Quoi de neuf sur les Phéniciens (7/7) ? La religion des Phéniciens
Sur la côte levantine naquit, au IIe millénaire avant une ère, une brillante civilisation qui allait essaimer tout le long des rivages de la Méditerranée au cours du millénaire suivant. Ces Phéniciens, comme les Grecs les appelèrent plus tard, furent découverts très tôt par l’archéologie. Par de nombreux aspects tout à fait fascinants, ils conservent néanmoins toujours une part d’ombre et de légendes. Archéologia vous propose un grand dossier de synthèse sur le sujet, à la lumière des dernières découvertes et études.
Les auteurs du dossier sont : Françoise Briquel Chatonnet (auteur et coordinatrice du dossier), directrice de recherche au CNRS, UMR 8167 Orient et Méditerranée, Mondes sémitiques ; Annie Caubet, conservatrice générale honoraire du musée du Louvre ; Éric Gubel, directeur honoraire des Antiquités des Musées royaux d’art et d’histoire à Bruxelles ; Robert Hawley, directeur d’études à l’École Pratique des Hautes Études ; Hélène Le Meaux, conservatrice au département des Antiquités orientales du musée du Louvre ; Stevens Bernardin, Sorbonne-Université – UMR 8167 Orient et Méditerranée
Archéologie, iconographie et épigraphie aident à mieux comprendre le monde des dieux phéniciens et celui des hommes souhaitant les honorer. Si l’étude des temples et du mobilier cultuel renseigne sur les lieux et les objets utilisés, l’iconographie et les inscriptions permettent d’identifier les divinités honorées et les individus les célébrant.
La religion phénicienne connaît une tension entre le général et le particulier. En effet, au sein d’un patrimoine commun, chaque royaume a pu se forger une tradition religieuse propre. Ainsi la grande déesse de Byblos est désignée par l’expression Baalat Gubal « maîtresse de Byblos ». Il s’agit probablement de la déesse Ashtart. Elle apparaît dans certaines des plus anciennes inscriptions phéniciennes découvertes. Empruntant les traits d’Hathor, elle est représentée sur un trône, portant une longue robe et couronnée d’un disque solaire entre deux cornes. Elle y est aussi figurée comme une divinité protectrice de la royauté, faisant les rois. Toutefois, de nombreuses autres divinités étaient célébrées à Byblos. Par exemple, l’inscription de Yehimilk, datée du Xe siècle avant notre ère, mentionne le couple divin tutélaire (Baal Šamim et la Baalat Gubal) et l’assemblée des dieux de Byblos. Si, à Sidon, un dieu de l’orage est attesté à l’âge du Bronze récent (1550-1200 avant notre ère) dans les textes mis au jour à Ougarit, il faut attendre la période perse (539-332 avant notre ère) pour avoir plus d’informations sur le panthéon sidonien. À cette époque, les deux divinités tutélaires de la ville semblent être Ashtart et Eshmun. Les liens entre la dynastie du roi Eshmunazor et la déesse Ashtart sont attestés en particulier par le titre de prêtre d’Ashtart que portent Eshmunazor et son fils Tabnit. L’inscription funéraire du fils de ce dernier, le roi Eshmunazor (petitfils du précédent donc), relate la construction de temples pour Ashtart qualifiée de « notre dame » et Eshmun désigné comme « prince saint ». Enfin, la structure du panthéon de Tyr est relativement difficile à saisir en raison du faible nombre de sources directes. Toutefois, les sources néo-assyriennes et classiques attestent un ensemble de dieux honorés. Ainsi, à la fin du traité de vassalité signé entre le roi néo-assyrien Assarhaddon et Baʿal de Tyr, les dieux des deux camps sont appelés afin de garantir le respect de l’accord. Du côté phénicien, il est fait mention de trois Baʿal (Baal Šamaim, Baal Malagê et Baal Şapon) mais aussi d’Eshmun, d’Ashtart ou encore de Milqart. Divinité tutélaire de la ville et de la royauté, cette dernière a vu son audience aisément dépasser cette seule ville. Au IIe siècle, l’historien grec Arrien raconte qu’Alexandre avait souhaité, lors de la prise de Tyr, faire un sacrifice à Milqart, appelé l’Héraclès de Tyr.
Les pratiques de la religion phénicienne
Les aspects pratiques de la religion phénicienne nous sont, encore aujourd’hui, en grande partie méconnus. Les grands sanctuaires disposaient d’un personnel cultuel qui leur était attaché. En son sein, le plus haut responsable est désigné par le terme KHN. Très souvent traduit par « prêtre », ce titre recouvrait aussi bien des fonctions administratives que religieuses. Une inscription, mise au jour à Kition à Chypre, présente une variété d’individus intervenant à différents niveaux sans être forcément rattachés à un temple spécifique. Les bergers, bouchers et boulangers sont chargés d’approvisionner le sacrifice ; le scribe, envoyé probablement par le palais, est le garant de la bonne exécution des pratiques ; les chanteurs et barbiers participent à des rites dont les détails nous sont très souvent inconnus. Enfin, un ensemble de titres renvoie à des auxiliaires dont les tâches sont difficiles à saisir avec certitude. Le roi jouait un rôle de premier plan. Installé sur le trône par la grande divinité du royaume, il se devait de tout mettre en œuvre afin de permettre les services cultuels. Pour ce faire, comme l’indiquent les inscriptions giblites (de Byblos) et sidoniennes, il finance et conduit la construction et la rénovation des temples de son royaume. Mais sa relation à la divinité ne se limite pas à cela : il se doit également d’être dévot, en attestent notamment les nombreuses dédicaces royales conservées. Toutefois, honorer les dieux n’est pas l’apanage de l’élite. En effet, dédicaces et ex-votos témoignent de pratiques cultuelles plus largement répandues dans la société. La religion des Phéniciens se décline au pluriel en raison de la multitude des champs disciplinaires nécessaires pour mieux la cerner, que ce soit en raison de cette tension entre général et particulier, ou des nombreuses questions qui demeurent à propos du monde des dieux et celui des hommes chargés de les honorer.
Pour aller plus loin :
BONNET C., GUILLON E., PORZIA F., 2021, Les Phéniciens, une civilisation méditerranéenne, Paris, Tallandier.
BRIQUEL CHATONNET F., GUBEL E., 1998, Les Phéniciens. Aux origines du Liban, Paris, Gallimard.
DRIDI H., 2006, Carthage et le monde punique, Paris, Les Belles Lettres.
QUINN J., 2019, À la recherche des Phéniciens, Paris, La Découverte.
SADER H., 2019, The History and Archaeology of Phoenicia, Archaeology and Biblical Studies 25, Atlanta, SBL Press.