Vivre et mourir le long de la chaussée Jules César à Pontoise
Vue aérienne de la fouille et de la nécropole du Bas-Empire. © CD95, SDAVO
Depuis une quinzaine d’années, la rénovation urbaine du quartier Bossut à Pontoise a permis la réalisation de plusieurs opérations archéologiques menées sous l’égide du Service régional de l’archéologie (SRA) d’Île-de-France. Situé sur le plateau Saint-Martin, ce quartier est bordé au nord par l’actuelle chaussée Jules César, dont le tracé semble reprendre celui de la voie antique. Si les fouilles précédentes avaient mis en évidence des traces d’occupation allant du Néolithique à l’Antiquité, un diagnostic, conduit en 2023 sur une surface de 4 900 m², a livré plusieurs vestiges exceptionnels. Ces découvertes inédites ont entraîné une fouille préventive par le Service départemental d’archéologie du Val-d’Oise de juin à novembre 2024, dévoilant le processus de développement de l’agglomération sur près de deux millénaires.
Située sur la rive droite de l’Oise, dans le Val-d’Oise, Pontoise figure sur la Table de Peutinger sous le nom de Brivisara, indiqué sur la route reliant Paris à Rouen. Mise en place dans le cadre de la romanisation du territoire, au Ier siècle de notre ère, la voie antique, connue sous le vocable « chaussée Jules César », traverse la rivière au niveau de la ville. Son tracé s’appuie partiellement sur un remodelage d’itinéraires préexistants et sur l’aménagement du territoire gaulois. Ce passage sur la rivière a ainsi fait de Pontoise un point stratégique tout au long de l’Antiquité.
De l’Âge du bronze au Moyen Âge
Les chercheurs ont identifié cinq phases d’occupation distinctes. La première, attribuée à l’Âge du bronze moyen, est illustrée par la sépulture d’un homme adulte, inhumé en position fléchie sur le côté droit. Très probablement enveloppé dans un linceul, il a été placé dans une fosse adaptée à ses dimensions. La deuxième correspond à une aire agro-pastorale datée du début de la période gauloise (La Tène ancienne) et dédiée au stockage et au traitement des céréales. Elle est constituée de quatre silos souterrains associés à des fosses de travail au sein desquelles des fragments de meules en grès ont été recueillis. Près de 200 ans plus tard, le secteur est réoccupé par un vaste enclos fossoyé. Seuls l’angle et le quart sud-est de la zone interne étaient accessibles. L’exploration de cet ensemble a permis d’observer deux silos, un bâtiment sur poteaux et quelques fosses. Ce sont surtout les fossés, régulièrement entretenus, qui ont livré un abondant mobilier : faune, vaisselle brisée et surtout une dizaine de monnaies (potins) en alliage cuivreux provenant d’au moins quatre peuples gaulois régionaux, ce qui suggère un lieu d’échange et de consommation. La découverte de deux enfants inhumés au sein d’un des fossés soulève, en outre, des interrogations sur le statut et la fonction de cet établissement. La quatrième période se caractérise par un petit ensemble funéraire daté du Haut-Empire. Étendues sur 500 m2, les 17 tombes identifiées s’organisent selon l’orientation de fossés bordiers découverts au nord de l’emprise de fouille, en limite de la chaussée actuelle. Ils indiquent d’ailleurs la présence d’une voie dont la chronologie reste à affiner. Durant l’Antiquité, ce secteur semble être ainsi dévolu aux espaces funéraires qui, comme l’exige la loi romaine, sont aménagés extra-muros et souvent le long d’un axe viaire. La dernière occupation consiste également en une vaste nécropole datée du Bas-Empire jusqu’aux premières décennies du haut Moyen Âge. Sur une surface de 1 300 m2, 88 sépultures ont été fouillées, mais elles ne constituent pas l’intégralité de la nécropole qui se poursuit vers le nord-ouest, sous la route actuelle et les immeubles d’habitation bordant l’emprise de fouille.
Vue aérienne de trois sépultures de la nécropole du Bas-Empire. © CD95, SDAVO
Un alignement de tombes
Si l’essentiel des tombes est constitué de cercueils en bois profondément ensevelis sous terre, trois sarcophages en calcaire ont été mis au jour. Deux ont fait l’objet de probables pillages, attestés par l’absence de couvercle, d’ossements et de mobilier. Organisées selon au moins huit rangées, les tombes observent un alignement assez remarquable, orienté nord-ouest/sud-est, selon l’axe routier découvert lors de la fouille. Seules les trois rangées du nord-ouest montrent une disposition en éventail, signalant un probable élément architectural attractif (mausolée ?). Malgré un assez mauvais état de conservation des squelettes, la fouille des sépultures a livré un ensemble mobilier remarquable. Les dépôts funéraires sont constitués a minima de trois vases (en céramique, en verre et plus rarement en étain) et d’un dépôt de faune (gallinacé, poisson, etc.). Les récipients sont essentiellement dévolus à la consommation de boissons mais certains plats et assiettes sont à noter. La plupart des défunts étaient accompagnés de chaussures cloutées et plus rarement de parures personnelles. Quelques perles et bracelets en verre, en ivoire ou en alliage cuivreux ont toutefois été recueillis, ainsi qu’une bague à intaille bleue. Des monnaies, disposées dans la main, sur les yeux ou associées aux offrandes funéraires, ont également pu être déposées. La mise au jour exceptionnelle d’un instrument de musique en bronze, constitué de cinq paires de cymbales, ainsi que d’un coutelas d’apparat en fer et au manche en os sculpté d’origine probablement germanique complète cet ensemble.
Ces découvertes, inédites à Pontoise, vont désormais faire l’objet d’analyses scientifiques pluridisciplinaires. Dans l’attente de leurs résultats, la présence de ces occupations témoigne d’ores et déjà de l’attractivité d’un axe viaire probablement implanté dans ce secteur dès la Protohistoire et remodelé à l’époque romaine.