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Le Mobilier national fait revivre le dernier sacre

Vue de la scénographie de l’exposition « Le Dernier sacre » signée Jacques Garcia.

Vue de la scénographie de l’exposition « Le Dernier sacre » signée Jacques Garcia. © Actu-culture.com / OPM

Le 29 mai 1825 a lieu à Reims le dernier sacre d’un monarque français, le roi Charles X (1757-1836), monté sur le trône à la mort de son frère Louis XVIII (1755-1824). Deux siècles plus tard, le Mobilier national commémore l’événement dans une exposition présentant les plus beaux témoignages matériels qui subsistent de la cérémonie. Aux meubles et ornements issus des collections du Mobilier national, pour beaucoup identifiés et restaurés à cette occasion, et visibles pour la première fois depuis 1825, s’ajoutent des œuvres inédites conservées dans d’autres collections publiques françaises ou chez des particuliers, collectionneurs ou héritiers de personnalités qui assistèrent à l’événement. 

Passé totalement aux oubliettes de l’histoire de France, le dernier sacre français sort de ses cartons à la Galerie des Gobelins. Sous la houlette de Stéphane Bern, Hélène Cavalié et Renaud Serrette, l’exposition est l’occasion de découvrir l’époque méconnue de la Restauration et la floraison des arts décoratifs sous toutes ses formes à un moment de point d’orgue du luxe.

François Gérard (1770-1837), Charles X dans le grand habillement du sacre, 1824. Huile sur toile, 276 x 202 cm. Versailles, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon. Il demeure la meilleure effigie du souverain, distribuée aussi en cadeau diplomatique, notamment au duc de Wellington.

François Gérard (1770-1837), Charles X dans le grand habillement du sacre, 1824. Huile sur toile, 276 x 202 cm. Versailles, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon. Il demeure la meilleure effigie du souverain, distribuée aussi en cadeau diplomatique, notamment au duc de Wellington. © RMN-GP (château de Versailles) / Franck Raux

« Si les appartements ne sont pas prêts, je camperai ; si les cuisines ne sont pas prêtes, je jeûnerai ; mais le jour est irrévocable »

Charles X

Les éléments de la reconstitution

Au départ de ce projet, il y a un petit miracle, la redécouverte et l’identification de très nombreuses nouvelles pièces de décors utilisées en 1825. Sortent progressivement de l’oubli des velours violets et broderies en quantité, un dais, deux dais, trois dais, et bientôt de quoi recomposer fidèlement une des plus grandes cérémonies du XIXe siècle, pour son bicentenaire. Le visiteur peut assister pour la première fois depuis l’événement, en véritable invité, à chaque moment des préparatifs et de la cérémonie, heure par heure, dans de grandes scènes reconstituées. La prodigalité du luxe déployé met en valeur de manière spectaculaire la floraison artistique et décorative qui marqua la Restauration et annonçait, après les excès compassés du style Empire, l’éclectisme et la créativité du siècle. Floraison qui n’est pas sans paradoxe, les années 1820 sont aussi celles des premières machines-outils et du début de la mécanisation, signes avant-coureurs de l’affrontement à armes inégales qui va peu à peu condamner, face à la production de masse, d’innombrables métiers d’art manuels.

Dallemagne & Guibout (brodeurs), écusson au chiffre de Louis XVIII utilisé durant les obsèques royales, 1824. Paris, Mobilier national.

Dallemagne & Guibout (brodeurs), écusson au chiffre de Louis XVIII utilisé durant les obsèques royales, 1824. Paris, Mobilier national. © Isabelle Bideau

Une entrée dans l’ère romantique

En 1825, un jeune écrivain prometteur de 23 ans, fils de général de la Restauration, est invité au sacre des Bourbons qui veut « renouer avec la chaîne de l’histoire ». Victor Hugo découvre les grands décors peints dans la cathédrale et écrit le soir même une missive : « Cette décoration annonce encore le progrès des idées romantiques. Il y a six mois, on eût fait un temple grec ». Il n’est pas encore devenu le vieux sénateur républicain et trouve le 29 mai la cérémonie « enivrante ». Le décor complet de la cathédrale, préparé dans le plus grand secret sur de vastes toiles, offre sur la totalité de l’édifice un ensemble néogothique coloré et fascinant ; chaque espace a été compartimenté, jusqu’aux étages, en loges ornées de rideaux de velours rouge et d’écussons ; les allées sont moquettées, les billets d’invitation sont précis et numérotés. Devant le choc esthétique, le jeune écrivain par réflexe dit en entrant dans cette cathédrale métamorphosée : « Où est ma loge ? ». On raconte que c’est ici à Reims et à ce moment du sacre que germe l’idée de son immense succès, Notre-Dame de Paris.

