Ensor à Anvers : quatre expositions célèbrent le maître de l’ironie grinçante
Pour clore en beauté les célébrations organisées 75 ans après la mort de James Ensor (1860-1949), la ville d’Anvers accueille actuellement pas moins de quatre expositions. Deux d’entre elles sont centrées sur l’œuvre de ce peintre et graveur révolutionnaire, tandis que les deux autres tissent des liens inattendus avec des photographes et créateurs de mode contemporains. Ces manifestations composent une passionnante plongée dans l’univers complexe et singulier de ce chantre de l’art moderne.
Issu d’une famille de la petite bourgeoisie d’Ostende où il a passé l’essentiel de sa vie, puisant l’inspiration dans le magasin de souvenirs de sa mère, James Ensor est aujourd’hui célébré comme le maître de l’ironie grinçante. En s’appuyant notamment sur les recherches menées dans le cadre du Ensor Research Project lancé en 2023 par le KMSKA (musée royal des Beaux-Arts d’Anvers), les expositions organisées en Belgique tout au long de l’année jettent un jour nouveau sur sa vie et sa carrière, bien au-delà des tableaux de masques et de squelettes qui ont fait sa notoriété. Les fils rouges des quatre dernières manifestations déployées à Anvers sont multiples. En confrontant Ensor à des artistes aussi différents que Rembrandt, Édouard Manet, Genieve Figgis ou Cindy Sherman, ces expositions servies par des scénographies volontiers audacieuses mettent assurément l’accent sur le non-conformisme et le goût pour la mise en scène que tous ont en partage.
Un graveur exigeant au Museum Plantin Moretus
Les amateurs d’Ensor ne manqueront pas de se rendre dans l’extraordinaire maison-atelier de la dynastie des Plantin Moretus, qui a vu se succéder neuf générations d’imprimeurs-éditeurs et abrite désormais un musée unique en son genre, le seul à être inscrit sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco. L’institution possède une collection de gravures modernes aussi importante que méconnue, et propose une éblouissante rétrospective de l’œuvre gravé d’Ensor en rassemblant quelque 200 estampes. Il a 26 ans lorsqu’il s’empare pour la première fois de l’exigeante technique de l’eau-forte, et n’aura dès lors de cesse de multiplier les expériences. Le parcours confronte les états successifs de nombreuses gravures et démontre combien ce médium s’adapte à merveille à son imagination débridée. Coloriste hors pair, le peintre exploite notamment les infinies possibilités offertes par l’aquarelle ou les crayons de couleur, se lançant même dans l’impression sur satin rouge ou jaune vif !
Plongée dans l’univers de la mode au MoMu
Lourds rideaux de velours, cimaises multicolores et éclairages spectaculaires contribuent à rappeler combien Ensor a été marqué par les carnavals, mascarades, théâtres populaires et autres spectacles de cabarets. Théâtralisant le quotidien de ses contemporains autant que sa propre existence, l’artiste met en scène d’innombrables personnages pour critiquer la société de son temps. Grimer, maquiller, costumer, masquer : autant de pratiques qui renvoient immanquablement à l’univers de la mode, comme le rappelle judicieusement le MoMu – musée de la mode d’Anvers. Des couturiers, maquilleurs, coiffeurs et photographes de renommée internationale, tels Martin Margiela, Inge Grognard, Issy Wood, Cyndia Harvey ou Harley Weir, engagent un dialogue ébouriffant avec Ensor. Et si ces créateurs contemporains ne font jamais de référence directe au pionnier de l’art moderne, on ne peut que saluer la pertinence du propos, jalonné de chefs-d’œuvre du maître.
Cindy Sherman, une fille spirituelle au FOMU
Le goût immodéré d’Ensor pour l’ironie, le grotesque et l’autoportrait, tout autant que sa volonté de casser les codes à travers un langage plastique pourtant redevable aux idéaux de la beauté classique, se retrouvent pleinement dans la démarche de l’artiste photographe américaine Cindy Sherman. Si quelques-uns de ses clichés espiègles sont exposés au MoMu, le FOMU – musée de la photographie d’Anvers consacre une belle rétrospective à la papesse du déguisement en mettant en lumière ses multiples collaborations avec les grandes maisons et magazines de mode. Jamais glamour, toujours provocatrice, l’artiste-caméléon place au cœur de son œuvre les questions d’identité pour nous interpeller sur notre rapport au genre, à l’âge et à la beauté.
Bien plus qu’une rétrospective au KMSKA
Abritant la plus importante collection d’œuvres de James Ensor, le musée royal des Beaux-Arts d’Anvers constitue plus que jamais un passage obligé pour tous les amateurs de l’artiste. Quelque 200 toiles, dessins et gravures retracent magistralement l’ensemble de sa carrière tout en mettant judicieusement en regard ses œuvres avec celles de peintres auxquels il s’est mesuré, de Rembrandt à Emil Nolde en passant par Gustave Courbet. Édouard Manet, Claude Monet et leurs pairs ont à l’évidence fasciné le jeune peintre, considéré comme le premier impressionniste de Belgique. Mais Ensor a toujours su transcender ces diverses influences pour façonner un œuvre profondément original et personnel.