Caillebotte à Orsay : 5 chefs-d’œuvre au masculin qui traduisent la modernité de l’artiste

Paul Perrin, commissaire de l'exposition, devant le chef-d’œuvre prêté par Chicago, Rue de Paris, temps de pluie, 1877.

Paul Perrin, commissaire de l'exposition, devant le chef-d’œuvre prêté par Chicago, Rue de Paris, temps de pluie, 1877. Photo service de presse. © Photo Musée d'Orsay - Allison Bellido

Le 21 février 1894, disparaissait prématurément Gustave Caillebotte, emporté par une congestion cérébrale à l’âge de 45 ans. 130 ans plus tard, le musée d’Orsay, qui s’est offert en 2022 sa Partie de bateau (vers 1877-1878), grâce au mécénat exclusif du groupe LVMH, rend enfin un véritable hommage à l’artiste qui fit entrer l’impressionnisme dans les collections nationales. Afin d’orchestrer cette exposition d’une ampleur internationale, l’institution s’est associée au J. Paul Getty Museum de Los Angeles, qui a accueilli en 2021 le sublime Jeune homme à sa fenêtre (1876), et à l’Art Institute de Chicago, qui conserve la célèbre Rue de Paris, temps de pluie (1877). Explorant en près de 70 œuvres la thématique de la figure masculine, elle entend renouveler le regard que nous portons sur Caillebotte. Décryptage en 5 toiles emblématiques.

Une femme en ligne de mire

À l’occasion du legs à l’État de la collection de Caillebotte, son frère Martial, Auguste Renoir et Claude Monet ont décidé qu’un tableau qu’il avait peint le compléterait. Alors que le choix se portait sur Les Raboteurs de parquet, Monet a fait valoir, sans succès, qu’opter pour Jeune Homme à sa fenêtre serait plus audacieux. L’œuvre était novatrice, conjuguant une habile perspective avec un premier plan entre ombre et lumière et une figure à contre-jour. À l’opposé des impressionnistes, Caillebotte n’hésitait pas à introduire une narration dans ses tableaux. Ici, il montre l’un de ses frères suivant du regard une femme qui s’éloigne.

Gustave Caillebotte (1848-1894), Jeune homme à sa fenêtre, 1876. Huile sur toile, 116 x 80 cm. Los Angeles, J. Paul Getty Museum.

Gustave Caillebotte (1848-1894), Jeune homme à sa fenêtre, 1876. Huile sur toile, 116 x 80 cm. Los Angeles, J. Paul Getty Museum. Photo service de presse. © Image Courtesy of the The J. Paul Getty Museum

Célébrer le progrès

Conservée au Kimbell Art Museum de Fort Worth, cette variante du célèbre Pont de l’Europe présente une composition audacieuse. Des deux personnages coupés par le cadre, l’un regarde vers le bas et l’autre part à gauche, direction liée au passé dans l’imaginaire occidental. À droite, le peintre ouvre une perspective sous les arches très graphiques du pont. Un homme de dos, figure principale du tableau, observe dans cette direction la fumée du train, l’un des emblèmes de la modernité dans ces années 1870. Il s’agit peut-être de Caillebotte lui-même, partisan du progrès et inventeur reconnu aussi bien pour sa méthode de classement de sa collection de timbres que dans l’architecture navale.

Gustave Caillebotte (1848-1894), Le Pont de l’Europe, vers 1877. Huile sur toile, 105,7 x 130,8 cm. Fort Worth, Kimbell Art Museum.

Gustave Caillebotte (1848-1894), Le Pont de l’Europe, vers 1877. Huile sur toile, 105,7 x 130,8 cm. Fort Worth, Kimbell Art Museum. Photo service de presse. © RMN-Grand Palais (musée d’Orsay) / Martine Beck-Coppola

Quand Caillebotte inspire Manet ?

