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La Régence ou les arts en « déhanché »

Étienne Doirat (vers 1675-1732), commode, vers 1720-1725. Chêne et sapin, placage de bois de rose et amarante, bronze doré, marbre brèche d’Alep, 86,4 x 168,9 x 71,7 cm. Los Angeles, The J. Paul Getty Museum.

Étienne Doirat (vers 1675-1732), commode, vers 1720-1725. Chêne et sapin, placage de bois de rose et amarante, bronze doré, marbre brèche d’Alep, 86,4 x 168,9 x 71,7 cm. Los Angeles, The J. Paul Getty Museum. © courtesy of The J. Paul Getty Museum, Los Angeles

Il y a tout juste 300 ans disparaissait le Régent Philippe d’Orléans dont le nom est associé à l’incroyable effervescence artistique, économique et politique qui suit la mort du grand roi. Le musée Carnavalet commémore cet anniversaire, à travers une exposition de plus de 200 œuvres retraçant cette période où Paris redevint pour un temps le cœur battant du royaume. L’occasion pour L’Objet d’Art de faire le point sur la définition du style Régence dans les arts décoratifs. 

 L’année 1715, qui voit expirer un monarque ayant régné durant presque sept décennies, et quelques figures marquantes de son règne dans le domaine des arts1, peut paraître comme une année charnière tant sur le plan politique qu’artistique en France. Si cela est vrai sur le plan politique, avec un renouvellement certain du cercle dirigeant, cela ne l’est pas sur le plan artistique, même si le transfert provisoire de la cour à Paris ramène le pouvoir politique dans la métropole des arts et du luxe.

« Les tenants du nouveau style sont les ardents propagandistes du déhanchement, de lignes sinueuses, de courbes et de contrecourbes encore sages et de cartouches cordiformes. Ils promeuvent un vocabulaire ornemental dont bien des éléments appartiennent au rêve. »

Depuis environ une décennie, Versailles avait cessé d’être la capitale de ces derniers. Leur protection avait migré des mains de courtisans, témoins lugubres d’une trop longue agonie, vers celles de traitants enrichis par les guerres et de jeunes, ou moins jeunes, aristocrates qui préféraient vivre à Paris, que de se contraindre à faire leur cour à la vieille « ripopée2 ». Évoquant l’arrêt du parlement de Paris qui, le 2 septembre, avait annulé le testament de Louis XIV, rendant au Régent (1674-1723) tous ses pouvoirs, Alexandre Dumas résume parfaitement l’état d’esprit de la nation : « le duc d’Orléans, c’était l’avenir c’est-à-dire l’inconnu ; or, l’inconnu, Dieu l’a voulu ainsi pour le bonheur de l’humanité, c’est l’espérance […] l’avenir c’était la vie3 ». La passivité consternée se change en fièvre d’action, l’épouvante en audace ; on veut vivre et jouir. Tous les nerfs vibrent, toutes les têtes bouillonnent ; quelque chose est en train de naître où les énergies libérées aspirent à se dépenser. Depuis le début du XVIIIe siècle, Paris et ses environs immédiats ne sont qu’un immense chantier d’où émergent de superbes hôtels particuliers et maisons de plaisance. Les fêtes bucoliques et enchantées qui se déroulent dans leurs jardins et leurs parcs ont été narrées par la touche légère et délicate d’Antoine Watteau (1684-1721) et de ses émules.

Jean-Baptiste Santerre (1651-1717), Philippe d’Orléans, Régent du royaume, et Marie-Madeleine de La Vieuville, comtesse de Parabère, 1715. Huile sur toile, 248 x 160 cm. Versailles, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon.

Jean-Baptiste Santerre (1651-1717), Philippe d’Orléans, Régent du royaume, et Marie-Madeleine de La Vieuville, comtesse de Parabère, 1715. Huile sur toile, 248 x 160 cm. Versailles, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon. Photo service de presse. © RMN-Grand Palais (château de Versailles) / Gérard Blot

Un nouveau style impulsé par trois princes

Peu avant 1715, le duc d’Orléans avait confié à Gilles-Marie Oppenord (1672-1742) les clefs du Palais Royal, avec mission d’y faire de nouvelles installations, dont l’achèvement de la galerie de Mansart. À la même époque, un autre prince, le comte de Toulouse (1678-1737), charge François-Antoine Vassé (1681-1736) d’un ouvrage d’importance égale, la galerie Dorée de son hôtel parisien. Achevées avant 1720, ces œuvres reflètent le style que l’on souhaite décrire sous le vocable de Régence.

Un troisième prince est aujourd’hui injustement oublié dans ces circonstances, le jeune duc de Bourbon (1692-1740), 7e prince de Condé, qui « aima passionnément les sciences et les arts […] Immensément riche, follement prodigue pour satisfaire ses fantaisies, épris de Chantilly plus qu’aucun de sa race, il paraît avoir fait de l’embellissement de cette maison, le but de son existence4 ». Son inventaire mobilier de 17415 témoigne à merveille de cette magnificence, qui marqua profondément ses contemporains. Les principaux appartements redécorés et remeublés à Chantilly sous la houlette de Jean Aubert (1680-1741) étaient des chefs-d’œuvre du « style Régence ». L’appartement de la Reine n’était pour le mobilier qu’une symphonie de bois sculpté et argenté et de damas jonquille relevé de cartouches, de broderies