Quoi de neuf sur les Phéniciens (5/7) ? L’artisanat phénicien

Collier d’amulettes phénicien (détail). Faïence. Découvert à Sidon (Liban). Paris, musée du Louvre.

Collier d’amulettes phénicien (détail). Faïence. Découvert à Sidon (Liban). Paris, musée du Louvre. © RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Mathieu Rabeau

Sur la côte levantine naquit, au IIe millénaire avant une ère, une brillante civilisation qui allait essaimer tout le long des rivages de la Méditerranée au cours du millénaire suivant. Ces Phéniciens, comme les Grecs les appelèrent plus tard, furent découverts très tôt par l’archéologie. Par de nombreux aspects tout à fait fascinants, ils conservent néanmoins toujours une part d’ombre et de légendes. Archéologia vous propose un grand dossier de synthèse sur le sujet, à la lumière des dernières découvertes et études.

Les auteurs du dossier sont : Françoise Briquel Chatonnet (auteur et coordinatrice du dossier), directrice de recherche au CNRS, UMR 8167 Orient et Méditerranée, Mondes sémitiques ; Annie Caubet, conservatrice générale honoraire du musée du Louvre ; Éric Gubel, directeur honoraire des Antiquités des Musées royaux d’art et d’histoire à Bruxelles ; Robert Hawley, directeur d’études à l’École Pratique des Hautes Études ; Hélène Le Meaux, conservatrice au département des Antiquités orientales du musée du Louvre ; Stevens Bernardin, Sorbonne-Université – UMR 8167 Orient et Méditerranée

Coupe représentant un seigneur oriental à la chasse, probablement réalisée à Chypre, vers 660–650 avant notre ère. Argent doré, repoussé et gravé. Diamètre 19 cm. Provenance : tombe Bernardini à Preneste dans le Latium (Italie). Rome, museo nazionale di Villa Giulia.

Coupe représentant un seigneur oriental à la chasse, probablement réalisée à Chypre, vers 660–650 avant notre ère. Argent doré, repoussé et gravé. Diamètre 19 cm. Provenance : tombe Bernardini à Preneste dans le Latium (Italie). Rome, museo nazionale di Villa Giulia. © akg-images / Nimatallah

Bénéficiant des échanges de matières premières qui lient la Phénicie, les régions voisines et des contrées bien plus éloignées, les artisans produisent des séries d’objets de nature et de typologie variées, tant pour un usage local, funéraire, cultuel, domestique, que commercial.

Verres, bronzes, faïences, vases et figurines en céramique, mobilier en bois de cyprès plaqué d’ivoire, tissus brodés et teintés de nuances de pourpre sont autant de productions qui trouveraient leur place en Phénicie, dans les cales des bateaux des cités de Tyr et de Sidon, tout comme dans les listes de tributs payés aux rois assyriens ou encore dans les comptoirs phéniciens des côtes de la Méditerranée. Les vestiges archéologiques nous permettent de dresser un tableau de l’artisanat phénicien, malgré tout de manière incomplète puisque des voiles brodés par les femmes sidoniennes ne nous reste que l’évocation du poète Homère. Les métiers du tissage, de la broderie et de la teinture semblent pourtant avoir fait la réputation des Phéniciens, en particulier grâce à leur maîtrise de la production de la couleur pourpre « violette et rouge », extraite du coquillage murex que l’on trouve en abondance sur la côte levantine. Parfois dorées, les coupes en argent et en bronze découvertes à Chypre, en Étrurie et dans le palais assyrien de Nimrud étaient très appréciées, peut-être produites en partie en vue de l’exportation et des alliances avec leurs partenaires, en tout cas choisies comme éléments de tribut sans pour autant avoir ensuite été utilisées, sinon thésaurisées. C’est également le cas des ivoires. Les défenses d’éléphant étaient importées, tout comme l’ébène et ces deux matériaux entraient dans la fabrication de mobiliers. De ceux-là, qui mettaient probablement en œuvre des essences différentes, il ne demeure que les plaquages en ivoire parfois associés à d’autres matériaux précieux tels que le lapis-lazuli ou les feuilles d’or. Les éléments en ivoire mis au jour à Nimrud et Arslan-Tash, à Samarie et Megiddo, initialement plaqués sur des fauteuils, lits ou coffres, ne sont pas sans évoquer la maison d’ivoire du roi Achab (1 R 22, 39). Ces associations de matériaux se retrouvent dans l’art de l’orfèvrerie. À l’or, l’argent et les pierres fines telles que la cornaline, s’ajoutent les perles de verre qui, tout comme les amulettes en faïence, étaient produites en très grand nombre et font partie des productions artisanales, peut-être plus courantes. 