Le visiteur est invité, comme Victor Hugo, à ce choc esthétique dont nous vous présentons ici les grands temps forts.

Robert Lefèvre (1755-1830), Portrait de Louis XVIII en costume de sacre, 1816. Huile sur toile, 292 x 217 cm. Versailles, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon.

Robert Lefèvre (1755-1830), Portrait de Louis XVIII en costume de sacre, 1816. Huile sur toile, 292 x 217 cm. Versailles, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon. © château de Versailles, Dist. RMN-Grand Palais / Christophe Fouin

Le roi est mort : vive le roi !

En 1814, Napoléon Ier, empereur des Français depuis 1804, a abdiqué face aux puissances européennes coalisées. En exil depuis le début de la Révolution, le frère de Louis XVI est alors appelé sur le trône de France sous le nom de Louis XVIII. Pendant les dix années de son règne (1814-1824), le nouveau roi mène une politique d’apaisement et de modération qui vise à réconcilier les Français divisés par la Révolution et l’Empire et à redresser l’économie fragilisée par les guerres napoléoniennes. À plusieurs reprises, il émet le vœu de se faire sacrer comme les rois ses prédécesseurs, mais y renonce finalement, ne jugeant pas les conditions politiques réunies. Il meurt aux Tuileries le 16 septembre 1824, entouré des siens. Seul souverain français du XIXe siècle décédé en exercice, ses obsèques ressuscitent pour la dernière fois l’antique et fastueux cérémonial des funérailles royales. Les voûtes de Saint-Denis retentissent alors du célèbre cri « Le roi est mort ; vive le roi ! », symbole d’une monarchie qui croit ne jamais s’éteindre. Louis XVIII n’a pas de descendance, et c’est son frère, le comte d’Artois, qui lui succède sous le nom de Charles X.

Drap mortuaire de deuil de Louis XVIII, 1824. Paris, Mobilier national.

Drap mortuaire de deuil de Louis XVIII, 1824. Paris, Mobilier national. © Isabelle Bideau

« Renouer la chaîne des temps »

« Si les appartements ne sont pas prêts, je camperai ; si les cuisines ne sont pas prêtes, je jeûnerai ; mais le jour est irrévocable », lance Charles X assez vite devant les difficultés qui se présentent aux organisateurs du sacre. Contrairement à son frère, le souverain souhaite au plus vite, selon sa propre expression, « renouer la chaîne des temps » et se faire sacrer. En quelques mois, le duc de Doudeauville, ministre de la Maison du roi, doit organiser à Reims une cérémonie dont le faste vise à éblouir l’Europe entière et à montrer une France réconciliée avec son passé.

« J’aimerais mieux scier du bois que de régner à la façon du roi d’Angleterre. »

Charles X

Vers le sacre

En hâte, on fouille les archives pour retrouver le cérémonial d’Ancien Régime – le sacre de Louis XVI remonte à 1775 –, tout en gardant en mémoire ce qui s’est fait pour le sacre de Napoléon. Il faut concevoir le décor des édifices rémois concernés (assez abîmés par la Révolution) et dessiner les costumes des participants. La Chambre des pairs et la Chambre des députés votent un budget spécial qui se révèle vite insuffisant : les accessoires du sacre ayant disparu pendant la Révolution, il faut aussi en la matière tout refaire à neuf. Aux côtés de Doudeauville, les anciennes fonctions curiales reprennent leurs missions traditionnelles : le « grand aumônier » pour la célébration religieuse, le « grand maître des cérémonies » pour le protocole, le « grand maître de France » pour l’organisation du festin, le « grand chambellan » pour la musique, les costumes et les cadeaux. Ces hauts personnages sont appuyés par le Garde-Meuble de la Couronne pour l’ameublement des appartements de la famille royale et par la direction du Matériel des fêtes et cérémonies pour le décor de la cathédrale.

​​​​​Reconstitution 3D de la cathédrale de Reims réalisée par l'historien Philippe Le Pareux.

