Au musée Soulages et à la BnF, Geneviève Asse peint la vie en bleu

Vue de l'exposition « Geneviève Asse. Le bleu prend tout ce qui passe. » au musée Soulages de Rodez. Photo service de presse. Photo Estadiieu © Adagp, Paris, 2025
Figure de l’art contemporain aussi marquante que discrète, Geneviève Asse (1923-2021) fait l’objet de deux expositions. Si le musée Soulages de Rodez offre un panorama de l’ensemble de son œuvre depuis ses premières natures mortes, la Bibliothèque nationale de France dévoile ses délicats carnets, la part la plus intime de sa création.
C’est bien loin de sa Bretagne natale qui ne cessa d’imprégner son œuvre que Geneviève Anne Marie Bodin, connue sous le pseudonyme de Geneviève Asse, est à l’honneur. Au cœur de l’Aveyron, sur les cimaises du musée Soulages qui fête ses 10 ans, la magicienne du bleu retrouve avec bonheur le maître de l’Outrenoir, son contemporain qu’elle a eu l’occasion de côtoyer dès le début de sa carrière.
Des bleus « soigneusement éreintés »
Parmi les soixante-dix œuvres prêtées par le Fonds de dotation Geneviève Asse, le Centre Pompidou ainsi que quelques grands musées, galeristes et collectionneurs, les bleus « soigneusement éreintés » dont elle a fait sa signature dominent bien sûr, et l’on se laisse happer par ses grandes toiles qui, depuis les années 1970, expriment avec une infinie sensibilité sa passion pour la mer et le ciel autant que sa quête inlassable de lumière. « L’air possède une couleur / Bleu : il prend tout ce qui passe », confie l’artiste dans ses poétiques Notes par deux (2003).
Geneviève Asse, Composition, 1970. Huile sur toile, 220 x 160 cm. Paris, Fonds de dotation Geneviève Asse. Photo service de presse. © Catalogue raisonné / Laurentin © Adagp, Paris, 2025
Retour aux sources
Toutefois, Benoît Decron, directeur du musée et co-commissaire de l’exposition, voulait ici revenir aux sources et faire la part belle aux sobres natures mortes qu’elle brosse dès 1940. « Ces compositions ascétiques qui vont progressivement évoluer vers des aplats rectangulaires abstraits sont au cœur du parcours, réunis dans deux salles qui en sont comme les poumons. » Un parti pris éclairant, car face à ces intérieurs silencieux aux teintes sourdes occupés par des fenêtres, quelques boîtes, verres, châssis ou objets de son modeste quotidien, l’on comprend pleinement le cheminement de l’artiste vers la progressive disparition du motif. Dans L’Atelier, Fenêtre ouverte sur la plage ou Bouteilles, datées des années 1940, on perçoit déjà en germe l’abstraction ambiguë que développera bientôt cette admiratrice de Jean Siméon Chardin, Georges Braque ou Giorgio Morandi.
Geneviève Asse, Nature morte à la chaise Louis XVI, 1946-1948. Huile sur toile, 116 x 81 cm. Paris, Fonds de dotation Geneviève Asse. Photo service de presse. © Catalogue raisonné / Laurentin © Adagp, Paris, 2025
La liberté pour guide
Solitaire et discrète, Geneviève Asse n’en a pas moins l’engagement chevillé au corps ; membre de l’Union nationale des étudiants de France et des Forces françaises intérieures pendant la Seconde Guerre mondiale, elle participe à la libération du camp de Theresienstadt. La détermination et la soif de liberté ont marqué de manière sous-jacente tout l’œuvre de cette artiste instinctive qui travaille d’un jet, sans repentir. Quand elle peint, « on dirait qu’elle reproduit le trajet d’un oiseau dans l’espace » affirme l’écrivain Hector Bianciotti (1975).
Et si, après une première exposition personnelle à la galerie Michel Warren à Paris (1954), on la retrouve régulièrement au salon des Réalités Nouvelles, son besoin d’indépendance l’amène à ne s’affilier à aucune chapelle. Cette liberté nécessaire se retrouve dans les portes et fenêtres ouvertes de ses toiles de maturité, dans les vastes paysages atmosphériques nimbés de lumière.
Geneviève Asse, Fenêtre ouverte sur la plage, 1953. Fonds de dotation Geneviève Asse, Paris. Photo service de presse. © Catalogue raisonné / Laurentin © Adagp, Paris, 2025
Vers une autre écriture
L’exposition ruthénoise rappelle qu’Asse aimait jongler entre différents formats et confiait d’ailleurs : « c’est aussi difficile de faire tenir une forme sur une grande surface que sur une petite surface ». Si les divers médiums auxquels elle s’est essayée ne sont pas tous réunis, une longue vitrine déploie un ensemble de documents, gravures et carnets. Séduite par le trait incisif du burin et de la pointe sèche, c’est en autodidacte que l’artiste passe du dessin à la gravure dans laquelle elle trouve une nouvelle forme d’écriture. Ce médium lui permet de dialoguer avec les poètes, d’accompagner les mots de Michel Butor, Francis Ponge, Yves Bonnefoy ou encore Silvia Baron Supervielle. Gardienne de son œuvre, cette dernière a d’ailleurs fait don à la BnF en 2022 de vingt-cinq de ces carnets qu’Asse définissait elle-même comme « de petits livres de poche peints, sans texte » ; supports d’une « autre écriture : un langage de couleur et d’espace ». L’institution parisienne dévoile dans la galerie des donateurs ces carnets, leporellos, cahiers de calligraphie et livrets de fabrication traditionnelle ; autant de supports intimistes propices aux explorations les plus diverses, qui dialoguent avec un florilège de livres d’artistes et une vingtaine d’estampes aux titres évocateurs : Ouverture verticale, Double Lumière, Cercle rouge, Liberté…
Geneviève Asse, Ile-aux-Moines (extrait d’un carnet), 1992. Paris, BnF, département des Estampes et de la Photographie. Photo service de presse. © Adagp, Paris, 2025
« Geneviève Asse. Le bleu prend tout ce qui passe. », jusqu’au 18 mai 2025 au musée Soulages, jardin du Foirail, avenue Victor Hugo, 12000 Rodez. Tél. 05 65 73 82 60. musee-soulages-rodez.fr
Catalogue, musée Soulages Rodez, 144 p., 25 €.
« Geneviève Asse. Carnets », jusqu’au 25 mai 2025 à la Bibliothèque nationale de France, site François Mitterrand, galerie des donateurs, quai François Mauriac, 75013 Paris. Tél. 01 53 79 59 59. www.bnf.fr