Saint-Denis révélée par l’archéologie (1/5). Une ville et ses fouilles

Vue d’ensemble du chantier de la place Jean-Jaurès.

Vue d’ensemble du chantier de la place Jean-Jaurès. © Emmanuelle Collado, Inrap

Saint-Denis fut, pendant des siècles, la plus florissante et la plus influente des villes de France. Abbaye royale dès le VIIe siècle, ornée d’une somptueuse basilique, elle préserve des vestiges historiques de premier plan, témoins de son extraordinaire passé médiéval. Menées depuis plusieurs décennies, les fouilles archéologiques dévoilent peu à peu l’histoire de la ville – qui est aussi une histoire de l’archéologie urbaine. À l’occasion de deux grandes campagnes menées sous la basilique-cathédrale et sous la place Jean-Jaurès, Archéologia vous propose une synthèse de ces riches heures dionysiennes.

Les auteurs de ce dossier sont : Claude Héron, chef de service, Ville de Saint-Denis, Direction de la Culture, Unité d’archéologie ; Ivan Lafarge, responsable d’opération, Bureau du patrimoine archéologique, Département de la Seine-Saint-Denis ; Michaël Wyss, archéologue émérite à l’Unité d’archéologie de la Ville de Saint-Denis ; Georges El Haibe, responsable scientifique Inrap de la fouille de la place Jean-Jaurès à Saint-Denis ; Clément Tulet, adjoint au responsable scientifique, USAD, de la fouille de la place Jean-Jaurès à Saint-Denis

Fouilles du massif occidental de la basilique, état d’avancement à l’intérieur en janvier 2023.

Fouilles du massif occidental de la basilique, état d’avancement à l’intérieur en janvier 2023. © Emmanuelle Jacquot, Département de la Seine-Saint-Denis

Il y a cinquante ans débutait à Saint-Denis l’aventure de l’archéologie urbaine. En 1973, le chantier du métro mit, en effet, en branle le processus aboutissant en 1982 à la création du service municipal d’archéologie de Saint-Denis, aussi connu comme l’Unité d’archéologie de Saint-Denis. Toutefois, cette discipline était déjà presque une tradition dans cette ville d’Île-de-France. Mise en perspective de plusieurs décennies de recherches dans le sous-sol dionysien.Il y a cinquante ans débutait à Saint-Denis l’aventure de l’archéologie urbaine. En 1973, le chantier du métro mit, en effet, en branle le processus aboutissant en 1982 à la création du service municipal d’archéologie de Saint-Denis, aussi connu comme l’Unité d’archéologie de Saint-Denis. Toutefois, cette discipline était déjà presque une tradition dans cette ville d’Île-de-France. Mise en perspective de plusieurs décennies de recherches dans le sous-sol dionysien.

La formation de l’archéologie dionysienne

Sans s’attarder sur les nombreuses opérations menées dans et autour de la basilique au XIXe siècle, on peut considérer que c’est au tout début du XXe siècle qu’ont eu lieu les premières recherches archéologiques urbaines lors du projet de musée municipal. C’est en effet la Commission du Musée qui réalise en 1906 un sondage derrière le chevet de l’église des Trois-Patrons et une petite fouille dans l’emprise de cette église située au nord de la basilique. Puis, vers 1960, Jules Formigé fait mener une recherche de plus grande envergure dans le grand cimetière qui borde, au nord, l’abbatiale. Mais c’est bien entendu le démarrage de la rénovation urbaine du centreville, entre 1973 à 1990, qui a permis de structurer d’une part l’équipe qui deviendra le service archéologique municipal, d’autre part la démarche systématique et raisonnée de l’étude archéologique de la ville. Jusqu’à l’orée des années 2000, ces travaux se sont concentrés sur le centre-ville ; avec le XXIe siècle, ils ont intégré non seulement les faubourgs, mais aussi une plus ample chronologie, puisque la systématisation des interventions, en dehors du bourg carolingien et de la ville médiévale, a aussi permis la découverte d’occupations à l’origine de la formation du terroir agricole dont dépend la ville de Saint-Denis. De nombreux vestiges, du Néolithique à l’époque médiévale, ont été mis au jour, avec des continuités chronologiques et spatiales toutes relatives certes, mais qui n’en sont pas moins fondamentales pour percevoir la formation des lieux. Ce mouvement s’est accompagné en 1996 de la publication de l’Atlas Historique de Saint-Denis des origines au XVIIIe siècle, où l’approche du territorium dépasse nécessairement la ville qui doit, pour être comprise, être observée au sein de son terroir. Il s’accompagne aussi à partir de 1991 de l’arrivée d’un nouvel acteur, avec la création d’un service archéologique départemental intervenant, au titre du préventif, dans les communes environnantes et permettant d’affiner l’appréhension d’un territoire élargi au travers d’une vision diachronique.

