Ramsès, une exposition pharaonique à la Villette (1/2). Un roi légendaire

Bague avec le cartouche de Ramsès II. C’est la première fois que cette œuvre est présentée hors d’Égypte. Nouvel Empire, XIXe dynastie.

Bague avec le cartouche de Ramsès II. C’est la première fois que cette œuvre est présentée hors d’Égypte. Nouvel Empire, XIXe dynastie. © Sandro Vannini / Laboratoriorosso

Après Toutânkhamon, la Grande Halle de la Villette met à l’honneur Ramsès II du 7 avril au 6 septembre 2023. L’exposition venue des États-Unis – à grand spectacle, avec de nombreuses reconstitutions en réalité virtuelle – est l’occasion de redécouvrir le plus glorieux des pharaons égyptiens, dont le nom signifie « c’est Rê qui l’a mis au monde ». Cent quatre-vingt pièces originales, dont certaines jamais sorties d’Égypte, émaillent le parcours. Entretien avec Dominique Farout, professeur à l’École du Louvre et commissaire scientifique associé pour la partition française.

Propos recueillis par Éléonore Fournié

La façade du Grand Temple de Ramsès II à Abou Simbel, Assouan. Nouvel Empire, XIXe dynastie.

La façade du Grand Temple de Ramsès II à Abou Simbel, Assouan. Nouvel Empire, XIXe dynastie. © World Heritage Exhibitions

La renommée d’un roi

L’exposition adopte le titre générique de Ramsès et non de Ramsès II. Pourquoi ?

En effet : le terme de Ramsès renvoie, plus qu’à un pharaon en particulier, davantage à un roi légendaire, l’archétype du souverain idéal. L’exposition ne traite pas des Ramessides en général mais aborde le règne de celui qui fut l’apothéose de ce phénomène d’idéalisation et de grandeur (auquel il participa pleinement d’ailleurs) : Ramsès II. Après lui, ses successeurs tenteront, en vain, de se hisser à son niveau de gloire et de notoriété – ils se nomment Ramsès pour convoquer son parrainage. Tant est si bien que progressivement le nom même de Ramsès va devenir synonyme de pharaon pour les Égyptiens anciens, puis à travers le monde. Le nom de Ramsès est inscrit sur tant de monuments qu’il parvint entre les mains de Jean-François Champollion. Son nom était encore si vivace dans les mémoires des érudits que le savant français sut le reconnaître et l’utiliser pour déchiffrer les hiéroglyphes.

Partie supérieure d’un colosse de Ramsès II en calcaire. C’est la première fois que cette œuvre est présentée hors d’Égypte. Musée de Sharm El-Sheikh. Nouvel Empire, XIXe dynastie.

Partie supérieure d’un colosse de Ramsès II en calcaire. C’est la première fois que cette œuvre est présentée hors d’Égypte. Musée de Sharm El-Sheikh. Nouvel Empire, XIXe dynastie. © 2020, Sandro Vannini

Pourquoi se souvient-on autant de ce souverain ?

Il a tout fait pour ! D’une part, il règne pendant 67 ans, ce qui est extrêmement long – c’est le plus long règne de l’Antiquité égyptienne – montant sur le trône à 25 ans et mourant à plus de 90 ans. Sans être anachronique, on peut, à cet égard, le comparer à Louis XIV ou à Élisabeth II d’Angleterre : la durée de leur règne a profondément marqué les esprits. D’autre part, il fait construire pléthore de temples remplis de statues, couvrant la vallée du Nil d’une empreinte architecturale destinée à proclamer sa grandeur. Il organise de son vivant son propre culte aussi bien grâce à ses édifices qu’à toute une série d’objets votifs. Il imite et usurpe ceux de ses prédécesseurs, dont ceux d’Aménophis III (ou Amenhotep III, le père d’Akhénaton), qui fut le plus grand constructeur de toute l’histoire égyptienne. Ainsi, son nom et son image sont répandus dans tout l’Empire. Il a donc un très bon service de « propagande » : son demiéchec à la bataille de Qadech est transformé en victoire éclatante pour les Égyptiens. Pour finir, il faut ajouter que, contrairement à d’autres souverains, la figure de Ramsès continue à se répandre dans les sources littéraires grecques, arabes, etc., jusqu’en Europe au siècle des Lumières. Sa réputation actuelle et les réappropriations populaires qui en sont faites continuent de refléter la démesure qui émane de ce souverain !  

L’exposition « Ramsès II le Grand » organisée en 1976 au Grand Palais est un immense succès populaire, accueillant plusieurs centaines de milliers de visiteurs.

