Du suprématisme au contructivisme : les avant-gardes européennes célébrées à Lee Ufan Arles

Peter Lászlo Péri (1899-1967), Wandgestaltung, 1924 (1960, impression). Lithographie en couleur sur papier, 33,5 × 46,5 cm. Budapest, Museum of Fine Arts.

Peter Lászlo Péri (1899-1967), Wandgestaltung, 1924 (1960, impression). Lithographie en couleur sur papier, 33,5 × 46,5 cm. Budapest, Museum of Fine Arts. Photo service de presse. © Museum of Fine Arts, Budapest, 2024

Pour la première fois, la fondation Lee Ufan Arles dédie une exposition à un mouvement historique en faisant la lumière sur les avant-gardes européennes et de l’Est, entre 1915 et 1928.

Environ trente dessins, lithographies, tableaux, sculptures sont présentés dans l’espace d’exposition temporaire MA de Lee Ufan Arles. Questionnant la peinture et ses modes de représentation, ces œuvres dites « non objectives » constituèrent, durant les premières décennies du XXe siècle, un vocabulaire pictural inédit. Pour la première fois, formes et couleurs étaient libérées du réel. Dans les deux salles du second étage, l’accrochage sobre du commissaire américain Matthew Drutt laisse les œuvres parler d’elles-mêmes.

« Les œuvres de Malévitch semblent en apparence marquées par le langage des mathématiques et de la géométrie. En fait, elles sont souvent imparfaites, et dessinées intuitivement. Malévitch propose un art anti-rationnel, évocateur d’une recherche d’une nouvelle réalité. »

Matthew Drutt, commissaire de l’exposition

Malévitch en maître

Le point de départ de l’exposition ? L’admiration du Coréen et maître des lieux Lee Ufan (né en 1936) pour Casimir Malévitch (1879-1935), chantre du suprématisme (1915-1925) et les avant-gardes européennes. Sur les cimaises, des œuvres d’El Lissitzky (1890-1941), adepte du constructivisme (1917-1930), mais aussi d’artistes moins connus comme, entre autres, Gustav Klocis, Katarzyna Kobro, Sergei Senkin, Władysław Strzemiński, expriment une plasticité enracinée dans l’esthétique industrielle. Les formes géométriques des lithographies de la série « 6. Kestner-Mappe Konstruktionen » de 1923, du Hongrois László Moholy-Nagy (1895-1946), dialoguent avec celles de dessins de 1915, à l’épure irrégulière, de l’auteur du Carré noir sur fond blanc. « Les œuvres de Malévitch semblent en apparence marquées par le langage des mathématiques et de la géométrie, explique le commissaire. En fait, elles sont souvent imparfaites, et dessinées intuitivement. Malévitch propose un art anti-rationnel, évocateur d’une recherche d’une nouvelle réalité. »

Sergei Senkin (1894-1963), Construction of Three Forms  (UNOVIS), 1919. Huile sur contreplaqué,  49,8 x 41 cm. Thessalonique, Museum of Modern Art (MOMus).

Sergei Senkin (1894-1963), Construction of Three Forms (UNOVIS), 1919. Huile sur contreplaqué, 49,8 x 41 cm. Thessalonique, Museum of Modern Art (MOMus). Photo service de presse. © MOMus-Museum of Modern Art, Greece

Faktura, la texture à l’œuvre

Au-delà d’une abstraction presque « sentimentale », l’aspect quasi brut de certaines œuvres, proches de l’esprit Dada, interpelle. Sur une cimaise, Space construction 18 du Hongrois Peter Lászlo Péri (1899-1967) présente un relief en béton coloré, aux formes irrégulières. « Leurs pièces incorporaient souvent la nature texturale de matériaux comme le plâtre, le bois, le métal, renchérit-il. C’est ce que l’on appelait « Faktura », à savoir que les textures des matériaux avaient une relation plastique à l’œuvre d’art. » Un peu plus loin, le mobile en métal, Suspended construction 2, réalisé entre 1921 et 1922 par la Russe Katarzyna Kobro (1898-1951), joue avec la lumière et l’espace, à côté d’un rare ensemble de peintures architecturales du Polonais Władysław Strzemiński (1893-1952), datées de 1926. Éclairé par un livret-journal, le parcours permet d’appréhender les racines de l’œuvre de Lee Ufan, tout en faisant la lumière sur ces avant-gardes, dont les œuvres proviennet d’institutions parfois méconnues. On note, parmi d’autres, quelques pièces du musée Sztuki à Lódź, en Pologne, du Kunstmuseum Bochum, en Allemagne, ou encore du Petöfi Literary museum-Kassák de Budapest, en Hongrie.

Peter Lászlo Péri (1899-1967), Space Construction 18, 1922 (1950s artist reconstruction). Béton, 53 x 88 x 2 cm. Budapest, Museum of Fine Arts.

Peter Lászlo Péri (1899-1967), Space Construction 18, 1922 (1950s artist reconstruction). Béton, 53 x 88 x 2 cm. Budapest, Museum of Fine Arts. Photo service de presse. © Museum of Fine Arts, Budapest, 2024

Lee Ufan Arles, l’art de la résonnance

Ouvert depuis 2022, Lee Ufan Arles abrite aussi une partie de la collection personnelle du leader du mouvement d’avant-garde Mono-Ha. Sur les 1 350 m² et trois niveaux de l’hôtel Vernon, construit entre le XVIe et le XVIIIe siècle, soixante œuvres, dont une douzaine d’installations-sculptures, des toiles, encres, aquarelles et crayons trouvent leur plénitude. Conçue avec son ami l’architecte Tadao Ando, Ciel sous terre ouvre le parcours. Dans une cour intérieure, l’installation Relatum / Fontaine en pierre joue avec la minéralité du bâti. Au premier étage, la trace répétitive d’une peinture portée à son point d’exaspération s’illustre dans les séries « From line », « From point » et « With wind », des années 1970 à 1990. Mais aussi sur de grands formats plus récents, où Lee Ufan use de couleurs appuyées et d’une touche plus vibrante. On ne s’en lasse pas.

Lee Ufan (né en 1936), Fontaines de pierre, 2022.

Lee Ufan (né en 1936), Fontaines de pierre, 2022. Photo service de presse. © Lee Ufan Arles

« Shape-Space-Form-Faktura, l’art non objectif en Europe centrale et de l’Est, entre 1915 et 1928 », jusqu’au 12 janvier 2025 à Lee Ufan Arles, Hôtel Vernon, 5 rue Vernon, 13200 Arles. Tél. 09 78 07 83 26. www.leeufan-arles.org