 

Élargir la focale

Les apports de l’archéologie de ces cinquante dernières années à Saint-Denis, enrichis depuis trente ans par l’ouverture spatiale et chronologique de la focale, sont fondamentaux pour la connaissance de la profondeur historique de cette ville et son ancrage dans son environnement. Pourtant, même si on commence à percevoir des dynamiques constitutives du terroir, même si une image un peu moins floue du bourg carolingien et de la ville médiévale se dessine, la majorité de ces paysages reste dans l’ombre. Aujourd’hui, dans l’espace densément urbanisé de la petite couronne parisienne, Saint-Denis ne forme plus une exception en tant que ville au centre de son terroir drainant vers elle les ressources de l’agriculture et des productions locales, elle est au contraire devenue une ville de banlieue parmi d’autres au sein d’un tissu urbain de plus en plus continu ; par ailleurs, s’il existe des connexions chronologiques entre les différents centres historiques, les parcs urbains du centre-ville, bien que formant des poumons verts, ne reflètent plus du tout les paysages anciens. De la même manière, l’aménagement lourd regagne le centre-ville, à l’heure d’une reprise de la densification et d’une volonté de reverdissement urbain. Or, la situation urbanistique de cette commune et ses conditions d’évolutions sont le fait générateur d’une archéologie préventive dynamique, assurée par l’Unité d’archéologie de Saint-Denis, le Département, l’Inrap ou, récemment, par leurs groupements. Ces associations obligent à penser leurs interventions dans un contexte plus large et permettent de remettre en perspective le patrimoine de Saint-Denis dans le corpus des fouilles urbaines françaises. La ville dans son terroir, la structuration urbaine et ses évolutions, la relation entre la ville et ses cimetières, entre la ville et l’abbaye, entre l’église abbatiale et la ville ont encore besoin d’être explorées. C’est aussi le cas de la trame urbaine, de l’organisation et de l’évolution du bâti, qui, par leur propre épaisseur historique, forment à elles seules un axe de recherche à part entière. Par ce biais, comme par celui des fouilles proprement dites, c’est la question de la structuration de la ville que l’on touche.

Les apports de l’archéologie de ces cinquante dernières années sont fondamentaux pour la connaissance de la profondeur historique de cette ville et son ancrage dans son environnement.

Poulaine du XVe siècle en cuir, 29,7 cm de long. Trouvée en 1984 dans la fosse d’un atelier de cordonnerie à Saint-Denis. Saint-Denis, Unité d’archéologie.

Poulaine du XVe siècle en cuir, 29,7 cm de long. Trouvée en 1984 dans la fosse d’un atelier de cordonnerie à Saint-Denis. Saint-Denis, Unité d’archéologie. © akg-images / Alain Le Toquin

Perspectives d’avenir

Ainsi, la fameuse foire médiévale du Lendit commence aujourd’hui seulement à être documentée par les opérations en cours sur la place Jean-Jaurès ; ainsi la fouille récente du massif occidental de la basilique livre des informations de première main sur le chantier du XIIe siècle et de nouvelles données sur le cimetière monastique ; ainsi seront bientôt documentées les installations de production drapière de l’époque moderne au bord de la rivière urbaine. Les nombreuses investigations réalisées à Saint-Denis depuis cinq décennies ont livré des corpus de mobiliers exceptionnels (des milliers d’objets recueillis, auxquels s’ajoutent des millions de tessons de poteries, d’os d’animaux et de matériaux de construction) qui s’enrichissent à chaque nouvelle opération – et il convient de mettre à la disposition des chercheurs cet ensemble exceptionnel pour qu’il serve de référence à l’échelle européenne. Enfin, dans la ville abritant la basilique Saint-Denis, l’un des principaux édifices support de la construction de l’idée de nation, puisqu’elle a accueilli la nécropole dynastique depuis le premier royaume des Francs et qu’elle a été fondatrice du style d’Île-de-France, mieux connu aujourd’hui sous le nom de style gothique, il s’agit de mettre en relation directe le patrimoine archéologique avec le public, qu’il soit touriste venu de loin ou habitant du quartier.

 Vase de l’abbé Suger. Porphyre monté à forme d’aigle, 43 cm de haut, avant 1147. Don de Suger à l’abbaye de Saint-Denis. Paris, musée du Louvre, département des Objets d’Art.