Le pharaon à la lumière de l’archéologie

La momie de Ramsès II fut accueillie avec les honneurs dus à un souverain en fonction lors de sa venue en France dans les années 1970. Pourquoi est-il aussi populaire ?

La France est véritablement égyptophile depuis des siècles – et ce bien avant l’expédition de Bonaparte, qui n’est que la conséquence de cette égyptophilie millénaire issue du monde gréco-romain. Le XIXe siècle a ensuite été marqué par le tour de force de Jean-François Champollion qui a déchiffré les hiéroglyphes, qui a inauguré le département des Antiquités égyptiennes au musée du Louvre, et par l’œuvre d’Auguste Mariette qui a créé le service des Antiquités en Égypte, souhaité par Champollion, et le musée d’archéologie du Caire. La momie de Ramsès II était, au milieu des années 1970, en très mauvais état. Les autorités égyptiennes décident alors de la confier à la France pour qu’elle soit soumise à des examens médicaux et traitée. Elle arrive le 26 septembre 1976 à l’aéroport du Bourget, réceptionnée en effet avec les honneurs dignes d’un chef d’État. Elle rejoint ensuite le musée de l’Homme où elle reste huit mois. Une cinquantaine de spécialistes étudie le défunt, les tissus, le cercueil, etc. L’ensemble est radiostérilisé aux rayons gamma à la centrale nucléaire de Saclay. Puis Ramsès II rentre en Égypte. L’exposition Ramsès II le Grand organisée en 1976 au Grand Palais est un immense succès populaire, accueillant plusieurs centaines de milliers de visiteurs.

Tête d’une statue colossale de Ramsès II. C’est la première fois que cette œuvre est présentée hors d’Égypte. Nouvel Empire, XIXe dynastie.

Tête d’une statue colossale de Ramsès II. C’est la première fois que cette œuvre est présentée hors d’Égypte. Nouvel Empire, XIXe dynastie. © World Heritage Exhibitions

La plus célèbre momie au monde

À la fin du Nouvel Empire, soit près de deux siècles après le décès de Ramsès II, sa tombe, ainsi que celles d’autres pharaons de la vallée des Rois, sont pillées par des voleurs. Les autorités égyptiennes prennent alors soin de déplacer les momies profanées et de les cacher dans un lieu tenu secret. Ce sera le cas jusqu’à ce que de nombreux objets portant des titulatures royales apparaissent sur le marché des antiquités au Caire dans les années 1880. La première « cachette de Deir el-Bahari » est ainsi identifiée et les momies des souverains sortent de terre. Du mobilier funéraire de Ramsès II, pillé, ne subsistent que quelques bijoux et des fragments épars. Exposée au musée national de la civilisation égyptienne au Caire, la momie de Ramsès II montre un souverain aux cheveux teints en rouge, couleur qui symbolise le parfum, mesurant 1,72 m, possédant un nez prononcé et un menton en avant (qui lui donnent un air autoritaire). Sa peau était claire, ses oreilles percées ; le souverain souffrait des maladies dues à son âge (en particulier de l’arthrite) mais contrairement à ce que l’on peut lire parfois, il ne possédait aucune prothèse dentaire qui aurait permis de pallier l’absence de nombreuses dents perdues. Aujourd’hui la momie du souverain semble avoir « tout dit ». Toutefois, soutenus par Sahar Saleem, paléoradiologue à l’université du Caire, et Zahi Hawass, ancien ministre égyptien des antiquités, des chercheurs britanniques ont tenté de redonner un visage à Ramsès II âgé alors d’environ 45 ans. L’essai a été présenté dans l’émission « Des Racines & Des Ailes » diffusée sur France 3 le 28 septembre 2022. 

© Andrea Jemolo / Bridgeman Images

Ramsès II fascine aussi les scientifiques. Sur le terrain, quelles sont les fouilles actuelles liées à son règne ?

