François Duret-Robert : un esprit libre s’en est allé
François Duret-Robert s’en est allé paisiblement le 13 octobre dernier, à l’âge de 92 ans. Collaborateur des Éditions Faton de 2002 à 2021, il avait signé près de 200 « Chroniques désinvoltes du marché de l’art » dans L’Objet d’Art.
Les amateurs d’art, commissaires-priseurs, experts, marchands, étudiants (François Duret-Robert enseignait aussi) connaissaient bien sa haute silhouette à la Valentin le Désossé, reconnaissable non pas à un haut-de-forme résistant immuablement à des pas de danse endiablée, mais à un nœud papillon, tantôt droit, tantôt de traviole.
Derrière ce soupçon d’excentricité, se cachaient un juriste et un journaliste hors pair.
François Duret-Robert avait commencé sa carrière aux Éditions juridiques Lamy, avant de devenir rédacteur en chef adjoint de la revue Connaissance des Arts, où il s’était spécialisé dans le marché de l’art. Il avait ensuite collaboré au Monde, au Figaro, puis avait commencé en 2002, dans L’Objet d’Art, ses « Chroniques désinvoltes du marché de l’art », publiant aussi cette même année chez Dalloz sa première édition du Droit du Marché de l’art (mise à jour et rééditée huit fois depuis).
À la virgule près
François Duret-Robert aimait la liberté – s’il avait délaissé les colonnes du Figaro, malgré leur large audience, pour celles plus spécialisées de L’Objet d’Art, c’est parce qu’il s’y sentait trop contraint. Il fallait lui laisser champ libre. Nous décidions souvent du sujet de ses chroniques autour d’une tasse de thé (il ne déjeunait jamais), partagée sur le coin de table d’un bistrot ou au bar d’un hôtel chic, selon l’actualité du marché, des affaires en cours ou de la jurisprudence. Il allait flâner, nez au vent, l’air de ne pas y toucher, dans l’antre de ses amis juristes et avocats et dans les salles des ventes, pour glaner ses informations et, occasionnellement, de la porcelaine de Strasbourg qu’il collectionnait. Mais sa désinvolture n’était que feinte, il était de ceux qui remettent sans cesse l’ouvrage sur le métier pour tout vérifier et s’assurer, à la virgule près, de la plus grande perfection possible.
Ses chroniques portaient des titres à la fois intrigants et insolites : « Le Conseil des ventes joue les gendarmes », « Tintin au pays des commissaires-priseurs », « Massacre pour une bagatelle », « La château des mirages », « La responsabilité des mandarins », « Un satyre moins âgé qu’on ne le pensait », etc.
Un justicier dans l’âme
S’il lui avait été donné de pouvoir travailler encore plus (quand son nœud papillon n’était pas de sortie, François Duret-Robert vivait reclus dans son bureau, ravitaillé par son épouse, une sainte, qui lui servait aussi de chauffeur et tapait ses chroniques), il aurait écrit des polars, avec un humour pince-sans-rire digne des plus grands romans noirs. Il y aurait eu des experts interlopes, des pieds de tables coupés, des dols et des erreurs sur la substance dans des maisons strasbourgeoises, des inspecteurs du fisc, détruisant, de rage, des tableaux de Poliakoff, des ayants droit se menant des guerres fratricides… Mais une chose est sûre : le droit aurait toujours triomphé, car François Duret-Robert avait aussi une âme de justicier. Il ne mâchait pas ses mots et détestait la malhonnêteté ; ses chroniques nous ont valu quelques convocations au « château des rentiers »* et poursuites en diffamation, puis, un jour, une déclaration solennelle de sa part : « C’est fini, j’arrête de citer nommément les gens, je mettrai des initiales, seulement ».
Travailler avec François Duret-Robert était toujours une leçon de rigueur, d’analyse et de hauteur de vue que procure la liberté d’esprit.
Avec sa disparition, c’est aussi un monde qui s’évanouit, celui d’un marché de l’art moins globalisé et cravaté qu’aujourd’hui, peuplé de figures hautes en couleur, dont il faisait partie et détenait aussi la mémoire.
Toute la rédaction de L’Objet d’Art s’associe à la peine de sa famille, sa femme Marie-Claude, son fils Henri, et Tristan et Guillaume, ses deux petits-fils.
* Située rue du Château-des-Rentiers, dans le XIIIe arrondissement de Paris, cette antenne de la Préfecture de police a abrité les brigades financières jusqu’en 2017.