Reconstitution 3D de la cathédrale de Reims réalisée par l'historien Philippe Le Pareux. © Mobilier national, Philippe Le Pareux

Un carrosse pour le roi

Le déplacement à Reims implique la fabrication d’un carrosse et l’organisation d’un convoi prestigieux. Les meilleurs artisans parisiens – le carrossier Daldringen, le sculpteur Roguier, le bronzier Denière – sont donc chargés de la réalisation d’une voiture aux dimensions extraordinaires, dont la dorure et les bronzes, omniprésents, doivent impressionner la foule et assurer l’apparat du roi. De somptueux harnais, ornés d’une luxueuse passementerie, sont confectionnés par le sellier Gobert pour les huit chevaux prévus.

Louis François Lejeune (1775-1848), L’entrée de Charles X à Paris au retour du sacre, le 6 juin 1825. Huile sur toile, 151 x 176 cm. Versailles, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon.

Louis François Lejeune (1775-1848), L’entrée de Charles X à Paris au retour du sacre, le 6 juin 1825. Huile sur toile, 151 x 176 cm. Versailles, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon. © RMN-Grand Palais (château de Versailles) / Gérard Blot

Un cortège spectaculaire

Sous l’autorité du « premier écuyer » – le duc de Polignac – et de l’« écuyer commandant » – le marquis de Vernon –, le carrosse royal avec cinq autres voitures, précédé et suivi de 179 chevaux, forme un cortège spectaculaire lors de l’entrée du souverain dans la ville de Reims le 28 mai 1825. Ce cortège se reforme le 6 juin, après le sacre, pour l’entrée solennelle du roi dans Paris. Les délais sont tels que le vieux marquis de Vernon laisse des correspondances écrites à 4 heures du matin, empreintes d’anxiété après des visites des différents ateliers pour s’assurer de la réalisation dans le temps de ce vaste ouvrage. L’ouvrage est prêt le jour J mais ce serviteur de l’État meurt quelques semaines avant l’événement. Le catalogue de l’exposition complète la visite et laisse découvrir les carrosses subsistants du vaste cortège et des hôtes les plus en vue du sacre (ceux du duc de Bourbon à Chantilly ou celui du somptueux ambassadeur extraordinaire de Grande-Bretagne conservé encore par ses descendants à Alwick Castle).

Loger le roi

Le palais archiépiscopal de Reims, dit « palais du Tau », est choisi pour accueillir le roi et sa cour avant et après la cérémonie. Mal entretenu depuis la Révolution, il nécessite d’importants travaux ; ceux-ci sont menés, à marche forcée, par l’architecte François Mazois.

La grande salle du XVe siècle est métamorphosée par un décor néo-gothique peint par les décorateurs de théâtre Pierre-Luc Cicéri et Antoine-Marie Lebe-Gigun. Un appartement est aménagé pour le roi avec six pièces en enfilade : antichambres, salon, grand cabinet, chambre et cabinet de toilette. Pour pallier l’absence de salle des gardes, les architectes Jacques-Ignace Hittorff et Jean-François Lecointe construisent sur la cour une pièce provisoire, en toile peinte, imitant un palais de la Renaissance. Cette pièce donne aussi accès à une galerie couverte qui relie le palais à la cathédrale.

Camille Pernon et Grand frères (soyeux lyonnais), un des textiles les plus précieux : une commande de Napoléon Ier pour Versailles dont la symbolique a été retravaillée sous la Restauration pour son utilisation aux Tuileries mais aussi au palais archiépiscopal de Reims qui accueille le roi, dans le salon des nobles, 1806-1812. Paris, Mobilier national.

Camille Pernon et Grand frères (soyeux lyonnais), un des textiles les plus précieux : une commande de Napoléon Ier pour Versailles dont la symbolique a été retravaillée sous la Restauration pour son utilisation aux Tuileries mais aussi au palais archiépiscopal de Reims qui accueille le roi, dans le salon des nobles, 1806-1812. Paris, Mobilier national. © Lawrence Perquis

Le Garde-Meuble de la Couronne aménage tous les appartements. Par mesure d’économie, sont acheminées les pièces de mobilier nécessaires des autres résidences royales, telles que Fontainebleau ou l’Élysée. En découvrant le palais rénové, Charles X s’exclame : « Je suis ici comme aux Tuileries ! ». Les meubles repartent après la cérémonie ; les décors du palais, quant à eux, ont disparu dans les bombardements allemands de 1914.

L’historien Philippe Le Pareux signe à nouveau d’impressionnantes reconstitutions 3D de la cathédrale et du palais du Tau, à l’échelle, fruit d’un travail de deux ans de recherches en lien avec les commissaires (après ses reconstitutions pour l’exposition « Les Palais disparus de Napoléon »).