Aucune fouille n’est programmée dans l’unique but de trouver du Ramsès II. Il y a 25 ans, Kent R. Weeks identifiait, dans la vallée des Rois, l’entrée de la tombe KV5, perdue depuis sa découverte en 1825. Les fouilles ont permis de mettre au jour un complexe funéraire gigantesque composé d’au moins une centaine de chambres, destiné à être la dernière demeure des fils du souverain. La mission de Tell el-Daba, dirigée par Manfred Bietak, est consacrée à l’histoire du site de Pi-Ramsès, la ville royale de Ramsès II. On y dégage des témoins du Moyen Empire à l’époque ramesside, prouvant que la cité a été fondée à l’emplacement d’Avaris, l’ancienne capitale des Hyksos. Après le Nouvel Empire, elle a été démontée et déplacée à Tanis, à quelques kilomètres de là. Les fouilles de sauvetage dirigées par Dietrich Raue sur le site du grand temple d’Atoum à Héliopolis ont révélé l’existence de monuments inconnus dont un extraordinaire colosse que le roi Psammétique Ier (XXVIe dynastie) avait érigé à l’entrée d’un grand sanctuaire construit sous Ramsès II. Le choix de cet emplacement témoigne du besoin de raccrocher son règne à la gloire de celui de Ramsès II, antérieur de plus d’un demi-millénaire.

Qu’en est-il des fouilles françaises ?

Depuis un quart de siècle, l’équipe de Christian Leblanc fouille et restaure le Ramesseum, le temple de millions d’années de Ramsès II à Thèbes. Grâce à la description de Diodore de Sicile, Champollion avait reconnu le Ramesseum dès 1829. Il est construit sur une nécropole du Moyen Empire. Les travaux de Christian Leblanc ont ainsi mis au jour la tombe de la princesse Karomama, dont la statue en bronze rapportée par Champollion est l’un des chefs-d’œuvre du musée du Louvre. Les tombes de ces divines adoratrices d’Amon se trouvent dans les temples de millions d’années de Ramsès II et de Ramsès III, ce qui témoigne du prestige de « Ramsès » aux siècles suivants. Concernant l’époque de Ramsès II, ont été mis au jour, près du palais royal, un lieu contenant des jeux et de nombreux exercices scolaires encore inédits, témoignant de méthodes d’apprentissage des signes un par un jusqu’à la maîtrise de textes littéraires. Il s’agit de la seule école assurée de toute l’histoire pharaonique. Elle montre que l’on y apprenait à la fois à écrire et à dessiner. On peut en savoir plus sur leur site : www.asramesseum.org 

Le Ramesseum et le temple d’Amenhotep II vus de montgolfière en 2006.

Le Ramesseum et le temple d’Amenhotep II vus de montgolfière en 2006. © Hélène Guichard, CNRS-MAFTO / ASR

Une exposition événement

Pourquoi avoir organisé cette exposition ?

C’est un choix du Conseil suprême des Antiquités de la République arabe d’Égypte. Elle est produite conjointement par Cityneon et World Heritage Exhibitions et fait suite à la grande exposition sur Toutânkhamon qui avait été organisée en 2019. Tous les objets viennent de l’ancien musée historique du Caire (et pas du nouveau musée égyptien) ; certains sont complètement inédits et n’ont jamais quitté l’Égypte. Les autorités égyptiennes ont à cœur de faire connaître l’immensité de leur patrimoine et notamment l’une des périodes les plus glorieuses de cette histoire. Le XIIIe siècle avant notre ère fut en effet une période extrêmement faste avec une économie florissante et des échanges commerciaux internationaux allant de l’Inde à l’Angleterre (l’étain nécessaire à la réalisation du bronze vient alors de Cornouailles) ; les guerres de cette époque ne sont d’ailleurs pas des guerres de territoires mais pour le contrôle des voies commerciales. Après une introduction historique, le parcours de l’exposition commence par le règne de Ramsès II, présentant la création artistique de son temps, quelques-uns de ses contemporains les plus notables (tel son vizir Paser), abordant la guerre égypto-hittite et, une fois la paix retrouvée, les éclatantes constructions du souverain (dont Abou Simbel est le symbole). La seconde partie de l’exposition est dédiée à la mort du roi et à son extraordinaire postérité.

Vue du cercueil extérieur de Sennedjem, avec son couvercle et sur un traîneau en bois, dans l’exposition de San Francisco. Nouvel Empire, XIXe dynastie.

Vue du cercueil extérieur de Sennedjem, avec son couvercle et sur un traîneau en bois, dans l’exposition de San Francisco. Nouvel Empire, XIXe dynastie. © World Heritage Exhibitions

Parmi les objets qui sortent pour la première fois d’Égypte figurent le couvercle du sarcophage du roi Mérenptah et le cercueil du roi Chéchonq II.

Le titre de l’exposition convoque l’or des pharaons. Quel type d’objets pourra-t-on voir ?

