Un objet à la loupe : « Qu’importe le flacon… »
À la fin de l’année 2021, le musée d’Archéologie nationale (MAN) a pu faire l’acquisition, lors d’une vente aux enchères, d’une rare verrerie d’époque mérovingienne. À cette occasion l’objet, sorti de terre dans la seconde moitié du XIXe siècle, a pu être réétudié et sa provenance précise, retracée.
En verre verdâtre, le flacon acquis par le MAN présente un col étroit à l’embouchure évasée, surmontant une panse assez ronde et aplatie, lui conférant une silhouette globale plutôt trapue par rapport à d’autres formes de bouteilles connues dans le monde mérovingien.
Spirales et arcades : raffinement du verre mérovingien
Il se distingue particulièrement par son décor délicat de filets en verre s’enroulant en spirale autour du col, tandis que, depuis sa base, d’autres filets s’épanouissent en larges pétales, créant un décor d’arcades sur le pourtour de l’objet. Dans un état de conservation excellent, cette pièce est un exemplaire de grande qualité des productions destinées aux élites du début du Moyen Âge. De tels décors de filets en verre en spirales et arcades, qui sont pressés sur l’objet à très haute température après le soufflage, sont ordinairement associés à des formes plus ouvertes, que l’on désigne sous le terme de « pots », plutôt que de « bouteilles » ou « flacons ». Ces pots ont été découverts dans des tombes aristocratiques datées de la fin du Ve jusqu’au VIIe siècle. Un exemple fort célèbre, en revanche, peut être rapproché du flacon du MAN : une bouteille mise au jour dans la tombe de la supposée princesse Wisigarde († 553), sous la cathédrale de Cologne. Cet objet est donc une production sophistiquée, et son propriétaire devait appartenir à l’élite aristocratique de son temps.
L’explication limpide d’une origine opaque
C’est au cours d’une vente aux enchères que le MAN a pu exercer le droit de préemption au nom de l’État pour acquérir cette pièce – c’est-à-dire que l’État, représenté en l’occurrence par le MAN, s’est substitué au dernier enchérisseur après que le lot a été adjugé. Cette vente constitue une nouvelle dispersion de la collection de Louis-Gabriel Bellon (1819-1899), un industriel du textile passionné d’art et d’archéologie qui rassemble, dans la deuxième moitié du XIXe siècle, une prodigieuse collection amassée au gré de ses achats ou des campagnes de fouilles auxquelles il participe, notamment aux côtés de l’archéologue Auguste Terninck (1811-1888). Transformée en petit musée privé par son fils Paul Bellon (1844-1928), elle est durement touchée en 1914 lorsque des tirs d’obus atteignent la maison familiale. C’est donc bon an mal an que certains objets sont transmis à ses successeurs, accompagnés d’archives qui comprennent notamment des inventaires, source de renseignement irremplaçable mais malheureusement incomplète. Difficile dans ces conditions de retrouver, pour notre petit flacon, le Saint Graal de l’archéologue : une provenance précise ! Difficile, mais pas impossible, car les fouilles d’Auguste Terninck sont en partie publiées. Heureusement pour nous, une pièce de cette qualité n’a pas manqué d’attirer son attention, et des dessins d’un objet ressemblant fort à notre flacon sont identifiables dans le tome IV de son ouvrage L’Artois souterrain, correspondant à la fouille de Saint-Hilaire-Cottes dans le Pas-de-Calais. Par ailleurs, Louis-Gabriel Bellon est un collectionneur scrupuleux, tenant des inventaires, numérotant les objets ; le flacon porte une étiquette. Malheureusement, elle est lue par la maison de ventes « 988 », numéro qui ne peut être identifié dans les inventaires Bellon. Après la vente, un examen a permis de déterminer qu’il s’agit en fait… de « 886 », qui correspond, dans les inventaires Bellon, à un objet découvert à Saint-Hilaire-Cottes ! La provenance de l’objet lui est ainsi rendue et nous donne un aperçu de son contexte de découverte.
Calice des vivants, ivresse des morts
À Saint-Hilaire-Cottes, Auguste Terninck fouille un cimetière dont on ignore le nombre de tombes, mais où il décrit du matériel de qualité (armes, bijoux en or, verrerie). La présence de verrerie en contexte funéraire est fréquente à l’époque mérovingienne, bien que les dépôts soient moins importants en nombre qu’à l’époque gallo-romaine. Ces pièces en verre sont souvent un marqueur de richesse, même si elles ne permettent pas, à elles seules, de tirer des conclusions probantes sur le caractère aristocratique d’un défunt. À l’époque des Francs, la verrerie est toujours liée à la contenance de liquides, en particulier de boissons ; les formes sont très variées, plutôt ouvertes lorsque les liquides sont destinés à être consommés, ou à l’inverse fermées pour en assurer la conservation, comme dans le cas du flacon de Saint-Hilaire-Cottes. Les agapes des vivants se prolongent, depuis l’époque gallo-romaine, jusque dans la mort : le dépôt de verrerie est ainsi associé au banquet funéraire, repas commémoratif organisé en l’honneur du défunt et auquel il participe symboliquement. Cependant, pour les bouteilles et les flacons, un autre usage est possible : déposer aux côtés du défunt des huiles parfumées ou même des substances employées lors de la toilette du mort. Entêtés par la bière ou par les délicates fragrances, les êtres chers des Francs sont choyés jusque dans la tombe, qu’importe le flacon.
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