Vaison-la-Romaine : les dernières découvertes (1/6). La longue histoire du site de Vaison

« Rue des Boutiques » sur le site de Vaison-la-Romaine.

« Rue des Boutiques » sur le site de Vaison-la-Romaine. Jean-Marc Mignon-SADV

Dans le nord du Vaucluse, la ville de Vaison est riche d’un passé de plus de 2 000 ans. Née de la volonté du peuple gaulois des Voconces de s’approprier les us et coutumes de la puissance romaine conquérante, elle devient au Ier siècle de notre ère une cité gallo-romaine prospère, proche du pouvoir impérial, avant de connaître un déclin, puis un abandon dans l’Antiquité tardive. Les fouilles récentes ont permis de localiser avec certitude son forum et livrent aujourd’hui un passionnant aperçu de la richesse et de la singularité de la petite cité des bords de l’Ouvèze.

Les auteurs du dossier sont : Isabelle Doray, archéologue céramologue, service d’archéologie du département de Vaucluse (SADV) ; Caroline Lefebvre, docteure en archéologie des mondes anciens, archéologue du bâti, chercheure associée à l’IRAA, UAR 3155, CNRS, contractuelle à l’Inrap, Nîmes, Midi-Méditerranée ; Caroline Michel d’Annoville, professeure d’archéologie de l’Antiquité tardive et du Haut Moyen Âge, Sorbonne université – Paris IV ; Jean-Marc Mignon, attaché principal de conservation du patrimoine, service d’archéologie du département de Vaucluse (SADV), architecte du patrimoine d.p.l.g. ; Benoît Rossignol, professeur d’histoire ancienne, Avignon université ; Elsa Roux, docteure en archéologie, spécialiste des décors en marbre et en roches décoratives, chercheure associée à l’IRAA

Vue aérienne de Vaison-la-Romaine avec localisation des principaux sites.

Vue aérienne de Vaison-la-Romaine avec localisation des principaux sites. © Jean-Marc Mignon, Dominique Carru, SADV

Implantée sur l’Ouvèze, Vaison-la-Romaine se partage entre une rive gauche escarpée et aride soumise au vent dominant, le mistral, et une rive droite faiblement inclinée, naturellement arrosée et exposée au midi. L’occupation humaine y remonte à la Préhistoire et n’a jamais cessé depuis, oscillant entre les deux bords de la rivière.

Découverts dans l’abri sous roche d’Eden Roc, les plus anciens artefacts du site datent de 10 000 à 8 000 ans avant notre ère. Du Ve siècle jusqu’au milieu du Ier siècle avant notre ère, le peuple gaulois des Voconces occupe, en rive gauche de la rivière, une petite agglomération protégée d’une enceinte, implantée au pied et peut-être sur le versant nord de l’éminence rocheuse. Elle profite alors d’une position géographique privilégiée avec un site naturel offrant le confort d’un terroir vivrier et la protection du promontoire.

De la Préhistoire à l’établissement de la ville gallo-romaine

D’abord opposés aux légions romaines conquérant la Gaule méridionale, les Voconces choisissent, vers le milieu du Ier siècle avant notre ère, de se fédérer à l’envahisseur, ce qui leur garantit une stabilité propice aux échanges commerciaux et la possibilité de devenir citoyens pour une partie des jeunes hommes ayant combattu en sein de l’armée romaine. Délaissant la rive gauche inhospitalière, la ville gallo-romaine s’établit ensuite en rive droite, où la topographie et l’exposition sont davantage favorables à la mise en œuvre d’un urbanisme et d’architectures « à la romaine ». L’agglomération se développe en intégrant, au fil de son extension, chemins, terres agricoles et habitats ruraux préexistants, et en se dotant d’un forum, d’un théâtre, de sanctuaires, de thermes publics et de quartiers résidentiels desservis par un réseau dense de rues dallées, équipées de portiques piétonniers et d’égouts. 

Vue de la « rue des Boutiques », photo du milieu des années 1930. Fonds Joseph Sautel.

Vue de la « rue des Boutiques », photo du milieu des années 1930. Fonds Joseph Sautel.

