Mayas : la guerre à l’époque classique
Les Mayas anciens, entre 250 apr. J.-C. et l’an Mil, n’étaient pas seulement un peuple de prêtres-astrologues, mais aussi, comme le montrent les fresques et la statuaire, des guerriers implacables auxquels se heurtèrent violemment les conquistadors espagnols au XVIe siècle.
L’origine des Mayas
Dans cette vaste zone nommée la Méso-Amérique, qui s’étend du Mexique jusqu’au nord-ouest du Costa Rica, éclosent avant l’arrivée de Christophe Colomb (1492) de riches et puissantes civilisations. Celle des Mayas, héritiers des Olmèques, connaît son apogée entre le IIIe siècle de notre ère et l’an Mil, dans les basses terres, et se manifeste en particulier par l’érection de stèles, l’usage de l’écriture hiéroglyphique et des mathématiques, l’utilisation de la voûte à encorbellement et la mise en place de dynasties royales avec une affirmation forte du pouvoir dans l’art. Le roi anonyme des monuments préclassiques devient ainsi K’ul Ahau, ou Roi Sacré, dont les faits et gestes sont inscrits dans la pierre et commémorés.
Le territoire maya
Ce territoire est aujourd’hui défini par la présence des ruines de la civilisation maya et par la distribution des peuples parlant toujours une langue maya (entre 5 et 10 millions de personnes). Il couvre une superficie d’environ 320 000 km2 et comprend les États méridionaux de la Fédération mexicaine (Chiapas, Tabasco, Campeche, Yucatán et Quintana Roo), le Belize, le Guatemala, le Salvador et l’ouest du Honduras ; il est délimité au sud par l’océan Pacifique, au nord par le Golfe du Mexique et à l’est par la mer des Caraïbes. S’étendant au sud du Tropique du Cancer, la zone est entièrement tropicale. La moyenne des précipitations n’étant pas égale sur toute la région, une large gamme de paysages, de la savane arborée à la forêt dense, se côtoie du nord au sud. La diversité des environnements a conduit à diviser le pays maya en trois zones culturellement distinctes. Au sud, la côte pacifique constitue un milieu écologique riche dont les terres, alluviales et volcaniques, sont fertiles. Les hautes terres, au-dessus de 800 m d’altitude, sont caractérisées par l’activité volcanique de la partie sud et par la richesse du sous-sol en minéraux : jade, serpentine, obsidienne, etc. Au nord, les basses terres sont subdivisées en trois zones. Celle du sud, transition entre les hautes terres et les basses terres, est marquée par une pluviosité importante, une forte chaleur et un réseau hydrographique développé. Les basses terres centrales connaissent un climat chaud et humide, et un couvert végétal allant de la savane à la forêt tropicale dense. La péninsule du Yucatán, ou basses terres du nord, est caractérisée par un réseau hydrographique faible, voire absent en surface, un sol pauvre, un climat chaud et sec, et une végétation comparable à la brousse.
De farouches guerriers
Loin de la vision romantique des archéologues du début du XXe siècle, pour qui les Mayas étaient « les Grecs du Nouveau Monde », l’art des Mayas de la période classique abonde en représentations guerrières. Sculptures, peintures murales et céramiques mettent en scène de farouches combattants qui ne faisaient pas de quartier et n’en attendaient pas.
Des razzias
À l’époque classique, les villes sont de véritables cités-États avec leur territoire, leurs intérêts et leur dynastie gouvernante. Certaines, comme Tikal, acquièrent un statut et un prestige important, devenant de grands centres politique, économique et religieux. Les raids étaient lancés en concordance avec le calendrier rituel : le jour choisi était celui qui semblait le plus favorable à une intervention militaire, par exemple lorsque Vénus, planète de la guerre pour les Mayas, avait une position remarquable. La compétition entre les cités devient plus agressive, les rivalités prennent de l’ampleur et les guerres tendent à devenir endémiques. Le principal but des conflits était d’affirmer sa domination, de prélever un tribut et de faire des prisonniers destinés à être sacrifiés. Les victoires augmentaient le prestige des souverains et de leur dynastie car elles confirmaient l’appui des forces surnaturelles. La capture d’un roi pouvait donc avoir de graves conséquences pour une cité. Ainsi, en 562, Wak Chan K’awiil, souverain de Tikal, fut capturé alors qu’il menait un raid sur la cité de Caracol. Le grand centre connaît alors, pendant un siècle environ, un déclin important. Caracol, quant à elle, gagna son indépendance, beaucoup de prestige et une grande prospérité.
