Quoi de neuf sur les Phéniciens (1/7) ? Qui étaient les Phéniciens ?

Sarcophage d’Eshmunazor II, roi de Sidon (détail). Vers 480 avant notre ère. Provenance : nécropole de Magharat Tablun (caverne d’Apollon), Sidon (Liban). Hauteur 2,56 m, largeur 0,93 m. Paris, musée du Louvre.

Sarcophage d’Eshmunazor II, roi de Sidon (détail). Vers 480 avant notre ère. Provenance : nécropole de Magharat Tablun (caverne d’Apollon), Sidon (Liban). Hauteur 2,56 m, largeur 0,93 m. Paris, musée du Louvre. © RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Franck Raux

Sur la côte levantine naquit, au IIe millénaire avant une ère, une brillante civilisation qui allait essaimer tout le long des rivages de la Méditerranée au cours du millénaire suivant. Ces Phéniciens, comme les Grecs les appelèrent plus tard, furent découverts très tôt par l’archéologie. Par de nombreux aspects tout à fait fascinants, ils conservent néanmoins toujours une part d’ombre et de légendes. Archéologia vous propose un grand dossier de synthèse sur le sujet, à la lumière des dernières découvertes et études.

Les auteurs du dossier sont : Françoise Briquel Chatonnet (auteur et coordinatrice du dossier), directrice de recherche au CNRS, UMR 8167 Orient et Méditerranée, Mondes sémitiques ; Annie Caubet, conservatrice générale honoraire du musée du Louvre ; Éric Gubel, directeur honoraire des Antiquités des Musées royaux d’art et d’histoire à Bruxelles ; Robert Hawley, directeur d’études à l’École Pratique des Hautes Études ; Hélène Le Meaux, conservatrice au département des Antiquités orientales du musée du Louvre ; Stevens Bernardin, Sorbonne-Université – UMR 8167 Orient et Méditerranée

Carte des principaux sites mentionnés dans cet article.

Carte des principaux sites mentionnés dans cet article. © Éditions Faton

On appelle conventionnellement « Phéniciens » les habitants de la côte orientale de la Méditerranée au Ier millénaire avant notre ère, particulièrement dans la région qui va de Tartous au nord à Akko au sud. Mais aussi bien le nom que le cadre chronologique et géographique posent question.

Le nom de Phéniciens a été donné à cette population par les Grecs, qui les ont aussi appelés « Sidoniens », par synecdoque, généralisant cette appellation particulière. C’est donc un nom qui apparaît dans les poèmes homériques mais qui n’a jamais été employé par les Phéniciens eux-mêmes. Dans leurs inscriptions, ceux-ci se disent Tyriens, Sidoniens, Giblites ou Arwadites, par exemple, selon la ville à laquelle ils appartenaient. Ils n’emploient jamais de nom général. On affirme souvent qu’ils devaient se définir comme Cananéens, une ethnie que l’on trouve dans diverses sources, notamment dans la Bible, et sur des monnaies phéniciennes tardives. Mais dans la Bible, il est clair que les Cananéens sont des habitants de la côte sud du Levant bien au-delà de la région que l’on définit généralement comme phénicienne. Et Canaan ne dépassait pas le Nahr el-Kebir du Nord, fleuve qui marque la frontière entre le Liban et la Syrie actuellement, alors qu’Amrit, Simirra, Arwad ou Usnu, plus au nord, sont des villes phéniciennes.

Carte des principaux sites mentionnés dans cet article.

