Le Prix SNA du Livre d’Art 2024 honore Pierre Puget, l’homme qui faisait trembler le marbre
À l’occasion des 400 ans de la naissance de Pierre Puget, les Éditions Faton publient, sous la plume de feu Klaus Herding et sous la direction de Geneviève Bresc-Bautier, la première monographie en quatre volumes consacrée à cet artiste majeur du siècle de Louis XIV, à la fois peintre, architecte et sculpteur. Alors que l’ouvrage reçoit, ce 14 novembre, le Prix SNA du Livre d’Art 2024, L’Objet d’Art vous propose de découvrir sa vie et son œuvre à l’aune de sa correspondance.
Les Éditions Faton à nouveau distinguées
Pour la deuxième année consécutive, le Prix SNA du Livre d’Art vient récompenser un ouvrage publié aux Éditions Faton. Si en 2023, la riche trilogie consacrée à l’orfèvrerie de la Renaissance et des temps modernes avait obtenu la faveur du jury, ce dernier a cette fois-ci décerné son prestigieux prix à la monographie en quatre volumes dédiée à Pierre Puget (1620-1694), artiste majeur du siècle de Louis XIV, à la fois peintre, architecte et sculpteur. C’est le fruit de l’immense travail initié par l’historien de l’art Klaus Herding (disparu en 2018) et poursuivi par Geneviève Bresc-Bautier, conservateur général honoraire du département des Sculptures du musée du Louvre. La remise de ce prix – créé en 2001 et doté d’un montant de 10 000 € – s’est déroulée le 14 novembre 2024 au ministère de la Culture.
Résumer la vie et l’œuvre de Pierre Puget n’est pas facile. Comment décrire un personnage inclassable (ni classique, ni baroque), colérique, mégalomane, suprêmement doué, qui a révolutionné la sculpture française ? Commençons par lire les vers de Baudelaire dans Les Phares, qui résume, en 1857, l’image romantique de Pierre Puget : « Colères de boxeur, impudences de faune, Toi qui sus ramasser la beauté des goujats, Grand cœur gonflé d’orgueil, homme débile et jaune, Puget, mélancolique empereur des forçats. » Le poète admire ici les chefs-d’œuvre du sculpteur, les Atlantes de l’hôtel de ville de Toulon (les goujats), le Milon de Crotone (le boxeur), le Faune.
« Peintre, architecte et sculpteur »
Pourtant Puget a été aussi peintre, surtout dans la première période de sa vie, ne prenant ensuite les pinceaux que rarement. Il s’est beaucoup consacré au dessin, multipliant les vues de marines, donnant des modèles de décoration navale. Parallèlement il a cherché à s’imposer par des dessins d’architecture pour l’arsenal de Toulon, pour l’hôtel de ville de Marseille, pour la place Royale de Marseille, mais de ses projets de constructions, seule subsiste la chapelle de la Charité, encore inachevée à sa mort. Il s’est vanté de cette multiplicité des compétences, en signant certaines de ses œuvres avec la mention de « peintre, architecte et sculpteur », comme ses modèles Michel-Ange ou Bernin.
« Je me suis nourri aux grands ouvrages, je nage quand j’y travaille ; et le marbre tremble devant moi, pour grosse que soit la pièce. »
Pierre Puget
Une famille de contructeurs
Sa forte personnalité a engendré des légendes tenaces, issues de témoignages de ses premiers biographes qui l’ont connu, enjolivés ensuite par Joseph Bougerel en 1752. Par la suite, les écrivains romantiques ont surenchéri sur les épisodes pittoresques, dépeignant un Marseillais autodidacte, en butte aux mesquineries des consuls locaux et incompris de l’administration royale, ce qui est faux. Puget est né à Marseille en 1620 où il meurt en 1694, au terme d’une carrière bien remplie, mais déroulée jusqu’en 1679 sous d’autres cieux. Il naît d’un père maçon, disparu quand il n’a que deux ans. La famille restera soudée et se spécialisera dans la construction, tel son oncle et tuteur, Jean, tel son frère aîné, Gaspard – qui travaillera à l’agrandissement de Marseille, à l’arsenal et à l’hôtel de ville –, tels son autre frère Jean et même son cousin, un autre Pierre Puget. Ces expériences aideront Pierre à cultiver l’architecture.