Des victimes pour les sacrifices
Les Mayas pensaient que l’ordre cosmique était maintenu grâce au sang des victimes sacrificielles. Cette nécessité en induisait une autre :trouver des victimes. Le rôle de pourvoyeur de victimes sacrificielles était dévolu aux guerriers et c’est sur le champ de bataille que l’on capturait les sujets destinés à être sacrifiés, de préférence des dignitaires de haut rang qui se réclamaient d’ascendance divine. Chaque cérémonie était une occasion d’honorer les forces surnaturelles, induisant des sacrifices et par là même, un prétexte pour partir guerroyer. Ainsi, les peintures murales de Bonampak illustrent une bataille qui a eu lieu à l’occasion de la cérémonie où le roi Yajaw Chaan Muan présenta officiellement son héritier.
Guerres économiques et de conquêtes
Cependant, le sacrifice n’était pas la seule raison de faire la guerre. Il semble que les Mayas pratiquaient aussi la guerre économique destinée à la prise de butin ou, à une échelle plus importante, une guerre à visées hégémoniques, destinée à l’asservissement économique. La cité ainsi assujettie devait payer un tribut et son seigneur prêtait allégeance au vainqueur. Pendant longtemps, les archéologues ont pensé que les Mayas ne pratiquaient pas la guerre de conquête. Cet argument était soutenu par le fait que la distribution des glyphes emblèmes, sortes de blasons qui sur les stèles marquaient le territoire politique d’une cité, n’apparaissaient jamais au-delà d’une journée de marche de la cité. Manquant d’animaux de trait et de selle, les déplacements en pays maya étaient très lents. Dans ces conditions, tenir un vaste territoire était exclu. L’épigraphie nous enseigne cependant que les relations entre cités étaient intenses. Alliances et coups-bas ponctuaient la vie politique et des cités très éloignées pouvaient aussi bien s’aider que se combattre. Mais envoyer un groupe de guerriers au secours d’alliés n’est pas la même entreprise que de partir au loin conquérir un territoire. Néanmoins, de récentes découvertes ont mis en évidence l’existence de conflits dont l’objectif était clairement la conquête et même l’anéantissement total de l’adversaire. Ainsi, la cité d’Aguateca a été attaquée vers 800 apr. J.-C. et totalement détruite. Signe de l’immense désolation qui suivit, ses habitants l’ont abandonnée et ne sont jamais revenus.
Une apparence terrible
Les guerriers mayas de l’époque classique ne portaient pas d’uniformes permettant de distinguer des unités particulières ou encore des sociétés guerrières comme chez les Aztèques(guerriers-aigles et guerriers-jaguars). Les représentations de guerriers mettent plutôt enévidence des régionalismes et des modes dans l’habillement. Des sandales, un pagne, un gilet et un couvrechef constituaient les atours des guerriers mayas. Cela était complété par des peintures faciales et/ou des tatouages qui accentuaient leur aspect féroce. Ils portaient aussi des attributs personnels évoquant leur valeur sur le champ de bataille (têtes d’ennemis réduites portées à la ceinture), indiquant leur statut (insignes et symboles de pouvoir), ou encore se référant à leur alter ego animal (animal « totem » : way en langue maya, nagual en langue nahuatl) censé leur apporter protection et puissance.
Un armement efficace
L’armement se composait principalement d’une lance et d’un bouclier. Les autres armes, haches, massues, couteaux, étaient peu communes ; de plus il semble qu’elles étaient réservées à des usages rituels plutôt que militaires. Pour façonner les pointes de leurs lances ou les lames de leurs couteaux, les Mayas employaient du silex ou de l’obsidienne. Ces deux matériaux, bien que fragiles par rapport au fer, permettaient néanmoins d’obtenir des armes au tranchant redoutable (les Mayas ne découvriront le métal que très tardivement). L’obsidienne, une roche éruptive dont l’aspect rappelle celui du verre et qui présente une structure particulière due au refroidissement très rapide de la lave, lorsqu’elle est fraîchement débitée, a un pouvoir tranchant supérieur à celui d’une lame de rasoir. Ses différentes couleurs ainsi que sa translucidité en font un matériau de toute beauté. Les boucliers étaient de plusieurs types : ronds en cuir ou faits d’une carapace de tortue, rectangulaires, en cuir et en coton, flexibles comme dans la région de Yaxchilán ou du type de ceux utilisés par les guerriers de Teotihuacán, cette ville précolombienne du Mexique central qui fut le foyer d’une importante civilisation qui domina une grande partie la Méso-Amérique durant la période classique. Les boucliers portaient des figures terrifiantes destinées à provoquer l’effroi de l’ennemi, ou des symboles et des représentations magiques ayant pour fonction d’attirer la protection de forces surnaturelles. Dès la fin de l’époque classique, l’emploi du propulseur, arme de prédilection des civilisations du Mexique central, est attesté dans les basses terres.