Vase de l’abbé Suger. Porphyre monté à forme d’aigle, 43 cm de haut, avant 1147. Don de Suger à l’abbaye de Saint-Denis. Paris, musée du Louvre, département des Objets d’Art. © akg-images / Jean-Claude Varga

Les dates clés de l’histoire de Saint-Denis

Néolithique/période antique : des traces ténues

Une sépulture du Néolithique ancien (5000 ans avant notre ère) et un site antique découvert dans l’emprise de la Cité Meissonnier ont été mis au jour.

Au VIIe siècle : l’abbaye se développe autour de la nécropole royale

Une première chapelle est construite au Ve siècle ; la basilique est ensuite agrandie et modifiée au fil des siècles. Dagobert Ier (602/605-638/639) est le premier souverain à y être inhumé. Doté de nombreux privilèges, le sanctuaire favorise le développement d’une abbaye et d’un bourg monastique.

Dagobert Ier, huile sur toile d’Émile Signol, 1842. Versailles, châteaux de Versailles et de Trianon.

Dagobert Ier, huile sur toile d’Émile Signol, 1842. Versailles, châteaux de Versailles et de Trianon. © RMN-Grand Palais (Château de Versailles) / image RMN-GP

Du IXe au XIe siècle : naissance d’un bourg fortifié

La rivière du Croult alimente en eau l’abbaye. En 869, Charles le Chauve ( 823-877) fait édifier une enceinte pour protéger Saint-Denis des invasions vikings. Vers l’an Mil, les habitations se multiplient et s’organisent autour de l’abbaye, à l’abri de l’enceinte circulaire.

Charles II, dit le Chauve. Psautier de Charles le Chauve, IXe siècle. Paris, Bibliothèque nationale de France.

Charles II, dit le Chauve. Psautier de Charles le Chauve, IXe siècle. Paris, Bibliothèque nationale de France. akg-images / De Agostini Picture Lib.

Du XIIe au milieu du XIVe siècle : la ville médiévale

D’après les sources écrites, Saint-Denis compte 10 000 habitants en 1328. Depuis le XIIe siècle, le bourg monastique est devenu une ville avec ses places, ses rues, ses bâtiments en bois puis en pierre. L’extension urbaine se heurte à l’enceinte carolingienne qui disparaît petit à petit. Des faubourgs se développent au nord et à l’ouest. Au nord de la basilique, le groupement d’églises se complète à un rythme accéléré pour accueillir de nouvelles paroisses. Suger (1080/1081-1151), abbé de Saint-Denis de 1122 à 1151, très proche des rois de France Louis VI et Louis VII, fait modifier la cathédrale carolingienne en lui offrant un nouveau portail occidental et un nouveau chevet.

L’abbé Suger présente le plan de l’abbaye de Saint-Denis à Salomon (détail). Vitrail du XIIe siècle de l’abbaye de Saint-Denis.

L’abbé Suger présente le plan de l’abbaye de Saint-Denis à Salomon (détail). Vitrail du XIIe siècle de l’abbaye de Saint-Denis. © akg-images / Gilles Mermet

Du milieu du XIVe à la fin du XVIe siècle : Saint-Denis dans la tourmente

Afin de protéger la ville des incursions anglaises au cours de la guerre de Cent Ans, il est décidé, en 1356, de la fortifier. La population se replie à l’intérieur de la nouvelle enceinte dont le périmètre coïncide avec les boulevards actuels.

XVIIe et XVIIIe siècles : une ville restée rurale

À la fin du XVIe siècle, pendant les guerres de Religion, Saint-Denis sert de place forte pour assiéger Paris. Durant la première moitié du XVIIIe siècle, l’abbaye médiévale devenue trop vétuste est reconstruite sur les plans de l’architecte Robert de Cotte. À la veille de la Révolution, la ville abrite une population stable qui atteint 4 700 habitants.

XIXe et XXe siècles : du Saint-Denis industriel à la ville d’aujourd’hui

Sous la Révolution, la ville prend le nom de Franciade. Entre 1790 et 1792, on assiste à la fermeture de l’abbaye, des couvents et des églises paroissiales. Le XIXe siècle est marqué par une grande campagne de lotissement. Au milieu du siècle arrive le chemin de fer. De grandes usines chimiques et plusieurs usines métallurgiques s’implantent, attirant une importante main-d’œuvre. Les secteurs de la Plaine et de Pleyel constituent l’une des plus importantes zones industrielles d’Europe.