Entre la France et l’Italie
Le futur artiste échappe pourtant à la truelle et accomplit son apprentissage de 14 à 18 ans chez le sculpteur Jean Roman, bon spécialiste de l’art du bois. La suite de sa formation n’est connue que par ses biographes qui décrivent un premier voyage à Florence et à Rome, émaillé d’épisodes romanesques, sous la protection du peintre et architecte Pierre de Cortone. Il serait ensuite revenu en Provence, où le grand-maître de la navigation, le marquis de Brézé, l’aurait engagé en 1644 dans l’atelier de sculpture de l’arsenal de Toulon pour donner le dessin du vaisseau La Reine en l’honneur d’Anne d’Autriche. Puget serait reparti à Rome en compagnie du père Joseph, un cistercien réformé qui aurait été envoyé dans la Ville éternelle sur ordre de la reine mère pour dessiner les chefs-d’œuvre de l’Antiquité. Ainsi s’expliqueraient les références à l’antique perceptibles dans son art. C’est donc un Puget peintre et dessinateur qui s’installe à Toulon en 1646. Ses premiers dessins sont datés de 1651-1654, telle La Tempête. Des paysages de marine, à la mode hollandaise, précis, informés, donnent une image forte et souvent mélancolique ou inquiète des rapports de l’homme à la mer. En même temps, des institutions religieuses lui commandent entre 1647 et 1659 l’exécution de tableaux pour des retables. Il dépeint des visions surnaturelles : Le Miracle de Soriano, où un père dominicain reçoit de la Vierge la vraie image de saint Dominique ; Sainte Cécile jouant de l’épinette alors que des angelots lui tiennent sa partition ; L’apparition de la Vierge à saint Félix de Cantalice.
« Comment décrire un personnage inclassable (ni classique, ni baroque), colérique, mégalomane, suprêmement doué, qui a révolutionné la sculpture française ? »
Premières commandes marseillaises
Très lié à son frère Gaspard, il est introduit par son intermédiaire auprès de la confrérie du Corpus Domini qui lui commande pour le baptistère de la cathédrale de Marseille deux toiles figurant le baptême de Constantin et celui de Clovis, puis l’image du Christ sauveur du monde (musée des Beaux-Arts de Marseille), grandes compositions où se devine la connaissance de Pierre de Cortone. C’est sans doute aussi grâce à son frère qu’il produit son premier projet d’architecture pour l’hôtel de ville de Marseille, en 1653. Mais le bâtiment sera construit non par Pierre mais par Gaspard Puget et Mathieu Portal entre 1666 et 1673, selon un projet tout à fait différent et beaucoup plus simple.
Les Atlantes de Toulon
Cette compétence lui permet d’obtenir de la communauté de Toulon la commande du décor de son hôtel de ville, c’est-à-dire du portique d’entrée en 1656. Le balcon est soutenu par deux atlantes, qui semblent souffrir sous leur fardeau. Ils s’affranchissent du cadre architectural et émergent d’un énorme coquillage. La référence à la mer se manifeste par la présence de coquilles et de conques marines entrelacées, qui donnent aux atlantes l’aspect de tritons. La douleur est exprimée par la torsion du corps, la mimique de douleur et la distorsion des visages aux regards implorants, tournés vers le ciel. Les Atlantes assurent la célébrité de Puget. En 1657, les jésuites d’Aix lui commandent non seulement le dessin du décor de leur nouvelle chapelle de l’Annonciation, mais pas moins de treize tableaux, figurant les mystères de la vie de la Vierge. Il ne livre pourtant que deux compositions, L’Annonciation et La Visitation qui est une reprise du grand tableau de Rubens de la cathédrale d’Anvers, sans doute par l’intermédiaire d’une copie ou d’une gravure de Pieter de Jode. Puis il exécute en 1659, pour la confrérie du Corpus Domini, le projet d’un immense tabernacle en bois doré et peinture, dont il n’assure pas lui-même la réalisation. Car, en octobre 1659, il part en Normandie pour créer un gigantesque Hercule terrassant l’hydre de Lerne, un des deux groupes de pierre que le financier Claude Girardin place dans son château du Vaudreuil près de Rouen. Puget y exalte la figuration du corps masculin héroïque dont la forte torsion fait vibrer les muscles, même s’il s’est peut-être inspiré d’un modèle gravé par François Verdier dans la mouvance de Charles Le Brun.
