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Le beau au service de l’industrie à Saint-Étienne 

Albert Maignan (1845-1908), La ville de Saint-Étienne présente à la France les produits de son industrie (détail), vers 1895-1896. Huile sur toile, 180,5 x 68 cm. Saint-Étienne, musée d’Art et d’Industrie-musée d’Art moderne et contemporain.

Albert Maignan (1845-1908), La ville de Saint-Étienne présente à la France les produits de son industrie (détail), vers 1895-1896. Huile sur toile, 180,5 x 68 cm. Saint-Étienne, musée d’Art et d’Industrie-musée d’Art moderne et contemporain. Photo service de presse. © Métropole, photo Yves Bresson

Fondé en 1889, le musée d’Art et d’Industrie de Saint-Étienne retrace son histoire à travers une foisonnante exposition. Tout droit sortis des usines locales, les chatoyants rubans, armes et bicyclettes dialoguent ici avec des peintures, tapisseries ou objets d’art spécifiquement acquis pour former l’œil des ouvriers. 

À la suite de l’Exposition universelle de Londres en 1851, le constat fut sans appel : la France enregistrait un sévère retard dans le domaine des arts industriels, face à la Grande-Bretagne et à ­l’Allemagne en particulier.

Promouvoir l’excellence industrielle

Septième ville de France en termes de population et de poids économique, Saint-Étienne va s’imposer naturellement comme un terrain d’expérimentation idéal pour le lobbyiste Marius Vachon, missionné par l’État dans le but de promouvoir l’excellence industrielle en améliorant la formation des ouvriers. Et si son projet n’a rien d’humaniste, il ne s’en accorde pas moins avec les velléités du maire radical socialiste de l’époque. En quelques mois, grâce à son important réseau, Vachon parvient à mettre sur pied le musée d’Art et d’Industrie, autour des collections municipales essentiellement liées aux deux principales industries de la cité : la rubanerie et l’armurerie. Une nouvelle ère s’ouvre pour l’institution déployée dans l’imposante bâtisse achevée en 1858 afin d’abriter la sous-préfecture (la ville ayant entre temps été hissée au rang de préfecture, elle en avait fait son Palais des arts).

Vue de l'exposition « L'ambition du beau » au musée d'Art et d'Industrie de Saint-Étienne.

Vue de l'exposition « L'ambition du beau » au musée d'Art et d'Industrie de Saint-Étienne. Photo service de presse. © Pierre Grasset / Ville de Saint-Étienne

La technique au service du beau

Jusqu’alors cantonné aux salons de quelques amateurs stéphanois, le beau va peu à peu sortir de la sphère privée pour devenir accessible à la population majoritairement ouvrière. Fort bien mise en valeur au début du parcours, l’hétéroclite collection d’objets d’art réunie par le dessinateur de fabrique et peintre Jean-Marc Ogier est ainsi acquise en 1912 par le musée. Statuettes médiévales et meubles de la Renaissance dialoguent ici avec des céramiques d’Asie et un précieux coffret de mariage italien marqueté. Aux nombreuses acquisitions d’arts décoratifs réalisées dès l’origine sous l’impulsion de Marius Vachon, s’ajoutent des dépôts de céramiques de Sèvres et des tapisseries du Garde-Meuble (aujourd’hui Mobilier national). Bien avant la naissance du design, l’ambition n’est pas de promouvoir les beaux-arts mais de célébrer les avancées techniques au service du beau ; en témoigne la première exposition temporaire consacrée, en 1890, aux superbes bijoux et vases historicistes de Jean-Claude Tissot, génie du damasquinage qui s’est fait une spécialité de l’incrustation d’or sur acier.

Esquisse pour ruban : guirlande de roses, Maison Troyet et Cie, Saint-Étienne, vers 1880-1914.

Esquisse pour ruban : guirlande de roses, Maison Troyet et Cie, Saint-Étienne, vers 1880-1914. Photo service de presse. © Musée d’Art et d’Industrie de Saint-Étienne

 Les beaux-arts entrent au musée

C’est à l’aube du XXe siècle que peintures et sculptures s’introduisent dans les collections : aux côtés des cycles, rubans ou verreries modernes alors promus par les grandes expositions internationales, des œuvres sont dès lors régulièrement acquises, le plus souvent auprès d’artistes locaux rarement avant-gardistes. L’achat de Nymphéas de Claude Monet en 1924 compte parmi les exceptions. Comme le souligne judicieusement l’exposition, bien que la modernité ne s’impose pas dans le musée, elle va investir les rues, tant par le biais de la réclame que par celui de l’architecture.

Jean Dunand (1877-1942), Portait de Madame Agnès (Agnès Rittener), vers 1925. Laque, tempera, collage, feuille d’or et d’argent et crayon sur bois, 81,5 x 50 cm. Saint-Étienne métropole, musée d’Art et d’Industrie.

Jean Dunand (1877-1942), Portait de Madame Agnès (Agnès Rittener), vers 1925. Laque, tempera, collage, feuille d’or et d’argent et crayon sur bois, 81,5 x 50 cm. Saint-Étienne métropole, musée d’Art et d’Industrie. Photo service de presse. © Yves Bresson

Un patrimoine architectural Art déco

Et si l’école municipale de dessin, devenue en 1884 l’école régionale des arts industriels, dispense un enseignement classique basé sur la copie des maîtres et des modèles anciens, les étudiants comme les ouvriers ne peuvent qu’être marqués par les bâtiments volontiers audacieux qui s’élèvent dans les nouveaux quartiers de cette ville en expansion. Dans les rues et dans les usines, on mesure, non sans étonnement, que les Stéphanois n’ont pas été emportés par la déferlante Art nouveau mais ont été gagnés par l’esthétique épurée de l’Art déco. Évoqué au sein du parcours, ce patrimoine architectural des XIXe et XXe siècles qui a valu à Saint-Étienne le label de Ville d’art et d’histoire mérite bien sûr d’être découvert in situ, aux hasards d’une flânerie ou dans le cadre des balades urbaines organisées spécifiquement pour accompagner l’exposition.

La maison sans escaliers.

La maison sans escaliers. Photo service de presse. © Ville d’art et d’histoire de Saint-Étienne

« L’ambition du beau », jusqu’au 9 novembre 2025 au musée d’Art et d’Industrie, 2 place Louis Comte, 42026 Saint-Étienne. Tél. 04 77 49 73 00. mai.saint-etienne.fr

Catalogue, SilvanaEditoriale, 152 p., 25 €.