Résistant, amateur d’art et historien : la Galerie Gallimard retrace la longue et riche vie de Daniel Cordier (1920-2020)

Daniel Cordier, Lyon, 1942. Photo attribuée à Maurice de Cheveigné (1920-1992), ami de Cordier, résistant et agent du BCRA. © Collection Famille Sivalax-Cordier
Qui mieux que Bénédicte Vergez-Chaignon, historienne spécialiste de la Seconde Guerre mondiale et de l’Occupation, aurait pu organiser cette exposition pour évoquer de façon vivante, en l’articulant en plusieurs volets, les grandes étapes de la riche vie de Daniel Cordier, avec qui elle travailla de 1989 à 1999 ? La salle d’exposition est certes petite, au sein de la Galerie Gallimard, mais l’évocation des mille activités de Cordier est dense. Qu’y trouve-t-on ?
Premier volet : années de jeunesse
Elles sont évoquées par des photos de ses parents, grands-parents, oncles et tantes, de son père qui l’avait « maudit », de sa mère « adorée, jalousée, détestée », et des lieux qu’il avait habités : Bordeaux, Bescat dans les Pyrénées-Atlantiques, le collège dominicain de Saint-Elme à Arcachon dont, mauvais élève sauf en français, il s’échappait. Son vrai nom de baptême était Bouyjou, Cordier étant celui du second mari de sa mère. L’Action française de Charles Maurras, à laquelle il adhéra dès l’âge de 13 ans avec passion, est rappelée par le petit journal Le Bahut où Cordier publia sous le nom de Bouyjou ses premiers articles. Plusieurs livres, qui furent pour lui des révélations, sont également exposés : Les Nourritures terrestres de Gide, les écrits de Thierry Maulnier, Les Thibault de Martin du Gard, L’Étranger de Camus, Le Mur et La Nausée de Sartre (écrivain qu’il admirait et qu’il connaîtrait bien).
Tract écrit et distribué par Daniel Cordier à Pau, 20 juin 1940. © Collection Famille Sivalax-Cordier
Deuxième volet : les années de guerre
Désespéré par la signature de l’Armistice, Cordier fit volte-face et rejoignit à Londres les Forces françaises libres du général de Gaulle pour y être formé pendant deux ans (plusieurs photos montrent les lieux, de Gaulle et d’autres personnages). Parachuté en France, Cordier devint, à Lyon, à ses risques et périls, d’octobre 1942 à mars 1943 le principal secrétaire du fameux chef de la Résistance, Jean Moulin, période la plus exaltante de son existence ; les documents exposés sont sans doute aussi ceux qui nous touchent le plus : la photo de Moulin que lui offrit plus tard sa sœur Laure et qui resta toujours posée sur son bureau ; à côté, une missive de la main du même Moulin (« Rex ») adressée le 11 septembre 1942 à « Alain » (Cordier) qui ne le connaissait que sous les noms de Rex ou de Max ; il ne découvrit que plus tard que son cher patron n’était autre que le célèbre Jean Moulin.
Note manuscrite de Jean Moulin à Daniel Cordier, 11 septembre 1942. © Archives nationales de France. Fonds Daniel Cordier (1870-2007) – 674AP14
Les années 1943-1946 qui suivirent le décès de Moulin, pendant lesquelles Cordier poursuivit sa mission au sein des services secrets, sont évoquées par des photos du colonel Passy, dont Cordier devient chef de cabinet, de Georges Bidault, avec lequel il s’entendait à merveille, de Pierre Brossolette, des lettres, ou encore les décorations remises à Cordier par de Gaulle, qu’il avait toujours défendu contre les critiques encourues par le général pour son action politique à la tête du gouvernement, même s’il lui arriva de la désapprouver. Cordier démissionna en 1946 quand de Gaulle quitta le pouvoir.
Troisième volet : Cordier et l’art
Sa vie prit alors un tout nouveau tournant qui l’occupa jusqu’à sa mort, celui de l’art, auquel d’ailleurs Moulin l’avait initié. S’étant essayé sans grand succès à la peinture en suivant des cours à la Grande Chaumière (Autoportrait de Cordier), il s’enthousiasma pour les œuvres de plusieurs peintres contemporains comme Dubuffet, Dado, et bien d’autres ; il devint l’un de leurs principaux mécènes.
Daniel Cordier (1920-2020), Autoportrait, deuxième moitié des années 1940. © Collection famille Sivalax-Cordier
Invité en Union soviétique en 1956 et 1957 par François de Liencourt, premier conseiller à l’Ambassade de France à Moscou qui, lui aussi, admirait Dubuffet, il reçut le conseil du diplomate et d’autres amis d’ouvrir sa propre galerie d’art contemporain, ce qu’il fit dès 1956 à Paris, Francfort et New York. Elle attira bientôt des foules d’amateurs plutôt que d’acheteurs. Une dizaine d’années plus tard, quasi ruiné, Cordier se résigna à la fermer. Désormais sans occupation, il entreprit d’immenses voyages, sillonnant tous les continents, toujours curieux de découvrir de nouvelles civilisations et de nouveaux témoignages artistiques.
Carton d’invitation à l’exposition Bouyjou-Cordier à la galerie de Beaune, juin 1955. © Collection Famille Sivalax-Cordier
Quatrième volet. Cordier historien et écrivain
Ayant toujours consigné sur ses calepins ses occupations quotidiennes et conservant de nombreuses archives, il était en mesure de rédiger ses mémoires. Soucieux de défendre une vérité historique souvent malmenée, il accepta de les publier sous son seul nom. Nombreux furent ses livres sur Jean Moulin, dont les trois volumes chez Lattès de Jean Moulin : L’inconnu du Panthéon, puis chez Gallimard, s’aidant de ses mémoires, Alias Caracalla (qui reçut plusieurs prix), Les Feux de Saint-Elme et, encouragé par Bénédicte Vergez-Chaignon, La Victoire en pleurant, Amateur d’art et enfin, cinq ans après son décès en 2020, le tout dernier : Rétro-chaos, prétexte à cette exposition.
Brouillons de la première version du récit de la mission de Jean Moulin écrite par Daniel Cordier entre 1978 et 1981 © Collection Famille Sivalax-Cordier
« Daniel Cordier. Mémoires d’une vie (1920-2020) », jusqu’au 15 mars 2025, Galerie Gallimard, 30/32 rue de l’Université, 75007 Paris. Tél. 01 49 54 42 30. www.galeriegallimard.com
Livret de l’exposition édité par Gallimard, 6,90 euros.