Notre-Dame de Paris : dernières révélations

Fouille au CHU de Toulouse du sarcophage et du squelette de l’inconnu mis au jour dans la croisée du transept et attribué à Joachim Du Bellay par une étude. Son traitement funéraire indique un statut aristocratique (crâne scié, embaumement).

Fouille au CHU de Toulouse du sarcophage et du squelette de l’inconnu mis au jour dans la croisée du transept et attribué à Joachim Du Bellay par une étude. Son traitement funéraire indique un statut aristocratique (crâne scié, embaumement). © Denis Gliksman, Inrap

À quelques semaines de la réouverture de la cathédrale Notre-Dame de Paris, l’Inrap a dressé le 17 septembre dernier, lors d’une conférence de presse à l’Hôtel de l’Industrie, un premier bilan des fouilles réalisées au cours des quatre dernières années. Le chantier de reconstruction, qui a fait suite à l’incendie du 15 avril 2019, a offert une opportunité unique de récolter des données sur la cathédrale gothique et, au-delà, sur ce site emblématique de l’île de la Cité, centre névralgique de la Lutèce antique.

« En 14 opérations successives, au fil des avancées du chantier, nous avons fouillé 570 m2 d’une cathédrale qui s’étend sur 5 000 m2. Ce sont donc plus de 10 % des surfaces au sol qui ont pu être explorés, sans compter les interventions situées à l’extérieur », annonce Christophe Besnier, responsable scientifique d’opérations à l’Inrap. Un chiffre imposant, quand on sait que la connaissance du monument reposait jusqu’ici sur des découvertes fortuites liées aux travaux des XVIIIe et XIXe siècles et à quelques recherches de la Commission du Vieux Paris en 1983. « Nous avions par ailleurs des études des élévations et des textes médiévaux très lacunaires, poursuit l’archéologue. Un troisième jeu de sources s’ouvre donc ici : les archives du sol. Elles viennent documenter 2 000 ans d’une histoire ininterrompue, sous la cathédrale et sur son pourtour. »

De Lutèce à Notre-Dame

Les niveaux d’occupation les plus anciens mis au jour remontent à la fin du Ier siècle avant notre ère jusqu’au Ier siècle de notre ère, soit la période méconnue de la naissance de Lutèce. D’autres vestiges (bâtiments et aménagements des berges) s’étendent du Bas-Empire romain aux périodes mérovingienne, carolingienne puis romane. Complétés par les séquences sédimentaires retrouvées, ils permettront de documenter l’histoire de la morphologie de l’île comme de son occupation. Sous la cathédrale elle-même, les archéologues ont retrouvé un vaste édifice roman, déjà identifié en 1983, et antérieur donc à l’église gothique. Ils ont aussi, pour la première fois, pu approcher ses fondations, et observer des niveaux marqués de nombreux déchets de taille de pierre. « Nous rentrons ici dans l’intimité du chantier de construction de Notre-Dame », commente Christophe Besnier.

Éléments d’architecture et de statuaire du jubé en cours de fouille.

Éléments d’architecture et de statuaire du jubé en cours de fouille. © Denis Gliksman, Inrap

Le jubé polychrome

La conférence de presse est également revenue sur les deux découvertes majeures, réalisées à la croisée du transept en 2022 : les vestiges du jubé médiéval et deux sarcophages anthropomorphes en plomb, l’un identifié comme celui du chanoine Antoine de La Porte, l’autre anonyme. Quelque 1 000 fragments du jubé qui, du XIIIe au XVIIIe siècle, séparait le chœur de la nef, ont été exhumés. Plus de 700 avaient conservé leur polychromie d’origine, qui a fait l’objet d’un premier traitement destiné à stabiliser et fixer les peintures. L’étude de l’ensemble des pièces vise la connaissance à la fois de son style et de son décor, mais également de ses techniques de construction et de sa destruction, pour aboutir in fine à un remontage numérique. Plusieurs vestiges seront présentés au public dès la mi-novembre au musée de Cluny dans le cadre de l’exposition « Faire parler les pierres. Sculptures médiévales de Notre-Dame ».

La dépouille de Joachim Du Bellay ?

Quant au défunt anonyme, il pourrait, selon Éric Crubézy, professeur d’anthropobiologie à l’université Paul Sabatier de Toulouse, n’être autre que le fameux poète Joachim Du Bellay, mort en 1560 et dont on sait qu’il a été inhumé à Notre-Dame : les connaissances rassemblées sur sa vie et sa mort semblent correspondre au sujet d’environ 35 ans, atteint d’une tuberculose osseuse et décédé d’une méningite, présent dans le sarcophage. Christophe Besnier invite néanmoins à la prudence : le faisceau d’indices relevés n’a pas valeur de preuve et certaines analyses, notamment sur les isotopes des dents, doivent d’abord être menées à bien.

Les cercueils en plomb de la crypte Soufflot.

Les cercueils en plomb de la crypte Soufflot. © Christophe Besnier, Inrap

L’occupation funéraire de la cathédrale

Dans cet édifice qui a eu une vocation funéraire du XIVe au XVIIIe siècle, les fouilles ont livré, sur cinq secteurs distincts, plus d’une centaine de sépultures. Quatre-vingts ont été fouillées et entièrement prélevées. Les premières analyses montrent des inhumations en cercueils en bois (placés pour un tiers d’entre eux dans des cuves maçonnées en plâtre), toujours en linceuls, avec une orientation de la tête vers l’est ou l’ouest, et des réutilisations successives des fosses. La population est adulte (un seul est âgé entre 15 et 19 ans), âgée (les pathologies liées à la sénescence sont nombreuses) et masculine (à une seule exception près). « Ces résultats correspondent à la population attendue ici, composée en partie des chanoines de la cathédrale », précise Camille Colonna, archéo-anthropologue qui a supervisé cette partie des recherches. « Les prélèvements réalisés pour des datations au carbone 14, des analyses isotopiques et ADN permettront d’appréhender ces défunts dans leur ensemble et de retracer l’évolution de l’occupation funéraire dans la cathédrale. » Notre-Dame n’a pas fini de nous raconter son histoire…