Carte des principaux sites mentionnés dans cet article. © Éditions Faton

Une chronologie élargie

La deuxième question est celle du cadre chronologique : on parle généralement de Phéniciens à partir de l’âge du Fer, donc à l’extrême fin du IIe millénaire et plus généralement à partir du début du Ier millénaire avant notre ère. Cela correspond d’une part, nous l’avons vu, à l’usage de ce nom dans les sources grecques et, d’autre part, à l’apparition d’inscriptions en langue phénicienne avec la diffusion de l’alphabet sémitique. C’est donc à partir du Xe siècle que l’on a des inscriptions dans lesquelles des Phéniciens écrivent dans leur propre langue. Mais les ouvrages sur les Phéniciens donnent parfois l’impression que ces derniers sont une nouvelle population qui émerge sur la côte à l’âge du Fer ; or tout prouve au contraire la continuité avec le IIe millénaire avant notre ère. S’ils n’avaient pas d’écriture propre, les habitants de la côte écrivaient au IIe millénaire en utilisant langue et écriture des autres : dans la nécropole royale de Byblos du début du IIe millénaire (XIXe siècle avant notre ère), on a trouvé des bijoux comportant les noms, écrits en hiéroglyphes égyptiens, des rois Abu-Shemi et Ip-Shemu-abi. Ces anthroponymes sont de type phénicien et font sens en langue phénicienne, une langue sémitique de l’ouest très proche de l’hébreu. Parmi les lettres trouvées à El Amarna, envoyées aux pharaons Amenhotep III et Akhenaton, certaines émanent de rois de la côte, soumis à l’Égypte, notamment celles de Rib-addi, roi de Byblos. Elles sont écrites en babylonien et en écriture cunéiforme logo-syllabique, qui avaient un rôle international à l’époque, mais les quelques fautes que l’on repère montrent que la langue maternelle des scribes dans la région était déjà de type phénicien. La même continuité se repère dans l’art et dans la religion. Enfin, les mêmes lettres d’El Amarna montrent que la côte phénicienne était politiquement formée de villes indépendantes les unes des autres et parfois ennemies, ayant pour la plupart (sauf Arwad) à leur tête un roi, comme c’est encore le cas à l’époque « phénicienne ». Les bouleversements de la fin de l’âge du Bronze ont vu la fin de l’empire hittite, le retrait de l’Égypte sur la vallée du Nil et l’arrivée d’une nouvelle population au Levant Sud, notamment les Philistins. Mais les cités de la côte, si elles ont pu être ravagées, semblent ne pas avoir connu de rupture dans leur peuplement ou leur culture. 

Sarcophage d’Eshmunazor II, roi de Sidon. Vers 480 avant notre ère. Provenance : nécropole de Magharat Tablun (caverne d’Apollon), Sidon (Liban). Hauteur 2,56 m, largeur 0,93 m. Paris, musée du Louvre.

Sarcophage d’Eshmunazor II, roi de Sidon. Vers 480 avant notre ère. Provenance : nécropole de Magharat Tablun (caverne d’Apollon), Sidon (Liban). Hauteur 2,56 m, largeur 0,93 m. Paris, musée du Louvre. © RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Franck Raux

Les bouleversements du Ier millénaire avant notre ère

Ce qui est nouveau au début du Ier millénaire avant notre ère est, qu’après le retrait de l’Égypte, les populations de la région font l’expérience de l’indépendance par rapport aux empires, avant de subir peu à peu, à partir du IXe siècle, la pression de l’empire assyrien. Si elles ne sont pas annexées par les souverains assyriens, contrairement aux royaumes araméens et à celui d’Israël, et conservent leur propre roi, elles doivent verser un lourd tribut annuel, accepter la présence de dignitaires assyriens et mettre leur flotte au service du roi d’Assyrie quand il souhaite envahir Chypre. Cette pression a pu jouer un rôle dans l’expansion en Méditerranée, en donnant un rôle essentiel aux Phéniciens comme interface dans les échanges entre la Mésopotamie et le monde méditerranéen. Après la disparition de l’empire assyrien, puis de l’empire néobabylonien qui avait pris sa suite, la côte phénicienne appartient à l’empire perse, même si les cités continuent à être régies chacune par son propre roi. L’inscription funéraire d’Eshmunazor II de Sidon, sur le sarcophage conservé au Louvre, précise qu’il est roi, fils et petit-fils de rois, mais mentionne aussi un « seigneur des rois », l’empereur perse, auquel il a prêté main-forte, sans doute en mettant sa flotte à son service, et qui le récompense par le don de Dor et de la plaine du Sharon. Après la conquête d’Alexandre, la royauté disparaît en Phénicie. Les villes sont intégrées au système politique des royaumes hellénistiques. La côte phénicienne appartient au IIe siècle avant notre ère au royaume égyptien des Ptolémées puis, à partir du IIe siècle, à celui des Séleucides de Syrie. La culture grecque se répand particulièrement dans les villes, et langue et écriture phéniciennes disparaissent à la veille de la conquête romaine.