Le musée de Cluny fait parler les pierres de Notre-Dame

Ange (?), détail, Notre-Dame de Paris, portail nord du transept dit du Cloître, avant 1258 (?). Calcaire lutétien. Paris, musée de Cluny – musée national du Moyen Âge.

Ange (?), détail, Notre-Dame de Paris, portail nord du transept dit du Cloître, avant 1258 (?). Calcaire lutétien. Paris, musée de Cluny – musée national du Moyen Âge. Photo service de presse. © Grand Palais Rmn (musée de Cluny – musée national du Moyen Âge) / Michel Urtado

Le 15 avril 2019, la cathédrale Notre-Dame de Paris a été victime d’un terrible incendie, qui a marqué les esprits du monde entier. De ce drame patrimonial ont pourtant émergé des choses positives. La fouille préventive menée par l’Institut national de recherches archéologiques préventives (INRAP) à la croisée du transept en 2022 a mis au jour plus de mille fragments du jubé des années 1230, dont beaucoup conservent des restes de polychromie non négligeables. Cette découverte hors norme vient enrichir de manière inespérée le corpus sculpté de cet élément détruit en 1699 à l’occasion des aménagements nécessités par le vœu de Louis XIII. Chercheurs, historiens et restaurateurs se sont donc à nouveau tournés vers la grande dame et ont porté un regard neuf sur ces éléments de décor inédits mais aussi sur les sculptures en apparence bien connues du musée de Cluny, parmi lesquelles on compte les têtes de la galerie des Rois ou l’Adam du transept sud, ainsi que sur des fragments jamais montrés au public. L’institution présente ainsi le résultat de ces recherches, qui ont permis de renouveler et d’approfondir nos connaissances sur ces œuvres, au sein d’une exposition organisée en partenariat avec l’INRAP.

Une nouvelle lecture

Cette tête à la chevelure ceinte d’un bandeau est attribuée à l’un des anges qui encadrent saint Denis dans l’ébrasement gauche du portail du Couronnement de la Vierge. Sa restauration a permis de l’examiner plus attentivement et de revoir sa position. On pensait en effet jusque-là qu’elle appartenait à l’ange situé à gauche de saint Denis. Toutefois, les traces de ruissellement visibles sur sa joue droite laissent penser qu’il regardait vers l’intérieur et non vers l’extérieur du portail. Cette tête serait donc celle de l’ange placé à la droite du saint, ce que confirme le degré de finition différent des deux côtés du visage et de la chevelure.

Tête d’ange, Notre-Dame de Paris, portail du Couronnement de la Vierge, vers 1210-1220. Calcaire lutétien. Paris, musée de Cluny – musée national du Moyen Âge.

Tête d’ange, Notre-Dame de Paris, portail du Couronnement de la Vierge, vers 1210-1220. Calcaire lutétien. Paris, musée de Cluny – musée national du Moyen Âge. Photo service de presse. © Grand Palais Rmn (musée de Cluny – musée national du Moyen Âge) / Mathieu Rabeau

Ange ou Vertu ?

Cette tête imberbe à la chevelure mi-longue délicatement ondulée avait été interprétée dans les années 1980 comme l’une des Vertus théologales autrefois situées dans l’ébrasement droit du portail nord du transept. Toutefois, plusieurs indices suggèrent une lecture différente. Plus grande et moins détaillée que les têtes des Rois Mages du même portail, elle présente de fortes similitudes avec l’ange soufflant dans une trompette situé plus haut dans une niche des contreforts entourant la rose. Il pourrait donc s’agir de la tête d’un ange situé dans la même zone, ce que ses traits androgynes ne contredisent pas.

Ange (?), Notre-Dame de Paris, portail nord du transept dit du Cloître, avant 1258 (?). Calcaire lutétien. Paris, musée de Cluny – musée national du Moyen Âge.