L’historien Philippe Le Pareux signe à nouveau d’impressionnantes reconstitutions 3D de la cathédrale et du palais du Tau, à l’échelle, fruit d’un travail de deux ans de recherches en lien avec les commissaires (après ses reconstitutions pour l’exposition « Les Palais disparus de Napoléon »). © Mobilier national, Philippe Le Pareux

Les insignes du pouvoir

Le sacre d’un roi de France est une cérémonie codifiée dont chaque participant incarne un rôle symbolique, identifiable par les spectateurs. Tous arborent des insignes distincts, qui remontent à l’Ancien Régime et parfois au Moyen Âge. Les objets les plus significatifs sont ceux du roi : la couronne, le sceptre, signe de puissance, et la main de justice, symbole d’autorité judiciaire. Détruits sous la Révolution, ces objets ont été recréés pour le couronnement de Napoléon Ier en 1804 et sont réutilisés par Charles X.

Martin-Guillaume Biennais, la couronne dite de Charlemagne, recréée en bronze doré sur le modèle de celle de Charlemagne disparue sous la Révolution pour le sacre de Napoléon en 1804. Paris, musée du Louvre.

Martin-Guillaume Biennais, la couronne dite de Charlemagne, recréée en bronze doré sur le modèle de celle de Charlemagne disparue sous la Révolution pour le sacre de Napoléon en 1804. Paris, musée du Louvre. © RMN, Jean-Gilles Berizzi

Le « bâton » est porté par plusieurs intervenants. Il se décline sous différentes formes selon le rang de son propriétaire : grand maître de France, héraut et roi d’armes, maréchal de France.

La « masse de cérémonie », dérivée de la masse d’armes médiévale, est utilisée par le chancelier et par les huissiers de la Chambre du roi ; elle est théoriquement en vermeil, mais les huissiers préfèrent utiliser des copies en bois doré, plus légères à porter !

Chaque participant est encore tenu d’arborer un glaive ou une épée, plus ou moins riche ; les « gardes de la manche », chargés de la sécurité rapprochée du souverain, sont armés d’une forme de lance dite pertuisane.

La couronne personnelle de Charles X, créée par Bapst sous Louis XVIII et mise à la taille du nouveau souverain est dessertie sous Napoléon III qui projette de s’en faire une nouvelle, puis sa structure fondue par la IIIe République au moment de la vente des Diamants de la Couronne, malgré la proposition de rachat par la maison Bapst voulant en faire don au Louvre. Un moulage a été réalisé sous Napoléon III en 1853 au moment de son dessertissage. Paris, Archives nationales.

La couronne personnelle de Charles X, créée par Bapst sous Louis XVIII et mise à la taille du nouveau souverain est dessertie sous Napoléon III qui projette de s’en faire une nouvelle, puis sa structure fondue par la IIIe République au moment de la vente des Diamants de la Couronne, malgré la proposition de rachat par la maison Bapst voulant en faire don au Louvre. Un moulage a été réalisé sous Napoléon III en 1853 au moment de son dessertissage. Paris, Archives nationales. © CMN, Pascal Lemaître

« On avait inséré un théâtre dans l’église ; si bien qu’en arrivant au portail j’ai demandé au garde du corps de faction : Où est ma loge ? »

Victor Hugo

La cérémonie du sacre

Le sacre se déroule le dimanche 29 mai 1825. Conçu par les architectes Hittorff et Lecointe, le décor de la cathédrale de Reims a été confié à Pierre-Luc Cicéri et Antoine-Marie Lebe-Gigun. Il se compose de grandes toiles peintes, tendues sur châssis, représentant dans des cadres néo-gothiques les figures des rois de France, de Clovis à Louis XVIII.

La cérémonie débute à 8h du matin, au son de musiques composées par Jean-François Lesueur et Luigi Cherubini. Arrivé en cortège depuis le palais du Tau, le roi prête les serments rituels puis reçoit une paire d’éperons et une épée. L’archevêque de Reims, Mgr de Latil, l’oint alors de l’huile sacrée tirée de la sainte ampoule, puis lui remet le manteau fleurdelisé, l’anneau, le sceptre, la main de justice et la couronne. Le roi gravit enfin le jubé pour se faire acclamer.

Le costume de roi d’armes. Paris, Mobilier national.

