Scènes impériales nées du pinceau de Sauvage
Le Belge d’origine Piat-Joseph Sauvage (Tournai, 1744-1818), alors sujet du Grand Empire français, peint entre octobre 1806 et avril 1810, probablement entre juillet 1807 et décembre 1808, deux trompe-l’oeil à l’antique. Ces deux plaques peintes façon camée forment une paire et se répondent par leur sens de lecture.
Christophe Beyeler, conservateur en chef du patrimoine, chargé du musée Napoléon Ier au château de Fontainebleau
Entrée trimphale du souverain
Napoléon, debout dans un char tiré par quatre chevaux, est représenté faisant son entrée triomphale dans une ville – probablement sa capitale. Minerve retient de sa main droite par une bride quatre chevaux. Ce quadrige s’inspire des chevaux de Saint-Marc, ôtés à Venise en 1797 et placés en 1807 sur l’arc de triomphe du Carrousel dans la cour des Tuileries, siège du pouvoir impérial. Un personnage féminin coiffé d’une muraille crénelée, une Ville par convention iconographique, présente à l’Empereur les clefs de la cité sur un plateau. Derrière l’imperator triumphans, la Victoire, tenant une palme dans sa main gauche, tend une couronne au-dessus de la tête du vainqueur. Elle est suivie de figures ailées, vêtues à l’antique, portant des drapeaux pris à l’ennemi, et de soldats bien réels de la Garde impériale, identifiables sans conteste par leur bonnet à ourson, défilant en rangs serrés, les fusils posés sur l’épaule formant une forêt de baïonnettes qui peuplent l’angle supérieur gauche du bas-relief factice. Au mouvement dextrogyre de cette première plaque répond l’action de l’autre, certes plus statique mais dont le parti de composition entraîne le regard vers la gauche.
Le souverain récompensant le mérite
Sur la seconde plaque, la scène se comprend de droite à gauche. Une figure ailée agenouillée puise dans un coffret ouvragé des croix (étoiles, disait-on alors) de la Légion d’honneur. Suivent quatre personnages, dont un enfant agitant en l’air un étendard, une Victoire et une Minerve casquée présente au côté de l’Empereur, lui tendant des croix de la Légion d’honneur. Le souverain est assis sur son trône, orné du monogramme N entouré d’un cercle formé d’un serpent qui se mord la queue : c’est Ouroboros, symbole du renouveau et de refondation, motif ancien remis au goût du jour, vocabulaire puisé dans le répertoire maçonnique très employé sous l’Empire. Napoléon tient en guise d’attribut du pouvoir un sceptre long comme celui que Girodet lui donnera en 1812 pour son monumental Napoléon en souverain législateur (château de Fontainebleau, musée Napoléon Ier, oeuvre préemptée en 2005), mais curieusement ici doté à son extrémité non d’une aigle, mais d’une main de justice. L’Empereur porte le costume du couronnement : grand manteau fourré d’hermine, collerette de dentelle, et il est doublement couronné : il porte sur le front une couronne de laurier à l’antique, et sur la tête une couronne orfévrée impériale. Il remet l’étoile de la Légion d’honneur, distinction militaire et civile, à ceux qui l’ont méritée, au premier rang desquels le demi-dieu Hercule, naguère allégorie du peuple français insurgé sous la Révolution, cantonné sous l’Empire dans le rôle de symbole de la valeur militaire. Les Arts sont aux pieds du souverain, symbolisés par un amoncellement d’attributs : buste de la Sculpture, palette et pinceaux de la Peinture, globe de la Géographie, sur fond d’un trophée militaire hérissé de deux drapeaux entrecroisés. Une statue de joueuse de flûte double, inspirée de l’antique, est juchée sur un fût de canon, exactement situé au point axial de la composition, en un discret rappel de l’origine du pouvoir du petit lieutenant d’artillerie devenu Empereur. Plus à gauche, une femme assise inscrit sur un bouclier des noms de victoires, sans souci orthographique : Autreliz, Inna, Maringo, la deuxième mention datant cette oeuvre nécessairement d’après le 14 octobre 1806.
Un maître du décor à l’antique
Artiste accompli, reconnu – son morceau de réception en 1783 à l’Académie royale de Peinture et de Sculpture, Une Table garnie d’un tapis de Turquie, est aujourd’hui encastré dans la boiserie du salon d’Angle de l’appartement du Pape au château de Fontainebleau –, le peintre Piat-Joseph Sauvage passe une première partie de sa carrière à peindre des décors à l’antique dans des intérieurs, notamment dans les palais royaux français. Pour le château de Fontainebleau, il peint les dessus-de-porte de plusieurs pièces des Grands Appartements réaménagés dans les dernières années de l’Ancien Régime : un cycle de six Sacrifices à Mercure pour le Salon des Jeux de la Reine, des scènes à l’antique illustrant La Toilette et le sommeil pour la Chambre de la Reine (1787), et des Enfants jouant et folâtrant (1786) pour le Cabinet à la poudre du roi – qui deviendra la chambre de l’Empereur en 1808. Il exécute de même des dessus-de-porte pour la salle à manger de Louis XVI – transformée en salon topographique par Napoléon.
Un accent politique au sein d’une oeuvre néoclassique
À la Révolution, Sauvage perd ses clients et se reconvertit dans des genres différents, comme les portraits en miniature et la peinture sur porcelaine ou sur marbre. Spécialiste des allégories, après avoir travaillé chez Dihl, il exécute occasionnellement sous l’Empire des travaux pour la Manufacture impériale de Sèvres, tels les bandeaux illustrés de scènes antiques, Sacrifices et danses, d’une paire de vases Percier livrée pour le service du palais impérial de Rambouillet. Ces scènes sont le prolongement d’un néoclassicisme aimable et décoratif, dénué de charge politique. La paire de plaques mobilise en revanche le thème du héros martial et victorieux qui domine aux alentours de 1807, soit au lendemain de la paix de Tilsit. Le maître du Grand Empire englobant les départements belges attend de ses sujets, anciens ou récents, des oeuvres riches de louange picturale envers le pouvoir impérial – exigence à laquelle se plie Piat-Joseph Sauvage, qui tente de vivre de son pinceau au service des commanditaires successifs ou des clients potentiels, au gré des changements de régime. Enrôlant son talent dans le concert de la propagande impériale, Sauvage use ici d’un accent néoclassique jamais aussi accusé que pour peindre la gloire de Napoléon-le-Grand.