Décryptez la symbolique des couleurs à l’hôtel de la Marine
La couleur revêt des significations variées selon les cultures, mais elle a toujours un sens et n’est pas choisie au hasard. Elle traduit bien souvent dans le monde visible des concepts et des idées intangibles. Elle témoigne également de ponts entre les civilisations, qu’il s’agisse d’échanges culturels, artistiques ou commerciaux. Ainsi, la perception de la couleur, qui fascine autant les artistes que les scientifiques ou les philosophes, n’est pas seulement un phénomène physique, mais dépend de tout un contexte socioculturel. C’est sous ce nouveau prisme que sont présentées pour un an à l’hôtel de la Marine quatre-vingts œuvres de la collection Al Thani, la plupart pour la première fois.
Le noir : couleur de mort et d’élégance
Le noir est une couleur pleine de contradictions. Synonyme de mort et de danger dans de nombreuses cultures, il est également associé à la création du monde et donc au sacré car il rappelle la couleur de la nuit et des abysses. Symbole d’élégance pour les Japonais, il incarne la fertilité en Égypte et en Mésopotamie car il s’agit de la couleur du limon déposé sur les berges par les crues des fleuves. On retrouve cette dualité dans ce reliquaire gabonais, chargé de protéger les ossements des ancêtres fondateurs du clan.
Le blanc : symbole de pureté et d’absence
Présent dans de nombreuses civilisations, le blanc est souvent associé au noir et au rouge, auxquels il s’oppose. Il est à la fois symbole de pureté (à l’image de la robe immaculée de la licorne), de piété et d’humilité. Le blanc peut aussi être synonyme d’absence, de vide et de deuil, en Asie notamment. Cette statue acéphale d’Isis rappelle que le blanc recouvre en réalité une large palette de nuances, allant du jaune très pâle à la translucidité, et que la suprématie de cette couleur, longtemps érigée en parangon de l’art classique, a été mise à mal par la découverte de vestiges de polychromie sur de nombreuses sculptures antiques et médiévales.
Le rouge : passion et pouvoir
Le verre est un médium important dans l’Inde moghole. À l’image de cette base de narguilé, il est souvent émaillé et rehaussé de dorure. L’or des fleurs contraste fortement avec le rouge du fond. Couleur du sang et du feu, le rouge est aussi symbole de pouvoir, sans doute parce qu’il s’agit d’une couleur forte, mais aussi parce qu’elle est difficile à obtenir. Dans l’Antiquité, la pourpre de Tyr, produite à partir de coquillages méditerranéens, servait ainsi à teindre les étoffes réservées aux élites. Associé à la séduction et à la passion amoureuse en Occident, le rouge a des vertus protectrices contre les mauvais esprits au Japon.
Du jaune impérial à l’or éternel
Pigment utilisé dès la Préhistoire, le jaune revêt en Asie une signification positive. Associé à l’équilibre, à la sagesse et à l’harmonie, il est même réservé à l’empereur et à sa famille en Chine. En Occident, en revanche, son sens est plus ambigu. Associé au mensonge, à l’hypocrisie et à la trahison, le jaune ordinaire est mal perçu, tandis que l’or est très recherché. Matériau ductile qui résiste à la corrosion et à l’oxydation, il devient l’apanage des puissants du monde terrestre comme du monde céleste ; en témoigne ce reliquaire, contenant une dent de saint Jean-Baptiste offerte par Saint Louis à Guy de Montfort.
Le bleu égyptien : une quête millénaire de la couleur
Il existe de très nombreuses nuances de bleu et autant de manières de les obtenir. Durant l’Antiquité, le lapis-lazuli, une pierre de couleur foncée et très profonde importée d’Asie centrale, et la turquoise, plus claire, venue d’Iran ou d’Égypte, sont particulièrement prisés pour leur valeur et leur symbolique liée au divin. Très vite, les Égyptiens réussissent à imiter cette couleur, d’abord à partir de verre bleu coloré au cuivre, dès le IIIe millénaire avant J.-C., puis au moyen de cobalt au millénaire suivant.
Le vert : entre malédiction et fertilité
Le vert est une couleur particulièrement ambiguë. Symbole de la jalousie, de l’envie ou de la maladie, elle est aussi étroitement associée à la nature bienfaisante. Chez les Olmèques comme dans d’autres civilisations, le jade, une pierre très dure aux nuances vertes, est très recherché pour sa beauté intrinsèque, sa couleur évoquant l’eau, la fertilité et la régénération. On l’utilise essentiellement pour fabriquer des effigies divines, des masques funéraires ou encore des objets rituels, à l’image de cette hache à tête de monstre.
« La couleur parle toutes les langues. Œuvres choisies de la Collection Al Thani », jusqu’au 5 octobre 2025 à l’hôtel de la Marine, 2 place de la Concorde, 75008 Paris. www.hotel-de-la-marine.paris / www.thealthanicollection.com