Le livre de la semaine : Le Grand Siècle de Nocret
Fleuron des collections du musée du château de Versailles, La Famille royale dans l’Olympe de Jean Nocret (1615-1672), avec Louis XIV en Apollon entouré des siens, a été restaurée il y a peu. L’occasion était belle pour ressusciter un peintre à la fois célèbre et inconnu : ce portrait collectif a effacé au fil du temps toutes ses autres créations, d’autant plus que le dernier ouvrage complet sur son œuvre date de 1886.
Il était donc temps que paraisse ce volume à l’écriture élégante, très bien illustré, dont le papier lisse et luxueux met en valeur la finesse du pinceau de l’artiste. De façon astucieuse, le livre commence par l’analyse de la fameuse Famille royale dans l’Olympe, qui permet de poser les problématiques traitées dans les autres chapitres. Qui était Jean Nocret et quelle fut sa formation ? Dans quels réseaux artistiques gravitait-il ? Pourquoi devint-il le peintre attitré de Monsieur, frère du roi ? Et comment comprendre son art du portrait ? À toutes ces questions, Élodie Vaysse répond en trois temps, de manière classique si l’on veut, mais en restant au plus près de la vie et de l’œuvre grâce à des archives inédites, qui tracent elles-mêmes un nouveau portrait historique de l’artiste.
La formation du peintre
Né à Nancy, Jean Nocret était fils d’un brodeur, apparemment lié à des peintres, ce qui peut expliquer la vocation de sa progéniture. Son ambition était grande, puisqu’il partit à Rome en 1634. La peste et la guerre qui sévissaient alors en Lorraine auraient pu déterminer ce voyage, même si Rome était un passage obligé pour nombre de Lorrains au XVIIe siècle. À Rome, le jeune homme fit son miel de la peinture des maîtres italiens du XVIe siècle et commença à répondre à des commandes. Il fit sans doute connaissance à ce moment du paysagiste Claude Gellée, son compatriote. Établi en 1644 à Paris, il acheta une charge de valet de chambre du frère du roi et travailla également pour Anne d’Autriche.
« La ténacité de l’auteur permet de recomposer les commandes, de retrouver les iconographies et surtout les dessins ou les témoignages imagés de ces décors. »
Portraits d’apparat
Ses premiers tableaux conservés sont des portraits d’apparat de très belle facture, qui mêlent magnificence des tissus et des accessoires et réalisme idéalisé des visages. Nocret mit encore à la mode le portrait de cour historié, comme celui d’Henriette d’Angleterre en Pallas (1665), qui sera sa marque de fabrique et le fondement de son succès. Les activités de décorateur du peintre aux Tuileries et à Saint-Cloud sont plus difficiles à appréhender, car nombre d’éléments ont disparu. Mais la ténacité de l’auteur permet de recomposer les commandes, de retrouver les iconographies et surtout les dessins ou les témoignages imagés de ces décors. Enfin, un catalogue raisonné de l’œuvre, qui n’a de sommaire que le nom, propose des nouveautés importantes.
Réunir le religieux et le mondain
Au terme de la lecture, Nocret ressort grandi, mais sa carrière ne laisse pas d’interroger. Comme Pierre Mignard, il pratique sans distinction le portrait et la peinture d’histoire. De plus, le très beau portrait d’Isabelle de Ludres en Madeleine (1669), montre sa dextérité dans la réunion de deux mondes qui n’étaient pas incompatibles sous Louis XIV : le religieux et le mondain. Ce tableau met du reste en exergue une dernière particularité : Nocret semble s’être spécialisé à la fin de sa carrière dans la représentation de modèles féminins – par goût ? Ou bien pour occuper un terrain commercial lucratif ? Reste qu’il s’impose aujourd’hui comme le peintre de figures très élaborées, travesties en déesses ou en saintes, emblématiques de l’érudition littéraire du siècle.
Élodie Vaysse, Jean Nocret. Le peintre de Monsieur, frère du roi, coédition in fine éditions d’art / château de Versailles, 2024, 174 p., 29 €.