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L’univers de Watteau s’expose à Chantilly

Antoine Watteau, Femme assise à terre, un voile sur la tête ; tête d’homme tournée vers la gauche. Sanguine, pierre noire, graphite et craie blanche, 15,6 x 21,5 cm. Chantilly, musée Condé

Antoine Watteau, Femme assise à terre, un voile sur la tête ; tête d’homme tournée vers la gauche. Sanguine, pierre noire, graphite et craie blanche, 15,6 x 21,5 cm. Chantilly, musée Condé Photo service de presse. © GrandPalaisRmn (Domaine de Chantilly) / Michel Urtado

Aussi mystérieux qu’illustre, Antoine Watteau (1684-1721) est un artiste rare. La simple évocation de son nom convoque des images parmi les plus célèbres du XVIIIe siècle français et de ses raffinements. Avec quatre peintures et six dessins, le musée Condé conserve la deuxième plus importante collection de ses œuvres en France après le Louvre et ce noyau sert de colonne vertébrale à son exposition consacrée au maître de Valenciennes. Les œuvres cantiliennes y sont complétées par de nombreux prêts de collections publiques et privées, européennes et américaines, pour offrir un aperçu des pans les plus iconiques de sa production.

Empreintes de délicatesse et de sentiments souvent cryptés, ses compositions d’une poésie sans pareille abordent les thématiques de l’amour, de l’amitié, des plaisirs musicaux ou de la danse. Il y est aussi question de rejet et de moqueries, d’amour non réciproque et de solitude – autant de sentiments universels qui expliquent pourquoi les dessins et peintures de Watteau continuent à captiver leurs regardeurs de nos jours. La multitude de visages qui peuplent son œuvre et sa propre effigie, l’attention qu’il prête aux maîtres anciens, à la mode, aux divertissements et à la vie quotidienne sont autant de champs sur lesquels cette exposition lève le voile. Mais de tous les mondes que Watteau explore et des cinq sections de l’exposition, c’est avant tout l’univers des fêtes galantes qui s’y dévoile sous un jour nouveau par la présentation d’œuvres inédites, récemment réapparues ou rarement présentées au public.

Antoine Watteau, La Famille. Huile sur toile, 39,4 x 31,1 cm. The George Ortiz Collection.

Antoine Watteau, La Famille. Huile sur toile, 39,4 x 31,1 cm. The George Ortiz Collection. Photo service de presse. © The George Ortiz Collection

Les visages de Watteau

Les visages qui apparaissent dans les œuvres de Watteau présentent souvent un trait physique ou psychologique saillant. Leur singularité se manifeste dans le nez prononcé d’un homme, l’attitude rêveuse d’une femme ou l’air espiègle d’un enfant. Ces différents personnages ont fait l’objet de maintes tentatives d’identification. Alors même qu’ils demeurent le plus souvent anonymes, on a fréquemment voulu reconnaître dans leurs traits une personnalité publique ou évoluant dans l’entourage de l’artiste. Le visage de Watteau lui-même n’a pas fait couler moins d’encre, et c’est un dessin conservé à Chantilly qui s’est imposé comme son plus célèbre portrait. Si cette feuille a longtemps été attribuée à Watteau lui-même, il est aujourd’hui admis qu’elle n’est pas de lui, mais plutôt d’un artiste anonyme.

Anonyme, Portrait d’Antoine Watteau au portefeuille, 1715. Sanguine, pierre noire et craie blanche, 23,8 x 20 cm. Chantilly, musée Condé.

Anonyme, Portrait d’Antoine Watteau au portefeuille, 1715. Sanguine, pierre noire et craie blanche, 23,8 x 20 cm. Chantilly, musée Condé. © GrandPalaisRmn (Domaine de Chantilly) / René-Gabriel Ojéda

Dessiner d’après les maîtres

L’étude des maîtres anciens joue un rôle majeur dans la formation des artistes au XVIIIe siècle. Watteau réalise près de quatre-vingts dessins d’après Rubens, Rembrandt ou Bassano et leur emprunte même certaines compositions. Célèbre toile du musée Condé, Vénus désarmant l’Amour est conçue par Watteau à partir d’un dessin alors attribué à Véronèse, dont il reprend l’agencement des figures. Ce dessin est exposé à Chantilly aux côtés du tableau de Watteau et d’autres études de sa main dont il s’est inspiré pour le construire, ce qui plonge les visiteurs au cœur de la genèse de ce chef-d’œuvre.