Les artistes fréquentaient les cafés comme le Guerbois ou la Nouvelle Athènes, où Manet et Degas ont situé plusieurs de leurs œuvres. Ici, Caillebotte a peut-être peint le Riche, dont les baies sur le boulevard des Italiens étaient équipées de stores rayés. Il fait poser l’un de ses amis, probablement Albert Courtier, qui, dos à un miroir, jette un regard mélancolique vers deux autres hommes attablés près des fenêtres. L’historienne de l’art Françoise Cachin a émis l’idée que ce tableau, présenté à la cinquième exposition impressionniste, ait pu inspirer à Manet son Bar aux Folies Bergère (1881-1882).

Gustave Caillebotte (1848-1894), Dans un café, 1880. Huile sur toile, 155 x 115 cm. Paris, musée d’Orsay, en dépôt au musée des Beaux-Arts de Rouen.

Gustave Caillebotte (1848-1894), Dans un café, 1880. Huile sur toile, 155 x 115 cm. Paris, musée d’Orsay, en dépôt au musée des Beaux-Arts de Rouen. Photo service de presse. © RMN-Grand Palais (musée d’Orsay) / Martine Beck-Coppola

L’intimité au masculin

Caillebotte était un grand admirateur de Degas, malgré les difficultés qu’il rencontrait à cause de l’autoritarisme dont il faisait preuve dans l’organisation des expositions impressionnistes. Depuis la fin des années 1870, l’un des motifs de prédilection du peintre des danseuses était la femme nue à sa toilette. Le sujet trouve un écho chez Caillebotte : il lui achète le pastel de la Femme sortant du bain (1876-1877) et décide de le présenter à l’exposition impressionniste de 1877. Peinte quelques années plus tard, cette figure d’homme s’essuyant énergiquement près de sa baignoire pourrait constituer une réponse à Degas : l’intimité étant à l’époque perçue comme uniquement féminine, le sujet masculin choisi par Caillebotte se révèle d’une modernité absolue.

Gustave Caillebotte (1848-1894), Homme au bain, 1884. Huile sur toile, 144,8 x 114,3 cm. Boston, Museum of Fine Arts, acheté en 2011 avec le concours de plusieurs mécènes.

Gustave Caillebotte (1848-1894), Homme au bain, 1884. Huile sur toile, 144,8 x 114,3 cm. Boston, Museum of Fine Arts, acheté en 2011 avec le concours de plusieurs mécènes. Photo service de presse. © 2024, Museum of Fine Arts, Boston

Une amicale provocation ?

Monet et Renoir ont tiré de charmantes scènes des rivières d’Île-de-France, encombrées le dimanche de yoles et de périssoires. Caillebotte, lui, était un yachtman : lorsqu’il montre des canotiers, ce sont de vrais sportifs. Cette Partie de bateau stimule l’imagination car l’homme au visage concentré qui y rame vigoureusement arbore haut de forme et nœud papillon. S’agit-il d’une provocation amicale envers les impressionnistes ? Le paysage pourrait avoir été peint par l’un d’entre eux, mais la composition est inusitée : peut-être issue d’une photographie, la scène est vue par le barreur et offre une saisissante profondeur de champ.

Gustave Caillebotte (1848-1894), Partie de bateau, vers 1877-1878. Huile sur toile, 89,5 x 116,7 cm. Paris, musée d’Orsay, acquis grâce au mécénat exclusif de LVMH, 2022.

Gustave Caillebotte (1848-1894), Partie de bateau, vers 1877-1878. Huile sur toile, 89,5 x 116,7 cm. Paris, musée d’Orsay, acquis grâce au mécénat exclusif de LVMH, 2022. Photo service de presse. © RMN-Grand Palais (musée d’Orsay) / Sophie Crépy

« Caillebotte. Peindre les hommes », jusqu’au 19 janvier 2025 au musée d’Orsay, Esplanade Valéry Giscard d’Estaing, 75007 Paris. Tél. 01 40 49 48 14. www.musee-orsay.fr

Catalogue Hazan/musée d’Orsay, 256 p., 45 €.