Collier d’amulettes phénicien. Faïence. Découvert à Sidon (Liban). Paris, musée du Louvre.

Collier d’amulettes phénicien. Faïence. Découvert à Sidon (Liban). Paris, musée du Louvre. © RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Mathieu Rabeau

Des productions artisanales en série

À côté des objets artisanaux de luxe, se diffusent en effet des productions en série, écho des « mille camelotes » mentionnées par Homère. Cette « pacotille » phénicienne se retrouve dans l’ensemble du bassin méditerranéen mais aussi sur le sol levantin, dans des contextes le plus souvent funéraires. Les sarcophages découverts dans les nécropoles de Sidon en ont livré plusieurs exemplaires. Les nombreuses amulettes inspirées de thèmes divins égyptiens (Anubis, Thoueris, Nefertum, Bastet, œil oudjat, pilier djed) se composent les unes avec les autres ou bien s’associent à des perles de verre pour créer des colliers. Elles sont réalisées à partir d’un noyau dur en terre recouvert d’une glaçure dont la couleur varie du bleu au vert, du beige au brun. Sceaux et scarabées, objets en verre accompagnaient également les défunts. La légende veut que le verre ait été inventé de manière fortuite sur une plage de la côte phénicienne par des marchands de nitre. Les artisans phéniciens ont en fait repris la technique du verre sur noyau de terre attestée en Mésopotamie et en Égypte, et créé de petits vases et des perles caractérisés par leurs filets de couleurs bleu, jaune et blanc. C’est seulement à la période romaine que la technique du soufflage sera mise au point. À ces productions de petits objets, s’ajoute celle des figurines et des vases en terre cuite, les potiers phéniciens ayant largement exploité les techniques du modelage et du tour.

Tous les navires de la mer et leurs marins étaient chez toi pour acquérir tes marchandises […] Tarsis échangeait avec toi toutes sortes de biens en abondance : on te donnait comme fret de l’argent, du fer, de l’étain, du plomb. Ézéchiel, 27, Élégie sur Tyr

Ivoire décoré d’un sphinx. Il porte la double couronne de la Haute et de la Basse-Égypte, et sur son poitrail, l’uraeus (cobra égyptien). 900-700 avant notre ère. Provenance : Fort Shalmaneser (Nimrud) en Irak.

Ivoire décoré d’un sphinx. Il porte la double couronne de la Haute et de la Basse-Égypte, et sur son poitrail, l’uraeus (cobra égyptien). 900-700 avant notre ère. Provenance : Fort Shalmaneser (Nimrud) en Irak. © The Trustees of the British Museum

Des ateliers artisanaux méconnus

Les fouilles n’ayant pas livré de sites de production à proprement parler, la question de la localisation des ateliers des potiers, verriers, toreutes, tisserands et ébénistes phéniciens reste largement ouverte. C’est donc le plus souvent à partir des analyses stylistiques combinées avec des critères de nature technique, que des ensembles d’œuvres sont reconstitués et que des ateliers sont décelés. Les études les plus poussées sur le sujet concernent les ivoires et la distinction faite entre les ateliers du nord de la Syrie et de la côte de la Phénicie. Les figurines en terre cuite font également l’objet de classements typologiques et techniques qui permettent de localiser les coroplathes phéniciens à l’origine de ces séries, comme à Akhziv par exemple. Si ces identifications par les styles ne remplacent pas les données de terrain, elles invitent néanmoins à confronter les données et les productions entre elles, qu’elles soient d’une même catégorie technique mais aussi réalisées dans des matériaux différents. Elles invitent ainsi à mettre en évidence la circulation de schémas, de thèmes iconographiques, de techniques entre ces différents artisans qui, pour certains d’entre eux, ne l’oublions pas, devaient être polyvalents.

Lexique

Un toreute est un artisan travaillant le métal, en particulier le bronze.