Déclin à partir de l’Antiquité tardive

Si Vasio Vocontiorum connaît une réelle opulence au IIe siècle de notre ère, comme en témoignent les vestiges de ses luxueux édifices publics et privés, ou bien des puissants endiguements de l’Ouvèze dominés par le pont reliant les deux rives, elle subit à partir du milieu du IIIe siècle, comme tout le sud de la Gaule, une nette déprise générant une rétractation de son agglomération. La ville réduite de l’Antiquité tardive, encore occupée jusqu’au milieu du Moyen Âge, est détruite à la fin du XIIe siècle par les comtes de Toulouse, en conflit avec les évêques de Vaison. Abandonnant la rive droite, où ne se dressaient plus au sein de terres redevenues agricoles que la cathédrale romane et quelques ruines antiques, la ville, désormais fortifiée, se développe à la fin du Moyen Âge et à la période moderne sur le promontoire rocheux de la rive gauche, au pied du château comtal édifié à son sommet. Ce n’est qu’au tout début de la période contemporaine que la rive droite s’urbanise à nouveau.

Fouilles anciennes sur la colline de Puymin. Fonds Joseph Sautel.

Fouilles anciennes sur la colline de Puymin. Fonds Joseph Sautel.

Les fouilles de Joseph Sautel

Jamais complètement oublié, le passé antique de Vaison ressurgit lors des constructions en rive droite, attirant historiens et collectionneurs. C’est ainsi qu’au tout début du XXe siècle, dans le cadre de son doctorat d’histoire consacré à Vaison dans l’Antiquité, le jeune abbé Joseph Sautel entreprend de réelles fouilles. Ses découvertes, notamment celles des statues du couple impérial, Hadrien et Sabine, dans les hyposcaenia du théâtre, et la passion qu’elles suscitent, sont célébrées en 1924 lorsque Vaison devient Vaison-la-Romaine. Les décennies suivantes voient réapparaître l’antique Vasio en marge de l’agglomération renaissante, d’abord sur le versant de la colline de Puymin au nord de laquelle ont été dégagés les vestiges du théâtre, puis sur le domaine de La Villasse où apparaît une partie du forum. Placées sous l’autorité scientifique de Sautel, les opérations bénéficient des moyens financiers du mécène Maurice Burrus, riche commerçant alsacien, qui subventionne également la restauration des vestiges antiques, confiée à l’architecte en chef des Monuments historiques, Jules Formigé.

Les découvertes de l’abbé Joseph Sautel, et la passion qu’elles suscitent, sont célébrées en 1924 lorsque Vaison devient Vaison-la-Romaine.

De la seconde moitié du XXe siècle à aujourd’hui

La Seconde Guerre mondiale, puis les décès des trois protagonistes à la fin des années 1950, marquent la fin de l’exploration des vestiges de la ville antique sur de vastes étendues. Des opérations de moindre ampleur sont néanmoins menées dans la seconde moitié du XXe siècle, par Christian Goudineau, Yves de Kisch, Michel-Édouard Bellet, Joël-Claude Meffre ou Dominique Carru, donnant lieu à des découvertes inédites ou à la réinterprétation de vestiges connus. Consécutivement à la crue dévastatrice de l’Ouvèze en 1992, puis dans le cadre de projets de travaux d’aménagements publics ou privés, de nouvelles et importantes mises au jour sont faites entre 1995 et 2015, complétant avantageusement la connaissance de la ville antique. Sont ainsi successivement révélés les puissants endiguements de l’Ouvèze, un premier decumanus dallé et une portion de l’esplanade du forum avenue Jules-Ferry, un second decumanus dallé rue Paul-Buffaven, un probable amphithéâtre avenue du Général-de-Gaulle et quatre domus place de Montfort. Ces révélations, ainsi que les données et les mobiliers inédits révélés, ont suscité la réalisation de travaux universitaires portant sur l’urbanisme, l’architecture monumentale, les placages de marbre, la céramique tardo-antique, l’activité métallurgique, l’épigraphie, ou bien la ville rétractée de l’Antiquité tardive, son extension et son évolution. Très récemment encore, plusieurs opérations de suivi archéologique de travaux de voirie ont ellesmêmes permis la relecture et la réinterprétation de vestiges anciennement connus.

Lexique

Terme forgé par les chercheurs modernes, les hyposcaenia (hyposcaenium au singulier) désignent, dans les théâtres antiques, l’espace situé sous le plancher de la scène, où se trouvent les constructions destinées à supporter ce plancher et les aménagements pour les manœuvres du rideau de scène ou autres machines utilisées pour la scénographie.

Le decumanus est la voie ouest-est tracée dans les villes romaines et se croisant avec le cardo.