Ange (?), Notre-Dame de Paris, portail nord du transept dit du Cloître, avant 1258 (?). Calcaire lutétien. Paris, musée de Cluny – musée national du Moyen Âge. Photo service de presse. © Grand Palais Rmn (musée de Cluny – musée national du Moyen Âge) / Michel Urtado

Un vestige du portail du Jugement dernier

Le portail central de la façade occidentale de la cathédrale est remanié par Jacques-Germain Soufflot en 1771 afin de faciliter le passage des processions. À cette occasion, il supprime le trumeau et entaille les linteaux qui le surmontent. Ce fragment de linteau est caractéristique de la sculpture des années 1230-1240 : les corps sont allongés, les drapés animés de plis en becs, les visages aux yeux étirés vers les tempes sont individualisés et le traitement des chevelures varié. L’autre extrémité du linteau présente des figures plus rigides, sans doute sculptées un peu plus tôt, dans les années 1210-1220.

La Résurrection des morts : ange sonnant de la trompe et trois ressuscités sortant de leur tombeau, Notre-Dame de Paris, portail du Jugement dernier, extrémité gauche du linteau, vers 1240. Calcaire lutétien, traces de polychromie. Paris, musée de Cluny – musée national du Moyen Âge.

La Résurrection des morts : ange sonnant de la trompe et trois ressuscités sortant de leur tombeau, Notre-Dame de Paris, portail du Jugement dernier, extrémité gauche du linteau, vers 1240. Calcaire lutétien, traces de polychromie. Paris, musée de Cluny – musée national du Moyen Âge. Photo service de presse. © Grand Palais Rmn (musée de Cluny – musée national du Moyen Âge) / Michel Urtado

Une découverte exceptionnelle

Les premiers fragments provenant de Notre-Dame réapparaissent au début des années 1960 lors de travaux menés dans les sous-sols de l’hôtel Moreau, au 20 rue de la Chaussée-d’Antin. Mais la véritable découverte a lieu en 1977, lorsque l’on exhume plus de 300 éléments du décor sculpté extérieur de la cathédrale dans la cour. Parmi ceux-ci, on dénombre vingt-et-une têtes des rois de la galerie du même nom située en façade de la cathédrale, une découverte exceptionnelle. Arrachés à leur emplacement en 1793-1794, elles auraient été enfouies dans l’enceinte de l’hôtel par son propriétaire d’alors, Jean-Baptiste Lakanal (vers 1752-1800), afin de les protéger.

Tête du roi David ou de Pépin le Bref, Notre-Dame de Paris, galerie des rois, vers 1220. Calcaire lutétien, traces de polychromie. Paris, musée de Cluny – musée national du Moyen Âge.

Tête du roi David ou de Pépin le Bref, Notre-Dame de Paris, galerie des rois, vers 1220. Calcaire lutétien, traces de polychromie. Paris, musée de Cluny – musée national du Moyen Âge. Photo service de presse. © Grand Palais Rmn (musée de Cluny – musée national du Moyen Âge) / René-Gabriel Ojeda

Des traces de la polychromie médiévale

Cette tête a été retrouvée avec d’autres fragments sous la cour de l’hôtel Moreau en 1977. Barbu et couronné, le personnage est identifié à l’un des Rois Mages qui ornaient le portail nord du transept. Le buste conserve des traces de polychromie non négligeables, qui permettent de mieux comprendre son aspect originel : ses cheveux et sa barbe étaient colorés d’ocre rouge, de même que son manteau, dont le revers était rehaussé d’un rouge plus vif. Son vêtement tirait quant à lui davantage vers le brun et sa couronne était rehaussée d’or. Des repeints bleus et verts ont été ajoutés par la suite, peut-être pour apporter à l’ensemble une polychromie plus tranchée.

Buste de Roi Mage, Notre-Dame de Paris, portail nord du transept, vers 1260. Calcaire lutétien, traces de polychromie. Paris, musée de Cluny – musée national du Moyen Âge.

Buste de Roi Mage, Notre-Dame de Paris, portail nord du transept, vers 1260. Calcaire lutétien, traces de polychromie. Paris, musée de Cluny – musée national du Moyen Âge. Photo service de presse. © Grand Palais Rmn (musée de Cluny – musée national du Moyen Âge) / Michel Urtado

« Faire parler les pierres. Sculptures médiévales de Notre-Dame », jusqu’ au 16 mars 2025 au musée de Cluny – musée national du Moyen Âge, 28 rue Du Sommerard, 75005 Paris. Tél. 01 53 73 78 00. www.musee-moyenage.fr

À paraître : Dossiers de l’Art n° 323, 80 p., 11 €. À commander prochainement sur www.faton.fr