Au service des Sauli
Girardin étant lié à Nicolas Fouquet, le flamboyant surintendant des Finances, celui-ci charge Puget de la fourniture de blocs de marbre d’Italie. On a ainsi forgé la légende d’un Puget engagé par Fouquet pour Vaux-le-Vicomte et lui préparant la statue d’Hercule gaulois. Il n’a pourtant qu’une mission de marbrerie à Carrare et à Gênes à la fin de 1660. Comme Fouquet est arrêté le 1er septembre 1661, Puget reste à Gênes jusqu’en 1668, avec une brève parenthèse à Rome en 1662. Il exécute alors l’Hercule gaulois que Colbert placera dans son château de Sceaux. La fatigue s’exprime par le corps alangui du héros épuisé par ses travaux : assis sur la dépouille du lion de Némée, il tient les pommes d’or du jardin des Hespérides. Ce nouveau chef-d’œuvre a sans doute été alors apprécié. De riches patriciens génois, les Sauli, désireux d’enrichir leur nouvelle église familiale de Santa Maria Assunta di Carignano, le prennent à leur service. En 1663, ils lui commandent le projet d’un ambitieux baldaquin aux colonnes torses avant de passer contrat l’année suivante pour deux immenses statues de marbre de Carrare, figurant saint Sébastien et Alessandro Sauli, leur ancêtre qui s’était distingué par sa piété et son courage lors de la peste de 1590 : deux saints antipesteux pour une église d’ex-voto de la peste de 1657. Aidé par des collaborateurs, dont le sculpteur Christophe Veyrier, qui deviendra son neveu par alliance, il met quatre ans à tailler ces blocs gigantesques.
Réformateur de l’art génois
Il en tire l’image du saint martyr qui s’abandonne à la grâce divine, alors que son corps qui s’affaisse exprime le paroxysme de la souffrance et celle d’un évêque en extase, tourné vers le ciel dans une large torsion. L’expression douloureuse de Saint Sébastien, le regard implorant le ciel, le rendu palpitant de vie du corps souffrant, la beauté charnelle des muscles, bouleverseront l’art génois. Inséré dans la vie artistique génoise, il reçoit la commande du maître-autel de l’église des Théatins et de l’Immaculée Conception de l’Albergo de’ Poveri. Si les sculpteurs génois diffusaient depuis des décennies leurs Vierges de marbre, Puget renouvelle le stéréotype par le mouvement ascensionnel, par la science des drapés complexes, par la grâce divine qui enveloppe la figure, et par les deux grands anges, très sensuels, qui lui baisent les pieds et portent les attributs de la royauté et de la virginité. Il reprend cette étonnante sensualité dans le délicat relief de marbre montrant l’Assomption de la Vierge, destiné au duc de Mantoue (musée de Berlin). Par leur regard tourné vers le ciel, ces images de la Vierge montant au ciel expriment la communication avec l’au-delà.
« Sachez Monsieur, que je ne fais de comparaison qu’avec un cavalier l’Algarde et un cavalier Bernin […] le Roi n’ignore pas qu’il peut trouver facilement des généraux d’armée dans ce nombre prodigieux d’excellents officiers qu’il a dans ses troupes ; mais qu’il n’est pas en France plusieurs Puget ».
À la tête de l’atelier de sculpture de l’arsenal de Toulon
Bien que Puget soit bien installé à Gênes, il accepte de revenir à Toulon, répondant à l’invitation de l’intendant de la Marine du Levant qui cherche un bon sculpteur et dessinateur pour diriger l’atelier de décoration des vaisseaux. C’est le moment où Colbert, secrétaire d’État à la Marine, engage une campagne de construction navale pour affirmer sur la mer la puissance de la France. Puget ne quitte Gênes qu’en posant ses conditions : il ne fera que des dessins et recevra une pension considérable.
La décennie 1668-1678, pendant laquelle Puget est à la tête de l’atelier de sculpture de l’arsenal de Toulon, a été une période extraordinairement féconde, non seulement pour ses dessins de décoration navale, pour ses vues marines dessinées, pour un album sur vélin des vaisseaux royaux, pour ses projets d’architecture destinés tant à l’arsenal de Toulon qu’à l’agrandissement de Marseille. Mais il ne construit qu’un seul bâtiment, la salle d’armes de l’arsenal détruite par un incendie, et n’achève que l’exécution des armoiries royales en marbre pour l’hôtel de ville de Marseille (musée des Beaux-Arts de Marseille). Si ses projets d’urbanisme pour Marseille ont été refusés, il a peut-être conseillé son frère Gaspard qui était chargé avec Mathieu Portal de l’agrandissement de la ville, comme il a probablement aidé Jean Puget et son cousin Pierre pour donner une forme classique à la halle de la Poissonnerie. En plus de cette intense activité, Puget désire sculpter du marbre. En 1670, il demande d’utiliser des blocs abandonnés sur le port. Colbert, qui unit à la Marine l’administration des Bâtiments du Roi, accepte et lui laisse toute liberté sur le choix de l’iconographie. Ce sera Milon de Crotone et Alexandre le Grand rendant visite à Diogène qu’il ne réussit pas à terminer durant son séjour toulonnais.