Le costume de roi d’armes. Paris, Mobilier national. © Isabelle Bideau

Hérité du Moyen Âge, le cérémonial est adapté aux temps nouveaux : un serment de fidélité à la Charte constitutionnelle adoptée en 1814 est ajouté, tandis que la promesse de lutter contre les hérétiques et les infidèles est supprimée. Les élus des deux Chambres, pairs et députés, ainsi que des représentants des cultes juif et protestant sont conviés à la cérémonie.

Le sacre lui-même est suivi d’une messe, qui se termine à 11h30. Le roi se rend alors en cortège au palais du Tau.

Le décor imaginé par Hittorff et Lecointe et peint par Cicéri, recréé par le peintre Pasquale Mascoli pour l’exposition en 2025 (coulisses du montage de l’exposition). Paris, Mobilier national.

Le décor imaginé par Hittorff et Lecointe et peint par Cicéri, recréé par le peintre Pasquale Mascoli pour l’exposition en 2025 (coulisses du montage de l’exposition). Paris, Mobilier national. © Samy Mebtoul

Le festin royal

Le festin qui suit le sacre a lieu dans la grande salle du palais du Tau. Il réunit le roi et les principaux participants de la cérémonie : les grands officiers de la Couronne, les ambassadeurs, une délégation de la chambre des pairs et de la chambre des députés, les membres du clergé. Cette représentativité nationale est nouvelle : avant la Révolution, seuls les pairs de France, incarnant la haute noblesse du royaume, assistaient au repas.

Assiette de Sèvres du service capraire, qui fut utilisé au sacre, 1825. Collection Cyrille Boulay.

Assiette de Sèvres du service capraire, qui fut utilisé au sacre, 1825. Collection Cyrille Boulay. © Gavin Macdonald

À la différence du festin dispendieux qui suivit le couronnement de George IV à Londres en 1821, le festin de Charles X dure 30 minutes. Accompagné de musique jouée depuis une tribune, le service est mené par le comte de Cossé-Brissac, premier maître de l’hôtel du roi. Il est composé de huit plats, servis en même temps, au choix des convives ; c’est ce qu’on appelle le service « à l’ambigu ». Sur les tables, vaisselle en porcelaine de Sèvres, verres en cristal de Montcenis, argenterie et surtouts en bronze doré empruntés aux Tuileries, complétés par de nouvelles commandes, mettent en valeur les arts de la table français.

En parallèle, d’autres repas officiels se déroulent à l’hôtel de ville et à la préfecture. Durant les cinq jours de résidence de Charles X à Reims, on estime que plus de 7 000 couverts ont été servis aux frais du roi.

Surtout en bronze doré de Thomire, d’un modèle décrit comme présenté au sacre. Paris, Mobilier national.

Surtout en bronze doré de Thomire, d’un modèle décrit comme présenté au sacre. Paris, Mobilier national. © Gavin Macdonald

La cérémonie du Saint-Esprit

Le lendemain du sacre, le 30 mai, Charles X tient une cérémonie de réception dans l’ordre du Saint-Esprit, la première depuis la Révolution. Cet ordre chevaleresque, le plus prestigieux de France, avait été instauré par Henri III en 1578 puis supprimé en 1791. En 1814, Louis XVIII souhaite faire revivre l’ordre, mais les statuts exigent que le roi soit sacré pour assumer ses fonctions de grand-maître. Les nominations auxquelles il procède ne sont donc pas suivies de cérémonies de réception. Le sacre de Charles X permet au roi d’être reçu comme grand-maître, avec vingt-neuf nouveaux chevaliers. Des recherches sont menées pour ressusciter la cérémonie selon les rites de l’Ancien Régime. Chaque chevalier doit commander son costume, en velours vert, et reçoit du roi en cadeau un collier en or émaillé, un livre d’heures et un dizain en ivoire.

À la différence du sacre de la veille, la cérémonie du Saint-Esprit apparaît artificielle et confuse aux contemporains : nombre de chevaliers se trompent dans le protocole ; la sincérité de certains, comme le prince de Talleyrand, ancien ministre de Napoléon Ier, est volontiers mise en doute.

Nicolas Gosse, Réception des chevaliers dans l’ordre du Saint-Esprit, le 30 mai 1825, vers 1840. Centre des monuments nationaux.

