Le mystère des doubles G couronnés enfin élucidé

Marque aux doubles G couronnés sur une table par Jean-Henri Riesener (détail), vers 1780. Collection privée. Vente Christie’s Paris, collection Juan de Beistegui, 10 septembre 2018, lot 14. © Christie’s Images Ltd
La marque aux deux G enlacés et couronnés, apposée sur plusieurs meubles du XVIIIe siècle, est connue comme un signe d’appartenance au mobilier royal avant la Révolution, sans que l’on ne sache précisément à quel lieu de conservation elle se rapporte. À l’aune des dernières découvertes d’archives, la présente étude répond à cette question pour les lecteurs de L’Objet d’Art, en prélude à la publication, l’an prochain, par le Mobilier national, d’un catalogue des marques de meubles utilisées par le Garde-Meuble, du XVIIe siècle jusqu’à nos jours.
Apposée parfois au pinceau1, plus rarement au pochoir noir2, la marque aux deux G couronnés est le plus souvent appliquée au fer chaud avec deux modèles différents selon le règne de Louis XV3 ou de Louis XVI, celui-ci en grand ou en petit selon les dimensions du meuble. Elle fut également apposée sur des luminaires en bronze et des textiles (rideaux, dessus de lit, matelas, couvertures…), mais aucun exemple n’est à ce jour connu.
Identifications actuelles
La marque a longtemps souffert d’une mauvaise lecture, due à une application incomplète du fer chaud. En 1934, André Theunissen, spécialiste en mobilier ancien, et Guillaume Janneau, administrateur du Mobilier national, ont ainsi lu deux C enlacés, et l’ont attribuée au château de Compiègne4. Bien qu’erronée, cette identification est parfois encore reprise5.
« Ainsi, il paraît peu probable qu’une marque employant une couronne royale fût utilisée en pleine Terreur pour marquer des objets conservés dans ce garde-meuble temporaire. »
En 2004, la marque, lue comme un C et un G enlacés, est publiée comme celle de l’hôtel de Coigny6 (CoiGny). Ce bâtiment, situé rue Saint-Nicaise à Paris, fut annexé après octobre 1789 au palais des Tuileries afin de servir d’écuries à la Cour7. Après la chute de la monarchie le 10 août 1792, il abrita à partir de mai 1793 le mobilier du palais des Tuileries mis à l’abri par le Comité à la Conservation des Biens nationaux, chargé de préserver les meubles de cette résidence. En octobre 1794, les meubles furent finalement transférés au Palais Égalité (ancien Palais Royal) en prévision du tri préalable à leur vente ou à leur conservation par l’État. Ainsi, il paraît peu probable qu’une marque employant une couronne royale fût utilisée en pleine Terreur pour marquer des objets conservés dans ce garde-meuble temporaire.
Fausses pistes
Une autre hypothèse propose d’identifier les C et G comme une abréviation du Contrôle général des Finances, ancêtre de notre actuel ministère des Finances8, alors installé à l’hôtel de Lionne-Pontchartrain, rue Neuves-des-Petits-Champs9. Mais aucun meuble de cette provenance ne porte la marque qui nous intéresse10. De fait, la comparaison des différentes marques subsistantes montre que ce sont bien deux G qu’il faut lire, rendant définitivement caduques ces différentes pistes.
Une marque figurant sur le mobilier conservé aux Tuileries…
L’hypothèse de Pierre Verlet reste la plus suivie à ce jour. En 1963, le conservateur du musée du Louvre proposa en effet de reconnaître la marque comme celle apposée sur les meubles placés au palais des Tuileries entre 1784 et 179011. Il s’appuyait pour cela sur sa présence sur les meubles livrés en 1784 pour le petit appartement de la reine Marie-Antoinette12, situé à l’entresol du pavillon Bullant. Plus récemment, Bertrand Rondot, conservateur au château de Versailles, suggéra de resserrer cette datation à 1790-1792, sur la base d’un corpus de meubles datables des années 1790 et ne portant pas d’autres marques13. Si l’hypothèse est logique, elle n’explique pas pourquoi certains meubles de ce même ensemble ne sont pas marqués, comme la commode de la chambre de la reine14, ou encore tous les meubles livrés au même moment pour son grand appartement du premier étage15.
Marque au FG couronné, table à jeux. Château de Fontainebleau. © Jean Vittet
De même, les meubles identifiés pour avoir figuré aux Tuileries entre 1784 et 1792 ne portent pas forcément la marque aux doubles G. Citons entre autres la commode de la chambre de parade du roi16, les chaises de son billard et de son cabinet17, le bureau de sa petite chambre18, son porte-montre19 ou le secrétaire en laque de son cabinet de géographie20, de même que la commode de la pièce des Nobles de la reine21, la table à écrire22 de son salon, ou encore les sièges du meuble dit « Vaudreuil »23, installés en 1791 dans cette même pièce. Inversement, aucun meuble portant la marque ne se retrouve
