Quoi de neuf sur les Phéniciens (2/7) ? La redécouverte des terres phéniciennes

Au cours du XIXe siècle, plusieurs découvertes fortuites dans la périphérie de la ville de Saïda ont localisé des hypogées souterrains que les fouilles ottomanes ont permis d’attribuer à la royauté et à la haute aristocratie sidonienne de l’époque perse. Beyrouth, musée national.

Au cours du XIXe siècle, plusieurs découvertes fortuites dans la périphérie de la ville de Saïda ont localisé des hypogées souterrains que les fouilles ottomanes ont permis d’attribuer à la royauté et à la haute aristocratie sidonienne de l’époque perse. Beyrouth, musée national. © Philippe Maillard /akg-images

Sur la côte levantine naquit, au IIe millénaire avant une ère, une brillante civilisation qui allait essaimer tout le long des rivages de la Méditerranée au cours du millénaire suivant. Ces Phéniciens, comme les Grecs les appelèrent plus tard, furent découverts très tôt par l’archéologie. Par de nombreux aspects tout à fait fascinants, ils conservent néanmoins toujours une part d’ombre et de légendes. Archéologia vous propose un grand dossier de synthèse sur le sujet, à la lumière des dernières découvertes et études.

Les auteurs du dossier sont : Françoise Briquel Chatonnet (auteur et coordinatrice du dossier), directrice de recherche au CNRS, UMR 8167 Orient et Méditerranée, Mondes sémitiques ; Annie Caubet, conservatrice générale honoraire du musée du Louvre ; Éric Gubel, directeur honoraire des Antiquités des Musées royaux d’art et d’histoire à Bruxelles ; Robert Hawley, directeur d’études à l’École Pratique des Hautes Études ; Hélène Le Meaux, conservatrice au département des Antiquités orientales du musée du Louvre ; Stevens Bernardin, Sorbonne-Université – UMR 8167 Orient et Méditerranée

Sarcophage d’Ahiram. XIIIe siècle avant notre ère. Calcaire et restes de peintures rouges. Hauteur 1,40 m, longueur 2,97 m. Provenance : nécropole royale, tombe V, Byblos (Liban). Beyrouth, musée national.

Sarcophage d’Ahiram. XIIIe siècle avant notre ère. Calcaire et restes de peintures rouges. Hauteur 1,40 m, longueur 2,97 m. Provenance : nécropole royale, tombe V, Byblos (Liban). Beyrouth, musée national. © Philippe Maillard / akg-images

La trouvaille fortuite d’un sarcophage phénicien par Aimé Napoléon Péretié, dans les jardins de Saïda (Sidon), en 1844, inaugura la redécouverte des terres phéniciennes, décrites auparavant par des voyageurs depuis le XIIe siècle. Dès lors, la chasse aux antiquités était ouverte ; elle permit toutefois progressivement d’identifier des sites majeurs et aboutit, dans la seconde moitié du XXe siècle, à des fouilles scientifiques et internationales.

Drogman (interprète) du consulat français de Beyrouth, Péretié se manifeste bientôt comme pourvoyeur des premiers collectionneurs d’antiquités phéniciennes, dont le duc Honoré d’Albert de Luynes, le marquis Melchior de Vogué et Louis de Clercq. Fort d’un réseau de rabatteurs, il est aussi le premier à reconnaître l’importance historique de sites comme Byblos ou Amrit, et des alentours de cette dernière plus au nord. Il poursuit ses excavations à Sidon, où Alphonse Durighello, vice-consul de France (auquel Félicien de Saulcy acheta plusieurs antiquités sidoniennes) met au jour le sarcophage royal d’Eshmunazor II en janvier 1855 (visuel page précédente). Découvreur du temple d’Eshmun au nord de la ville, Alphonse seconde le docteur Gaillardot, fidèle assistant d’Ernest Renan, lors de ses fouilles dans le cadre de sa mission en Phénicie, et vend deux couvercles de sarcophages à Auguste Parent. Cet industriel belge réside alors à Saïda où la collection de la famille des consuls Abéla comporte plusieurs antiquités phéniciennes (comme celle des Farah à Tyr).

Restés à l’abandon jusqu’à l’époque ottomane, plusieurs sites phéniciens ont été explorés avant d’être examinés par les archéologues. Ainsi, Tyr et son environnement ont livré un bon nombre de trônes votifs flanqués de sphinx ailés répartis dans plusieurs collections muséales et privées à travers le monde. Beyrouth, musée national.