Nicolas Gosse, Réception des chevaliers dans l’ordre du Saint-Esprit, le 30 mai 1825, vers 1840. Centre des monuments nationaux. © Léandre Guénard

La célébration du régime

Le gouvernement de Charles X entend bien profiter du sacre pour faire rayonner dans toute l’Europe la France et la monarchie restaurée. La richesse des présents offerts aux ambassadeurs et aux chefs d’État étrangers témoigne de la générosité du roi de France, mais aussi de la qualité du travail de ses artisans et notamment des manufactures royales des Gobelins et de Sèvres.

Les tableaux commandés à François Gérard, premier peintre du roi, et les médailles frappées à la Monnaie de Paris, visent à diffuser l’image du roi et à exalter le régime, tout comme les pièces de théâtre et les poèmes composés à l’occasion, parmi lesquels une ode au sacre de Charles X due au jeune Victor Hugo. Tous les artistes sollicités sont gratifiés d’un présent, généralement en porcelaine de Sèvres. Le sacre donne aussi lieu à la réalisation d’objets de prestige, comme en témoignent un extraordinaire guéridon en porcelaine de Sèvres, acquis par le roi d’Espagne Ferdinand VII en 1828 (aujourd’hui collection du roi Felipe VI), et un album gravé qui n’est pas achevé lorsque le régime s’écroule. Une classe plus modeste peut quant à elle acquérir un des nombreux produits dérivés commercialisés qui permettent à tous de garder un souvenir d’une cérémonie qui a voulu rassembler les Français (du foulard à la porcelaine, de la tabatière aux gravures).

François Gérard, Le Sacre de Charles X, 1829. Huile sur toile, 514 x 972 cm. Reims, palais du Tau. Le dauphin embrasse son père quelques instants avant le Vivat Rex, un instant où les témoins racontent qu’après une cérémonie parfaitement orchestrée, l’assistance et la foule reprennent dans un mouvement spontané l’acclamation de « Vive le roi ! ».

François Gérard, Le Sacre de Charles X, 1829. Huile sur toile, 514 x 972 cm. Reims, palais du Tau. Le dauphin embrasse son père quelques instants avant le Vivat Rex, un instant où les témoins racontent qu’après une cérémonie parfaitement orchestrée, l’assistance et la foule reprennent dans un mouvement spontané l’acclamation de « Vive le roi ! ». © Centre des Monuments nationaux / Pascal Lemaître

La fin d’un règne

En juillet 1830, les élections législatives voient la victoire du parti libéral, défavorable à Charles X. En réaction, celui-ci signe à Saint-Cloud, le 25 juillet, une série d’ordonnances qui suspend la liberté de la presse, dissout la chambre des députés et modifie les règles électorales. Le lendemain de cette mesure, Paris entre en révolution : ce sont les « Trois Glorieuses ». En trois jours, Charles X perd le pouvoir et, le 2 août, se voit contraint d’abdiquer au profit de son petit-fils le duc de Bordeaux, depuis le château de Rambouillet où il s’est réfugié. Tandis que son cousin le duc d’Orléans s’empare du pouvoir sous le nom de Louis-Philippe Ier, le roi déchu prend avec sa famille le chemin de l’exil. Accueilli d’abord en Angleterre puis en Autriche, à Prague et finalement à Görtz (ville aujourd’hui partagée entre la Slovénie et l’Italie), Charles X meurt du choléra le 6 novembre 1836.

Extrait de l’Album du sacre édité par souscription par Sazerac et Duval en 1825. Collection particulière.

Extrait de l’Album du sacre édité par souscription par Sazerac et Duval en 1825. Collection particulière. © Mobilier national, Gavin Macdonald

L’ultime sacre

Aucun autre monarque ne se fait sacrer après lui. Louis-Philippe Ier se contente d’une prestation de serment devant les Chambres réunies. Napoléon III envisage un sacre, que ses mauvaises relations avec le pape ne permettent pas. Le XIXe siècle, siècle des mutations (industrielles et autres), connaîtra une instabilité de régimes : comme Charles X, chacun des monarques qui lui succèdera terminera en exil (de Louis-Philippe à Napoléon III). Les présidents de la République successifs débutent dès lors leur mandat par une simple cérémonie d’investiture. Le sacre des souverains britanniques, proche dans son rituel, permet seul aujourd’hui d’imaginer ce que fut le sacre des rois de France.

« Le Dernier sacre », du 11 avril au 20 juillet 2025 au Mobilier national, Galerie des Gobelins, 42 avenue des Gobelins, 75013 Paris. Tél. 01 44 08 53 49. www.mobiliernational.culture.gouv.fr

Catalogue, éditions Monelle Hayot, 532 p., 59 €.