« Animé par une ambition démesurée, parfaitement perceptible dans ses lettres, à l’orthographe décousue et à l’ego excessif, il propose divers projets dont celui de Persée délivrant Andromède. »
Retour définitif à Marseille
Au 1er janvier 1679, la Marine décide de ne plus rémunérer Puget. Le licenciement semble plutôt une séparation à l’amiable. Puget a déjà plus ou moins quitté Toulon pour Marseille où il s’était construit un pavillon à Fongate dans la proche banlieue et y avait entrepris dix sculptures pour le roi, sans en avoir vraiment reçu l’autorisation. Ce départ a nourri tous les fantasmes romantiques sur l’artiste maudit, incompris, chassé par l’immonde Colbert. Alors que Puget a eu tout loisir de sculpter les thèmes de son choix sur son temps de travail à l’arsenal et qu’il a été incroyablement rémunéré et respecté. Installé à Marseille, il est désormais libre de gérer sa carrière. Il date de cette année la statue de l’Immaculée Conception sculptée pour la famille génoise des Lomellini et se tourne vers l’architecture. Au 1er janvier 1679, il est chargé de dessiner les plans de l’hôpital de la Charité, une œuvre caritative, hospice pour les mendiants, les orphelins, les malades et les vieillards. Dessins et maquette sont rapidement achevés dans l’année, mais les travaux traîneront en longueur, et l’édifice, très original, avec sa chapelle à la coupole ovale, restera inachevé à sa mort.
Une fascination pour le corps masculin
Puget se consacre surtout à ses grands groupes de marbre inachevés. Milon de Crotone et Alexandre le Grand rendant visite à Diogène arrivent à Marseille en 1681. Puget termine Milon en 1682 et envoie son fils le poser dans le parc de Versailles à l’entrée de l’allée Royale. L’accueil y est enthousiaste. Selon le témoignage oculaire du sculpteur Jean Dedieu : « lors que ladite figure fut portée dans le jardin de Versailles, et que l’on eut ouvert la caisse pour la faire voir à la reine Marie Thérèse, elle en fut si touchée qu’elle s’écria : “Ha le pauvre homme !” Voilà tout ce qu’un grand sculpteur doit rechercher. On voit bien cette expression dans la figure du Laocoon, mais l’illustre Puget, par son grand art, a donné la vie à la matière, en sorte que l’on voit que toutes les parties travaillent et souffrent ». Puget, fasciné par le corps masculin, qu’il avait montré épuisé dans l’Hercule gaulois, abandonné dans Saint Sébastien, le dépeint ici héroïque et dramatique, luttant pour extraire sa main du tronc d’arbre qui l’emprisonne, criant sa douleur sous la morsure d’un lion. Poussé par l’orgueil, Milon, qui a voulu tester ses forces malgré la vieillesse, est vaincu par le destin.
Une rare tentative de haut-relief en France
L’autre œuvre venue de Toulon, le grand relief d’Alexandre le Grand rendant visite à Diogène, a cependant des problèmes. Une pièce est cassée ; il faut faire venir un bloc. Des retards s’accumulent. Le relief ne sera envoyé à Paris qu’après la mort de Puget. Face à un Alexandre aux traits de Néron, Diogène, au visage de Laocoon, est l’image de la pauvreté du cynique, nu dans son tonneau. Mais il impose la supériorité de l’esprit, ordonnant au souverain entouré de sa troupe, « ôte-toi de mon soleil ! ». Nourri de références à l’antique dans les portraits et dans l’arrière-plan, l’œuvre est une des rares tentatives en France de haut-relief, alors que cette technique était passionnément cultivée à Rome, depuis la grande composition de l’Algarde à Saint-Pierre de Rome. Colbert est mort l’année même où le Milon arrive à Versailles. Son successeur à la surintendance des Bâtiments du Roi est Louvois qui demande à Puget s’il a des projets. Lettre étonnante d’un ministre – pourtant connu pour sa brutalité et son manque de goût pour les arts – à un simple sculpteur. Puget lui répond une longue lettre dans laquelle il affirme : « Je me suis nourri aux grands ouvrages, je nage quand j’y travaille ; et le marbre tremble devant moi, pour grosse que soit la pièce ».