Restés à l’abandon jusqu’à l’époque ottomane, plusieurs sites phéniciens ont été explorés avant d’être examinés par les archéologues. Ainsi, Tyr et son environnement ont livré un bon nombre de trônes votifs flanqués de sphinx ailés répartis dans plusieurs collections muséales et privées à travers le monde. Beyrouth, musée national. © Philippe Maillard / akg-images

Une moisson de découvertes

Les fils d’Alphonse, Edmond et Joseph-Ange Durighello, poursuivent ses activités ; le premier est surtout connu pour la découverte d’un mithraeum (1882), temple dédié à Mithra, mais moins pour ses fouilles à Akhziv, importante nécropole phénicienne de l’aube du Ier millénaire avant notre ère. Le musée du Louvre conserve plusieurs antiquités sidoniennes de Joseph-Ange qui est en contact avec l’orientaliste Charles Clermont-Ganneau. En 1887, année de la découverte du sarcophage du roi Tabnit par le missionnaire américain Eddy, Osman Hamdy Bey fouille la nécropole royale d’Ayaa et son successeur Théodore Macridy Bey investigue le temple d’Eshmun et la nécropole de Rachidié au sud de Tyr. Georges Contenau reprend les activités archéologiques à Sidon en 1914 et 1920, dont le matériel est mis en dépôt à Beyrouth avec d’autres collections préfigurant celles du musée national. En 1924, Maurice Dunand mène les fouilles du temple d’Eshmun puis y retourne de 1963 à 1978. Dès la même année jusqu’en 1975, on le retrouve à Byblos, à la suite des sondages d’Ernest Renan qui ont livré un bout de la stèle du roi Yehawmilk et mis au jour la tombe d’Ahiram lors des fouilles de Pierre Montet (1921-1924). Bien que des découvertes fortuites dans l’arrière-pays signalent la présence de vestiges phéniciens, les couches archéologiques attestant la présence de ces populations avant l’époque hellénistique à Tyr restent largement inexplorées – comme ailleurs au Liban.

Jamais peut-être on ne vit mieux combien la petite curiosité de l’amateur est ennemie de la grande curiosité du savant.
Ernest Renan, 1864

Les fouilles scientifiques de la seconde moitié du XXe siècle

Depuis 1868, les collections les plus importantes d’antiquités phéniciennes se sont accumulées dans ce qui est actuellement le musée archéologique de l’université américaine de Beyrouth (AUB) et, dès 1942, au musée national, comme dans les dépôts gérés par la Direction Générale des Antiquités (DGA). On y retrouve une généreuse sélection de pièces provenant des fouilles désormais dirigées, sous son égide, par des équipes libanaises et internationales. En dépit d’une instabilité politique culminant avec la guerre civile de 1975 à 1990, plusieurs opérations de la DGA dégagent une nécropole importante de l’âge du Fer à Khaldé (1961-1962), un centre administratif d’époque perse doté d’archives ainsi qu’une première séquence céramologique à Tyr, couvrant les étapes de son histoire de sa fondation à l’époque des Croisés (1973-1974). Les fouilles américaines de Sarepta (1969-1974) localisent un petit sanctuaire phénicien avec dépôt d’offrandes, inscriptions ainsi qu’une manufacture unique de poterie avec 24 fours et des ateliers de métallurgie. À Tell Arqa, au nord, une mission française repère un sanctuaire phénicien lors des premières années de guerre. Entre 1993 et 1997, des dizaines de chantiers ouverts dans le centre-ville de Beyrouth révèlent un matériel d’une quantité à peine imaginable dont l’étude suit son cours. En 1996, un projet suisse entreprend l’étude et la publication du sanctuaire d’Eshmun et, deux ans plus tard, la mission allemande de Kamid el-Loz publie le matériel de la nécropole de l’époque perse. En 1998 encore, l’université de Tübingen et l’AUB combinent leurs forces pour ressusciter Tell Buraq où un unique pressoir à vin phénicien a été récemment dégagé. Depuis 2000, les fouilles du British Museum et des équipes libanaises continuent d’éclaircir l’histoire de la métropole des (ancêtres des) Phéniciens de Sidon. À Tyr, l’AUB et des missions libano-françaises, espagnoles et polonaises ont atteint les niveaux phéniciens. L’Italie ne manque pas non plus sur le terrain à Khaldé, Kharayeb et Djamdjiné. Aujourd’hui, finis le dilettantisme de l’ère des consuls, l’emploi des ruines comme carrières des fours à chaux depuis l’époque ottomane et, espérons-le, le pillage systématique du patrimoine historique tout comme les souffrances et dégâts de guerre !