Antoine Watteau, Vénus désarmant l’Amour, vers 1715. Huile sur toile, 47 x 38 cm. Chantilly, musée Condé.

Antoine Watteau, Vénus désarmant l’Amour, vers 1715. Huile sur toile, 47 x 38 cm. Chantilly, musée Condé. © GrandPalaisRmn (Domaine de Chantilly) / Harry Bréjat

« Il est de ceux qui regardent et retiennent le quotidien déployé tout autour d’eux. »

Regards sur le monde contemporain

Selon la légende, Watteau croque déjà les charlatans et les marchands qui dressent leurs estrades sur les foires, ou campements militaires de la campagne valenciennoise où il passe ses dix-huit premières années. Loin de l’enfermer dans la misanthropie, le caractère difficile et le besoin de solitude que ses amis lui prêtent vont de pair avec une curiosité pour le monde qui l’entoure et qu’il dessine. Il est de ceux qui regardent et retiennent le quotidien déployé tout autour d’eux. Des montreurs de marmotte et des pèlerins rencontrés dans la rue témoignent à Chantilly de sa curiosité quotidienne, au même titre que ses représentations de soldats, d’un jeune Noir ou des membres d’une ambassade persane arrivée à Paris en 1715.

Antoine Watteau, Pèlerin de Saint-Jacques tenant un bâton, vers 1716. Sanguine, pierre noire et craie blanche, 37,5 x 25,2 cm. Paris, Petit Palais – musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris.

Antoine Watteau, Pèlerin de Saint-Jacques tenant un bâton, vers 1716. Sanguine, pierre noire et craie blanche, 37,5 x 25,2 cm. Paris, Petit Palais – musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris. Photo service de presse. Photo CC0 / Petit Palais – musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris

Modes et divertissements

Watteau est reconnu comme un fidèle observateur des modes vestimentaires. Il a représenté un grand nombre de personnages – hommes, femmes et enfants – vêtus selon les modes contemporaines, son œuvre recelant des témoignages précieux à cet égard. Observant les festivités de son entourage fortuné, il a croqué sur le vif des personnages en costumes de divertissement, en action ou lors de séances de pose. Néanmoins, les modes anciennes, principalement italiennes du XVIe et nordiques du XVIIe siècle, sont également présentes dans ses œuvres. La fusion de ces différentes influences dans ses fêtes galantes permet à Watteau de créer un vocabulaire visuel riche, répondant ainsi aux attentes de ses commanditaires tout en créant des scènes hors du temps.

Antoine Watteau, d’après Pierre Paul Rubens, Couple dansant. Sanguine, 21,9 x 14,4 cm. Paris, musée des Arts décoratifs.

Antoine Watteau, d’après Pierre Paul Rubens, Couple dansant. Sanguine, 21,9 x 14,4 cm. Paris, musée des Arts décoratifs. Photo service de presse. © Paris MAD Jean Tholance

Aux sources des fêtes galantes

À rebours des contraintes sociales ou protocolaires qui pèsent sur les festivités de la cour, les fêtes galantes de Watteau montrent un monde imaginaire qui renoue avec la simplicité fantasmée des pastorales bergères et de leurs sérénades. Elles sont un espace de liberté et de délassement qui prend les airs de la campagne et permet des relations amoureuses ou des liaisons autrement proscrites par les usages à la ville. La musique, la danse et les entretiens amoureux sont les principales activités qui s’y déroulent, toujours de manière tempérée, dans une innocence feinte et à l’écart des agitations du monde. Les fêtes galantes de Watteau innovent en représentant pour la première fois les valeurs et comportements aristocratiques, proposant ainsi un idéal de vie à contre-courant de celui de la cour.

Antoine Watteau, Jeune femme assise accordant un théorbe. Sanguine et graphite, 17,4 x 13,2 cm. Chantilly, musée Condé.

Antoine Watteau, Jeune femme assise accordant un théorbe. Sanguine et graphite, 17,4 x 13,2 cm. Chantilly, musée Condé. Photo service de presse. © GrandPalaisRmn (Domaine de Chantilly) / Michel Urtado

« Les mondes de Watteau », jusqu’au 15 juin 2025 au musée Condé, château de Chantilly, 60500 Chantilly. Tél. 03 44 27 31 80. www.chateaudechantilly.fr
Catalogue, Éditions Faton, collection « Les carnets de Chantilly », 208 p., 24 €. À commander sur www.faton.fr