La Galerie Borghèse hors-les-murs

Domenico Zampieri, dit Dominiquin (1581-1641), Sibylle (détail), 1617. Huile sur toile, 123 x 89 cm.

Domenico Zampieri, dit Dominiquin (1581-1641), Sibylle (détail), 1617. Huile sur toile, 123 x 89 cm. Photo service de presse. © Galleria Borghese / ph. Mauro Coen

Tandis qu’à Rome, la Galerie Borghèse se refait une beauté, une quarantaine de ses œuvres ont voyagé jusqu’à Paris. Une exposition-événement, qui réunit au musée Jacquemart-André Raphaël, Titien, Caravage et Bernin, collectionnés avec passion – et jusqu’à la déraison – par le tout-puissant cardinal Borghèse (1577-1633).

Perchée sur la colline du Pincio, non loin de sa célèbre voisine la villa Médicis, la Galerie Borghèse est un lieu préservé et unique, un palais lumineux ceint de jardins, construit tout spécialement par le cardinal Scipion Borghèse à partir de 1607 pour abriter sa collection, qu’elle renferme encore aujourd’hui entre ses murs étincelants de marbres polychromes. Œuvre d’art totale, devenue musée national en 1902, la Galerie ne se sépare qu’au compte-gouttes de ses trésors. Jamais un ensemble d’une telle ampleur – une quarantaine d’œuvres – n’était sorti d’Italie. Un prêt rendu possible par le lancement de travaux de rénovation dans le musée romain.

La collection de Scipion Borghèse

« Pour la première fois, on a l’occasion de visiter la collection de Scipion Borghèse à l’étranger », se félicite Francesca Cappelletti, sa directrice, et commissaire de l’actuelle exposition organisée au musée Jacquemart-André. Beaucoup trop lourds et fragiles pour être déplacés, les grands groupes sculptés de Bernin (tels Apollon et Daphné ou L’Enlèvement de Proserpine) n’ont pas quitté Rome. On regrette en revanche que le buste de Scipion Borghèse n’ait pas pu faire le voyage, car dans ce portrait de 1632 réalisé (en deux exemplaires) pour son mécène, le ciseau du jeune Bernin est parvenu à métamorphoser un bloc de marbre froid en être de chair, dont l’embonpoint et la bouche gourmande laissent deviner un caractère épicurien, pour ne pas dire roublard. L’appétit de Scipion ne connaissait en effet pas de limites, quand il s’agissait d’art… À défaut du buste original, une copie exécutée à la sanguine par Edme ­Bouchardon (prêt du Louvre) témoigne de la fascination durable exercée sur les artistes par ce marbre frémissant de vie.

Raffaello Sanzio, dit Raphaël (1483-1520), La Dame à la licorne, vers 1506. Huile sur toile marouflée sur bois, 67 x 56 cm.

Raffaello Sanzio, dit Raphaël (1483-1520), La Dame à la licorne, vers 1506. Huile sur toile marouflée sur bois, 67 x 56 cm. Photo service de presse. © Galleria Borghese / ph. Mauro Coen

Les coups pendables d’un cardinal-bandit

Neveu du pape Paul V, lequel, à peine élu, le fit cardinal, ­Scipion Borghèse fut « le prototype du collectionneur grandiose, insatiable et désordonné, sans projet précis de collection malgré quelques intuitions, ou plutôt illuminations, comme celle qui lui permit de repérer le talent hors du commun de Gian ­Lorenzo Bernini », selon les mots de Francesca Cappelletti dans le catalogue d’exposition. Promoteur du baroque naissant, amateur éclairé d’art contemporain (celui de Bernin, Caravage ou Dominiquin) et cardinal-bandit, telles étaient les multiples facettes de cet homme influent et sans scrupules, prêt à toutes les entourloupes pour s’emparer des œuvres qu’il convoitait ! Avec la complicité de son oncle, il fit ainsi main basse vers 1606 sur la Madone des palefreniers (commandée à Caravage par la confraternité romaine des palefreniers), puis sur la Déposition de Raphaël, sortie de nuit, dans des conditions rocambolesques, d’un couvent de Pérouse. Mais son plus beau coup reste l’arrestation, sur un prétexte fallacieux, du Cavalier d’Arpin, peintre romain très en vue – Caravage débuta dans son atelier – et grand collectionneur. Ses biens furent saisis, et plus de 100 tableaux tombèrent ainsi dans l’escarcelle du cardinal, parmi lesquels le Jeune Bacchus malade et son pendant, le Garçon à la corbeille de fruits, probable autoportrait et chef-d’œuvre de jeunesse de Caravage, présent dans l’exposition.

Michelangelo Merisi da Caravaggio, dit Caravage (1571-1610), Garçon à la corbeille de fruits, vers 1596. Huile sur toile, 70 x 67 cm.

Michelangelo Merisi da Caravaggio, dit Caravage (1571-1610), Garçon à la corbeille de fruits, vers 1596. Huile sur toile, 70 x 67 cm. Photo service de presse. © Galleria Borghese / ph. Mauro Coen

Un voyage dans la peinture italienne

D’autres joyaux de la collection Borghèse émaillent le parcours : l’élégante Sibylle (1617) de Dominiquin, peinture que Scipion acheta directement à l’artiste bolonais (après l’avoir fait emprisonner quelques jours pour faire pression sur lui !), l’éblouissant Portrait d’homme (vers 1476) d’Antonello de Messine, dont le visage empreint d’humanité, éclairé d’un léger sourire, semble littéralement sortir du tableau, ou encore la lumineuse Dame à la licorne (vers 1506) de Raphaël, très influencée par La ­Joconde. « Lorsque cette dernière sera nettoyée, on verra beaucoup mieux le rapport étroit entre les deux tableaux ! », souligne avec malice Pierre Curie, conservateur au musée Jacquemart-André et co-commissaire de l’exposition. La scénographie – confiée à Hubert Le Gall – évoque pour sa part la villa Borghèse et ses nombreux antiques, à travers des cimaises recouvertes de photographies en noir et blanc, agrandies et colorisées. Mais cet arrière-plan un peu kitsch se révèle chargé pour les espaces du musée Jacquemart-André, et interfère avec les tableaux exposés. Quelques exceptions cependant, puisque les chefs-d’œuvre emblématiques de la collection (comme le Garçon à la corbeille de fruits) ont eu droit à un fond uni, qui les met judicieusement en valeur.

Antonello de Messine (1430-1479), Portrait d’homme, vers 1476. Tempera et huile sur panneau, 31 x 25,2 cm.

Antonello de Messine (1430-1479), Portrait d’homme, vers 1476. Tempera et huile sur panneau, 31 x 25,2 cm. Photo service de presse. © Galleria Borghese / ph. Mauro Coen

« Chefs-d’œuvre de la Galerie Borghèse », jusqu’au 5 janvier 2025 au musée Jacquemart-André, 158 boulevard Haussmann, 75008 Paris. Tél. 01 45 62 11 59. www.musee-jacquemart-andre.com

Catalogue, Fonds Mercator, 208 p., 40 €.