineux ouvrage signé par celui qui a dirigé cette enquête bio-historique, le paléo-anthropologue Éric Crubézy. On y suit pas à pas les études qui ont pris place dans les locaux du centre hospitalier de Toulouse, et ont conduit à la mise en évidence de lésions pathologiques : des foyers infectieux au niveau des vertèbres et de l’intérieur de la cavité crânienne, des déformations ostéo-articulaires liées à la pratique de l’équitation, etc. On y découvre aussi les zones d’ombres dans la biographie des grands personnages de l’histoire de France, à commencer par cette figure de proue de la poésie de la Renaissance, Joachim Du Bellay : incertitude sur son lieu de naissance, son enfance, ses pérégrinations, sa date de décès, le déroulé de ses funérailles, l’emplacement de sa sépulture, etc. Dans cette enquête, qui se lit comme un roman policier, l’auteur ne cache pas les imprécisions quant à la datation des restes, à l’exploitation des données isotopiques, au caractère « mobile » des restes funéraires lors des réaménagements du sol de la cathédrale… et ce qu’il doit à Google pour trouver les sources archivistiques et littéraires des liens entre Du Bellay et ses contemporains (médecins, ecclésiastiques, témoins de son état de santé, etc.). Si l’identification du « cavalier de Notre-Dame » à Joachim Du Bellay reste encore une hypothèse, il faut avouer qu’Éric Crubézy apporte ici de nombreux arguments en faveur de celle-ci. Ce récit a aussi pour très net avantage de nous montrer les vicissitudes des recherches d’identification historique, aux confins des sciences fondamentales et humaines. Et puis, enfin, ne cachons pas notre plaisir, d’avoir, avec lui, « fait un beau voyage » au pays des morts… P. C.

Le cavalier de Notre-Dame. L’enquête, 2025, Éric Crubézy, préface de Dominique Garcia, Paris, Odile Jacob, 368 p., 24,90 €

Dans les fosses du franquisme

Si le 1er avril 1939, la guerre d’Espagne prend fin avec la victoire des troupes nationalistes conduites par le général Franco, le peuple n’en a pas fini avec la violence du régime totalitaire qui s’installe. Dès 1940, une politique de terreur s’abat sur les sympathisants républicains et des milliers d’hommes sont fusillés. Les corps, jetés dans des fosses communes, ne peuvent être récupérés par les familles afin de leur donner une sépulture, potentiel lieu de souvenir politique. Femmes et enfants subissent dès lors une double peine insupportable. Depuis 1976, et le retour de la démocratie, les descendants de défunts réclament l’ouverture des fosses. Ces pages, sensibles et passionnantes, racontent la quête de Pepica dont le père, José Celda, assassiné à 45 ans, a été jeté dans la fosse 216 du cimetière de Paterna. Grâce à une loi de 2007 (qui a donné lieu à de vifs débats tant le sujet est encore brûlant), les familles de toutes les victimes peuvent demander l’exhumation de leurs proches en mobilisant les compétences des archéologues. Beaucoup d’entre eux, souvent jeunes, s’engagent dans ce travail, conscients de son importance historique et émotionnelle. Outre le fait qu’il est souvent difficile d’identifier les défunts, la tâche se complexifie avec la disparation des derniers témoins de ces actes barbares et l’urbanisation galopante qui recouvre les potentiels lieux d’investigations. L’abîme de l’oubli sera sûrement un des grands albums de 2025, à la fois morceau de l’histoire de l’Espagne et cri d’amour d’une fillette à son père. Quand les archéologues travaillent sur les morts pour réparer les vivants. S. D.

L’abîme de l’oubli, 2025, dessin Paco Roca, scénario Rodrigo Terrasa, Paris, éditions Delcourt, 296 p., 29,95 €