Pour une archéologie de la Seconde Guerre mondiale (4/5). Le mur de l’Atlantique révélé par l’archéologie
Il y a près de 80 ans, les Alliés débarquaient sur les plages normandes. La Seconde Guerre mondiale toucherait à sa fin quelques mois plus tard. Déferlant sur le territoire national, aussi bien sur terre que sur mer, elle a durablement marqué notre paysage et notre mémoire. Depuis 10 ans à peine, l’archéologie s’emploie à en découvrir les traces, alors que ses témoignages matériels, comme humains d’ailleurs, s’effacent lentement. Dans ce dossier, Archéologia vous dresse un bilan de cette décennie de recherches pas comme les autres.
Les auteurs du dossier sont : Juliette Brangé, archéologue territoriale, Archéologie Alsace, doctorante, UR ARCHE 3400 ; Alexandre Bolly, archéologue territorial, Archéologie Alsace ; Vincent Carpentier, ingénieur chargé de recherches à l’Inrap, CRAHAM-Centre Michel de Boüard, UMR 6273 ; Cécile Sauvage, archéologue et conservatrice du patrimoine au Département des recherches archéologiques subaquatiques et sous-marines (Drassm) ; Benoît Labbey, Inrap Grand-Ouest, Laboratoire HisTeMé, EA 7455 ; Michaël Landolt, ingénieur d’études, Drac Grand Est / SRA Metz ; Antoine Le Boulaire, Inrap Grand-Ouest, UMR 6566 CReAAh
Ensemble architectural monumental s’étirant du nord de la Norvège jusqu’à la frontière espagnole, le mur de l’Atlantique incarne encore de nos jours l’élément symbolique d’une mémoire matérielle héritée de la Seconde Guerre mondiale. Longtemps déconsidérés et perçus de manière négative, ces vestiges ont progressivement investi le champ patrimonial jusqu’à devenir un objet d’étude archéologique à part entière.
La décision de construire un mur défensif le long du littoral européen ne fut pas prise immédiatement. De l’été 1940 à la fin de l’année 1941, la stratégie de l’Allemagne se veut offensive notamment vis-à-vis de l’Angleterre (opération Seelöwe), mais aussi en direction de la Méditerranée (opérations Félix, Isabella et Attila) afin de contrôler les routes maritimes et d’empêcher un éventuel débarquement.
Naissance de la « Forteresse Europe »
Jusqu’à la fin de l’année 1941, la défense du front ouest consiste surtout en la protection des grands ports par la Kriegsmarine avec notamment la construction de vastes abris pour sous-marins (Brest, Lorient, Saint-Nazaire puis La Pallice et Bordeaux). La poursuite des combats sur le front russe et l’entrée en guerre des États-Unis d’Amérique à la fin de l’année 1941 marquent alors un tournant dans le conflit. En décembre, le projet de construction d’une fortification le long des côtes européennes est établi, puis à partir de mars 1942, plusieurs directives viennent en préciser le schéma et aboutissent à proclamer officiellement le 25 août l’ordre de construction du mur de l’Atlantique.
Un patrimoine longtemps déconsidéré
À la sortie du conflit, ces ouvrages font l’objet d’une récupération quasi systématique afin d’en extraire matériaux et équipements. Si la question de leur réutilisation a, un temps, été envisagée par les autorités, elle est rapidement balayée et ces édifices tombent dans l’oubli au point de progressivement disparaître au gré des aménagements urbains ou de l’érosion littorale. Il faut attendre les dernières décennies du XXe siècle pour que soient réalisés les premiers travaux de recensement à caractère patrimonial qui conduiront à la labellisation ou au classement au titre des Monuments historiques de plusieurs sites emblématiques. Leur intégration dans le champ de l’archéologie est intervenue plus tardivement et de façon disparate d’une région à l’autre. Cette évolution s’est traduite notamment par l’inscription, en 2014, de l’archéologie des conflits récents dans la programmation nationale de la recherche archéologique. Si l’étude de ces vestiges s’attache à compléter les premiers inventaires et à établir un bilan sanitaire des ouvrages, les interventions archéologiques permettent également d’affiner nos connaissances sur les positions étudiées et d’identifier des vestiges enfouis alors inconnus de la documentation historique. En Normandie, région pilote, ces travaux ont montré que les sites du mur de l’Atlantique pouvaient parfois largement s’écarter des standards imposés par l’Organisation Todt (groupe de génie civil et militaire du IIIe Reich). Contrairement aux habituelles constructions bétonnées, des abris découverts près de Caen étaient simplement maçonnés en pierres calcaires. Ce matériau et la technique de construction mise en œuvre viennent ainsi bousculer et nuancer l’image d’un Atlantikwall infranchissable vanté par la propagande nazie. En Pays de la Loire, ces travaux intéressent la région de Saint-Nazaire par l’étude des positions défensives, de batteries d’artillerie ou de stations de détection aérienne destinées à la protection de l’estuaire de la Loire. L’approche archéologique a aussi conduit à s’interroger sur la violence du conflit, que ce soit sur la ligne de front de la poche de Saint-Nazaire ou au cœur même du quartier historique de la ville, en mettant en exergue les effets de la guerre et de la reconstruction (qui ont conduit à un long processus d’effacement de nombreux blockhaus).
Les recherches archéologiques viennent parfois bousculer et nuancer l’image d’un Atlantikwall infranchissable vanté par la propagande nazie.
Dépasser l’horizon du mur de l’Atlantique
L’étude du mur de l’Atlantique ne saurait toutefois se limiter aux seuls sites littoraux et implique la prise en compte des installations implantées à l’intérieur des terres. Les bunkers encore visibles aujourd’hui en front de mer ne sont que la partie émergée d’un colossal programme d’occupation du territoire qui nécessitait un vaste réseau d’infrastructures (camps, carrières, installations de transport) et de sites logistiques indispensables à son fonctionnement (postes de commandement, stations d’émission d’ondes radioélectriques, dépôts de munitions…). Lourd héritage de notre histoire nationale, ces vestiges ont par ailleurs été étroitement liés à la construction d’une mémoire négative. Toutefois, et au même titre que les ouvrages de la ligne Maginot, ces constructions n’en demeurent pas moins les témoins essentiels du dernier conflit mondial autour duquel l’examen archéologique permet, par une approche scientifique et dépassionnée, d’en saisir toute la complexité.
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Pour une archéologie de la Seconde Guerre mondiale