Raphaël dans le secret de son atelier
Les dessins du maître italien conservés au palais des Beaux-Arts de Lille qui ont fait l’objet d’analyses documentant la datation et l’élaboration de ses peintures donnent lieu à une exposition exceptionnelle. Au fil de celle-ci, on découvre la « méthode Raphaël » grâce à des dispositifs numériques.
Pour la première fois, le musée de Lille expose l’ensemble de ses quarante-sept pages de dessins de Raphaël (1483-1520). Sur les trente-sept feuilles du fonds, dix portent des dessins du maître recto-verso et cinq montrent au recto un dessin authentifié tandis que le verso est douteux ou attribué à l’atelier. Les autres sont vierges au verso, à l’exception de celle qui porte un mot d’accompagnement du peintre. Cinq feuilles recto-verso (dix pages) ont été confiées au Centre de recherche et de restauration des musées de France (C2RMF). Grâce à ces investigations et aux dispositifs numériques dans lesquels elles prennent place, il est possible de mieux comprendre le processus créatif de l’artiste.
Les traits invisibles
Depuis longtemps, les spécialistes de Raphaël ont décelé sur ses feuilles des traits en creux qualifiés d’invisibles. Aujourd’hui, on dit qu’ils sont incolores car, à côté des tracés de stylets ou de compas, les analyses ont mis en évidence l’utilisation de mine de plomb effacée. Diverses techniques ont permis de discerner des dessins presque disparus, par exemple dans l’Étude pour la Vierge à l’Enfant avec un livre dite Vierge Norton Simon (vers 1502-1503). En outre, l’observation des tracés effacés ou superposés a permis de comprendre l’intense travail d’élaboration des œuvres. Pour ses huiles sur bois ou ses fresques, comme pour les commandes dont il confiait la réalisation à d’autres peintres, Raphaël dessinait toutes les étapes jusqu’aux compositions très abouties, selon un processus que la co-commissaire et chargée du Cabinet des dessins au palais des Beaux-Arts, Cordélia Hattori, qualifie de « méthode Raphaël ».
Une expérience
Bien qu’érudite, dotée d’un catalogue très précis sur les œuvres présentées et les recherches menées, cette exposition est d’abord une expérience car on y voit les peintures se construire. Les dispositifs numériques imaginés par Régis Cotentin, responsable de l’art contemporain au palais des Beaux-Arts et co-commissaire, montrent l’évolution des motifs et mettent les dessins en relation pour aboutir à la version peinte, parfois présente dans le parcours. C’est le cas par exemple pour le retable de Saint Nicolas de Tolentino dit Pala Baronci (1501). Le parti pris est chronologique et montre l’influence de Léonard de Vinci et de Michel-Ange sur l’artiste qui les a côtoyés lors de son séjour à Florence, de 1504 à 1508, et sans doute avant. La maturité acquise lorsqu’il arrive à Rome en 1508 apparaît pleinement dans la reconstitution numérique de la Chambre de la Signature du Vatican où les reproductions des fresques se superposent à celles de dessins préparatoires conservés dans l’Europe entière. Sur la foi des feuilles de Lille, Cordélia Hattori propose d’ailleurs de réévaluer la datation de certains décors des Chambres.
Les collaborateurs de Raphaël, sa légende et son influence artistique jusqu’au XIXe siècle sont évoqués à la fin du parcours. Dans l’atrium du musée, autour de la rotonde dans laquelle des peintures et dessins sont projetés en haute résolution sur une musique de Jean-Benoît Dunckel, co-fondateur du groupe Air, le public peut découvrir les outils utilisés par l’artiste dans la réalisation de ses dessins.
« Expérience Raphaël », jusqu’au 17 février 2025 au palais des Beaux-Arts, place de la République, 59000 Lille. Tél. 03 20 06 78 28. pba.lille.fr
Catalogue, coédition GrandPalaisRMN Éditions / palais des Beaux-Arts de Lille, 176 p., 19,90 €.