Le propulseur
Le propulseur, ou atlatl en nahuatl (la langue des Aztèques), est une arme faite à partir d’un bâton muni d’un crochet sur lequel se place une grande flèche. Celui de Méso-Amérique a la particularité d’être muni de deux œillets dans lesquels se placent l’index et le majeur de la main qui lance. L’arme, prolongeant le bras de l’homme, agit comme un levier donnant plus de puissance au jet. La force de poussée est 60 % supérieure à celle d’une lance projetée à la main. Le pouvoir pénétrant en est d’autant plus important. La vitesse des flèches dépasse facilement 160 km/h, avec une portée de 160 à 180 m, et une précision, à 30 m, de l’ordre du décimètre et de la taille d’un bison à 60 m. Un atlatl aurait la même puissance qu’un arc compound tendu à six livres, libérant les projectiles à des vitesses équivalentes. Les flèches du propulseur ayant une masse plus importante, elles ont un pouvoir perforant supérieur et un impact foudroyant. D’après le témoignage du soldat Bernal Diaz Del Castillo qui accompagna Cortés lors de la conquête du Mexique, les flèches de propulseur pouvaient aisément transpercer une armure ou des cottes de mailles.
Des guerriers aristocrates
Tel que l’on peut le voir sur les monuments sculptés de Yaxchilán, ou sur les linteaux et les peintures murales de Bonampak, sur les rives de l’Usumacinta, la guerre menée par les Mayas était faite de combats au corps à corps au cours desquels était mise en avant la prouesse individuelle plutôt que la discipline de groupe. La guerre aurait alors été une quête de gloire personnelle destinée à mettre en exergue le courage et l’habileté de l’individu. La pratique consistant à rapporter, comme trophées, les têtes décapitées des ennemis vaincus, indique le souci de pouvoir prouver et comptabiliser les actes guerriers. Cela suggère l’importance sociale de la guerre chez les Mayas et la valeur qu’ils attachaient aux actes de bravoure. Un tel comportement dans une société agraire pourrait indiquer que la guerre était une activité réservée à l’aristocratie. Cette idée semble confortée par le fait que, dans l’artmaya, sont représentés des guerriers individualisés dont on peut parfois relever le nom et le titre.
Une « démocratisation » de la guerre ?
Au Classique final et au Post-classique (950-1500), dans les basses terres du nord, les représentations mettent en scène des guerriers non individualisés, tous habillés à l’identique. Cela traduirait un changement social important : le passage d’une société élitiste à des structures plus égalitaires, privilégiant un système d’avancement social basé sur le mérite. Simultanément à ce phénomène, apparaît dans les scènes de combat le propulseur. L’utilisation de cette arme entraîne un changement dans les tactiques guerrières. Arme de jet, elle est utilisée pour harceler l’ennemi, couvrir les manœuvres des fantassins, notamment lors d’une retraite, ou encore briser les charges adverses. L’emploi de projectiles implique des batailles en ordre rangé. En effet, du fait de leur faible précision au-delà de 50 m et de l’ampleur du mouvement nécessaire à leur emploi, les propulseurs semblent n’être efficaces que contre des troupes en lignes compactes. L’utilisation du propulseur impliquerait l’affrontement de formations relativement importantes dans des guerres de type conventionnel et non de petits groupes de guerriers dans des actions de type guérilla. L’utilisation de cette arme suggère une organisation des combattants en unités et de la discipline pour les manœuvres.
Une colonisation difficile
La guérilla a rendu la conquête de leur territoire très difficile aux aventuriers espagnols. Au XVIe siècle, seul le nord du Yucatán et quelques points de la côte sont tombés, pour le reste, il fallut attendre la fin du XVIIe siècle. Puis il y eut encore de nombreux conflits entre communautés mayas et pouvoir central, notamment la sanglante guerre des Castes, entre 1847 et 1853 au Yucatán, dont les premiers soubresauts se font sentir dès 1782. Il faut le dire, les Mayas n’ont jamais abandonné la lutte et n’ont jamais été totalement vaincus. Actuellement, on évalue le nombre de Mayas à 7 millions d’individus, dont 5 au Guatemala.