Des bijoux, des masques, des doigtiers (étuis pour doigts), des sandales… mais aussi le couvercle en argent massif du cercueil de Chéchonq II (IXe siècle avant notre ère) ou encore le grand (et lourd) collier en or massif de Psousennès Ier qui appartiennent tous deux au trésor de Tanis. Parmi les objets qui sortent pour la première fois d’Égypte, figurent le couvercle du sarcophage en granite rose du roi Mérenptah, successeur de Ramsès, ou encore tout juste restauré, le cercueil du roi Chéchonq II et le fragile cartonnage recouvert de feuilles d’or qu’il contenait. Par leur forme, ils assimilent le roi à un dieu faucon, bras croisés sur la poitrine tenant les sceptres. Ils sont décorés des images des déesses et des fils d’Horus protecteurs des viscères. Ma pièce préférée est sans doute le cercueil extérieur de Sennedjem, artiste du roi inhumé dans la nécropole de Deir el-Médineh, le village des artisans des tombeaux de la vallée des Rois. Il vit sous Séthi Ier et Ramsès II. Son cercueil est présenté entouré de photos « en éclaté » des parois de sa tombe peinte.

Cercueil intérieur en cartonnage de Chéchonq II. Troisième Période intermédiaire, XXIIe dynastie.

Cercueil intérieur en cartonnage de Chéchonq II. Troisième Période intermédiaire, XXIIe dynastie. © World Heritage Exhibitions

Le trésor de Tanis

Mise au jour en 1939-1940 puis 1945-1946 par l’égyptologue Pierre Montet, la nécropole royale de Tanis a livré sept tombeaux des XXIe et XXIIe dynasties (Troisième Période intermédiaire, XIe -VIIe siècle avant notre ère). Le trésor se trouvait dans la sépulture de Psousennès Ier ; il constitue le plus grand ensemble de bijoux et d’orfèvrerie jamais exhumé depuis la découverte de la tombe de Toutânkhamon en 1922. On ignore toutefois le nombre exact d’objets initiaux, à cause de la vitesse d’extraction des tombes due en grande partie aux aléas de la Deuxième Guerre mondiale. 

Collier d’or et de gemmes incrustées, au nom de Psousennès Ier. Pièce magistrale d’orfèvrerie pesant plus de 8 kg, il est composé de près de 5 000 rondelles sur sept rangs ainsi que de chaînes décorées de petites clochettes. Trésor de Tanis.

Collier d’or et de gemmes incrustées, au nom de Psousennès Ier. Pièce magistrale d’orfèvrerie pesant plus de 8 kg, il est composé de près de 5 000 rondelles sur sept rangs ainsi que de chaînes décorées de petites clochettes. Trésor de Tanis. © World Heritage Exhibitions

Dans cette myriade d’œuvres, comment reconnaît-on celles du règne de Ramsès II ?

Son long règne voit coexister plusieurs styles différents correspondant à différents ateliers d’artistes. Certains traits sont propres au XIIIe siècle avant notre ère comme le nez busqué, une forme d’œil très allongé (hérité de l’art amarnien, avec la glande lacrymale qui descend en goutte), un cou présentant en général deux plis, des lobes d’oreille assez gros et percés, des vêtements plissés avec des manches largement ouvertes, et, pour les femmes, de longues robes qui descendent en s’évasant et des coiffures tripartites qui s’allongent au fur et à mesure du règne.

Repères chronologiques des souverains cités dans l’article

Moyen Empire (2040-1782 avant notre ère) XIIe dynastie
Sésostris III (vers 1878-1843 avant notre ère) – apogée du Moyen Empire

Nouvel Empire (1500-1000 avant notre ère) XVIIIe dynastie
Aménophis III ou Amenhotep III (1388-1350 avant notre ère)
Akhénaton (1350-1334 avant notre ère)
Toutânkhamon (1333-1322 avant notre ère)

XIXe dynastie
Séthi Ier (1290-1279 avant notre ère)
Ramsès II (1279-1213 avant notre ère) – troisième et plus brillant des pharaons de cette dynastie

« Ramsès & l’or des Pharaons », du 7 avril au 6 septembre 2023 à la Grande Halle de la Villette, 211 avenue Jean Jaurès, 75019 Paris. https://lavillette.com

L’exposition propose une aventure immersive, à travers une balade en réalité virtuelle, qui permet de découvrir le déroulement de la bataille de Qadech, les fabuleux temples d’Abou Simbel, le tombeau de la reine Néfertari, la célèbre cachette de la nécropole thébaine, redécouverte en 1881 et ainsi de mieux comprendre la vie de Ramsès II.

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Ramsès, une exposition pharaonique à la Villette