Une ambition démesurée
Animé par une ambition démesurée, parfaitement perceptible dans ses lettres, à l’orthographe décousue et à l’ego excessif, il propose divers projets dont celui de Persée délivrant Andromède. Cette fois l’affaire est rondement menée. En 1685, Persée prend place face à Milon à l’entrée de l’Allée royale de Versailles. Persée vient de tuer le monstre qui allait dévorer Andromède et se dresse pour enlever la lourde chaîne de fer qui suspendait la jeune fille. Devant ce libérateur, grand et fort, la petite Andromède s’abandonne à l’amour que symbolise un jeune génie. Puget continue à sculpter pour des particuliers, une Vierge à l’Enfant en marbre qu’il envoie à Gênes (museo di Sant’Agostino) et un relief en terre cuite du Christ en croix (musée du Louvre), implorant et acceptant la mort, au regard encore une fois tourné vers les cieux. Il poursuit des projets d’architecture, alors que se déroule la construction de l’hospice de la Charité. Il donne des dessins pour l’église des Capucins que son frère Gaspard Puget édifie (1680). Il construit sa maison de Marseille (1682-1685) et la chapelle privée près de son pavillon de Fongate. Il donne le plan de la Poissonnerie de Toulon (1690). Seule subsiste la maison marseillaise.
Un projet non abouti de place royale pour « sa » ville
Ce qui lui tient le plus à cœur est l’édification d’une place Royale à Marseille. En 1686-1687, les Aixois d’abord, puis les Marseillais lui ont proposé d’exécuter pour chacune de ces villes une statue royale équestre. Pour Aix, Puget perd la commande au profit de Martin Desjardins. Pour Marseille, « sa » ville, il va durement batailler, s’accrochant à l’idée d’une place Royale ovale, ambitieuse, dont il soumet les plans, écrin d’une statue équestre au cheval cabré. Puget signe le contrat pour la statue en 1687 et part l’année suivante pour Versailles afin de défendre son projet de place, puisqu’à Marseille, ses ennemis sont en embuscade. Ses biographes ont rapporté à propos de ce voyage des anecdotes. Il se serait adressé au Premier architecte, le tout puissant Hardouin-Mansart, en ces termes : « Sachez Monsieur, que je ne fais de comparaison qu’avec un cavalier l’Algarde et un cavalier Bernin », ou encore « le Roi n’ignore pas qu’il peut trouver facilement des généraux d’armée dans ce nombre prodigieux d’excellents officiers qu’il a dans ses troupes ; mais qu’il n’est pas en France plusieurs Puget ». Vains efforts : la guerre déclarée imposant des dépenses financières incompatibles avec l’édification d’une place Royale et d’une statue de bronze.
Traduire la peinture en sculpture
L’abandon du projet en 1689 est finalement bénéfique. Si Puget tente en vain de renouer avec ses commanditaires génois, il accomplit deux sculptures étonnantes de petit format. La première est un relief en marbre représentant saint Charles Borromée priant pour les pestiférés de Milan. Aux pieds du saint se déroulent des scènes d’effroi, d’horreur et de tristesse devant la mort : la femme mourante, le vieillard implorant, le fossoyeur, l’enfant en pleurs, le saint en prière. C’est une autre tentative après Alexandre le Grand rendant visite à Diogène de traduire en sculpture la qualité de la peinture, oubliant la couleur au profit du relief, ce qu’on dénomme le paragone.
L’autre œuvre est un Faune se préparant à jouer de la syrinx placé sur une fontaine de son pavillon de Fongate. La torsion du corps, l’inquiétude qui émane du personnage discrètement animal, et l’inachèvement donnent une grandeur inattendue au personnage. Puget reprend pour la dernière fois les pinceaux, afin de brosser une étrange Éducation d’Achille par le centaure Chiron, huile préparée par une lumineuse aquarelle. Laissons parler l’Aixois Cézanne : « Comme il y a tout Delacroix dans son aquarelle du Centaure, à Marseille, cette Éducation d’Achille que je préfère à ses marbres, oui ! […] avec son couple dans le repli des terres, son emportement, l’héroïsme envolé de l’enfant, les tragiques teintes, la violence du mistral qui bouscule et tonifie les tons […] Oui, oui. Je le dis souvent, il y a du mistral dans Puget ».
« Comme il y a tout Delacroix dans son aquarelle du Centaure, à Marseille, cette Éducation d’Achille que je préfère à ses marbres, oui ! […] Oui, oui. Je le dis souvent, il y a du mistral dans Puget. »
Paul Cézanne