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Revoir Cimabue au musée du Louvre : aux origines de la peinture italienne

Cenni di Pepo, dit Cimabue, La Dérision du Christ (détail), vers 1285-1290. Peinture sur bois (peuplier), 25,8 x 20,3 cm. Paris, musée du Louvre.

Cenni di Pepo, dit Cimabue, La Dérision du Christ (détail), vers 1285-1290. Peinture sur bois (peuplier), 25,8 x 20,3 cm. Paris, musée du Louvre. Photo service de presse. © GrandPalaisRmn (musée du Louvre) / Gabriel de Carvalho

L’exposition « Revoir Cimabue » entend présenter pour la première fois le rôle majeur joué par Cimabue dans l’invention d’une nouvelle manière de peindre en Italie à la fin du XIIIe siècle, résolument naturaliste, illusionniste et moderne. Grâce à des prêts exceptionnels d’œuvres venues d’Italie, d’Angleterre, de Grèce et des États-Unis, mais aussi d’institutions françaises, le parcours permet de retracer le fil de cette histoire passionnante des débuts de la peinture italienne.

L’exposition s’organise autour de deux chefs-d’œuvre du peintre conservés au musée du Louvre présentés pour la première fois au public après leur restauration récente : la grande Maestà, arrivée au Louvre en 1813 en provenance de Pise, suite à sa saisie par Dominique Vivant Denon, et la Dérision du Christ, une œuvre inédite découverte à Compiègne en 2019, classée Trésor national et acquise par le Louvre en 2023. 

Des sources rares

Partir à la rencontre de cet immense artiste que fut Cimabue n’est pourtant pas aisé. On ignore presque tout de ce Cenni di Pepo, peintre florentin surnommé Cimabue, sans que l’on ne comprenne aujourd’hui la signification de ce surnom. Rares sont les documents nous permettant de connaître la vie et le parcours de l’artiste. Le premier le situe à Rome en 1272 aux côtés des membres les plus importants de l’Église : il était donc déjà un peintre renommé à cette date. Les autres concernent son activité à Pise en 1301-1302, date de sa mort.

Cenni di Pepo, dit Cimabue, La Maestà, vers 1285-1290. Peinture sur bois (peuplier), 25,6 x 20,8 cm. Londres, The National Gallery.

Cenni di Pepo, dit Cimabue, La Maestà, vers 1285-1290. Peinture sur bois (peuplier), 25,6 x 20,8 cm. Londres, The National Gallery. Photo service de presse. © The National Gallery, Londres, dist. GrandPalaisRmn – National Gallery Photographic

Le mythe Cimabue

Il faut se tourner ensuite vers l’historiographie des XIVe, XVe et XVIe siècles pour tenter d’en savoir plus sur ce peintre ô combien mystérieux, dont la légende fut enrichie au fil des siècles. L’introduction de l’exposition présente ainsi comment s’est construit progressivement le mythe Cimabue, depuis Dante qui le cite pour la première fois dans la Divine Comédie, jusqu’à Giorgio Vasari qui rédige une biographie artistique inédite de celui qui est alors considéré comme le premier rénovateur de la peinture italienne. On découvre comment, depuis les Médicis au XVe siècle, jusqu’aux grands musées et collectionneurs au XIXe siècle, on a tenté, souvent en vain, de faire coïncider le nom mythique de Cimabue avec des œuvres d’art, peintures ou dessins. C’est seulement à partir de la fin du XIXe siècle, et grâce aux travaux des historiens de l’art du XXe siècle, que l’on a pu reconstituer peu à peu un corpus d’œuvres cohérent qui se rattache à Cimabue.

Atelier de Botticelli (1445-1510), La Vierge et l’Enfant, vers 1500. Peinture sur bois, 62,5 x 46,6 cm. Lille, palais des Beaux-Arts. Ce tableau est le premier à avoir rejoint les collections du Louvre sous une attribution à Cimabue au début du XIXe siècle.

Atelier de Botticelli (1445-1510), La Vierge et l’Enfant, vers 1500. Peinture sur bois, 62,5 x 46,6 cm. Lille, palais des Beaux-Arts. Ce tableau est le premier à avoir rejoint les collections du Louvre sous une attribution à Cimabue au début du XIXe siècle. © Bridgeman Images

« Cimabue se crut, dans la peinture,
Maître du champ, mais on crie pour Giotto,
Tant que de lui, la gloire s’obscurcit 
»

Dante Alighieri, Divine Comédie, Purgatoire, Chant XI

La peinture italienne et la manière grecque

Des toutes premières créations du peintre, on ne sait rien, mais on peut supposer que celui-ci dut commencer sa formation dans les années 1250-1260 entre Florence, sa ville natale, et Pise, qui est alors le centre artistique le plus dynamique de Toscane, avec à sa tête le plus grand peintre d’alors, Giunta Pisano. C’est l’une de ses grandes Croix peintes, la Croix dite de San Ranierino, qui accueille les visiteurs de l’exposition et donne à voir quelle était la manière de peindre dans ces années où Cimabue dut forger ses premières armes.

Giunta di Capitino, dit Giunta Pisano (documenté de 1229 à 1265 (?)), Croix peinte, dite de San Ranierino, vers 1240-1250. Tempera et huile sur bois, 184 x 134 cm. Pise, Museo nazionale di San Matteo.

Giunta di Capitino, dit Giunta Pisano (documenté de 1229 à 1265 (?)), Croix peinte, dite de San Ranierino, vers 1240-1250. Tempera et huile sur bois, 184 x 134 cm. Pise, Museo nazionale di San Matteo. Photo service de presse. © Su concessione del Ministero della Cultura – Musei nazionali di Pisa – Direzione regionale Musei Nazionali Toscana – Firenze

Cette manière, c’est une manière très marquée par l’art des icônes orientales, byzantines ou venues de Chypre et des territoires croisés du Proche-Orient, dont certains exemplaires sont présentés pour la première fois en France dans l’exposition. Ces œuvres dotées d’une aura exceptionnelle furent imitées en Italie par des artistes qui cherchèrent à s’en approprier les modes d’expression. On privilégie alors les formes volontairement conventionnelles, souvent géométriques, pour construire les corps et les visages et souligner le caractère divin des personnages représentés, dont on marque ainsi l’appartenance à un monde distinct de celui des hommes. 

Peintre byzantin, Tétraévangile, Constantinople (?), vers 1260-1280. 33,5 x 25 cm. Paris, Bibliothèque nationale de France.

Peintre byzantin, Tétraévangile, Constantinople (?), vers 1260-1280. 33,5 x 25 cm. Paris, Bibliothèque nationale de France. Photo BnF

Des icônes à découvrir

Les visiteurs pourront découvrir dans l’exposition certaines des icônes les plus importantes du XIIIe siècle encore aujourd’hui conservées, prêtées exceptionnellement par la National Gallery of Art de Washington ou par le Musée d’art byzantin et chrétien d’Athènes. L’empereur byzantin Michel VIII Paléologue favorisa les échanges artistiques entre Orient et Occident en offrant icônes et manuscrits aux plus hauts dignitaires occidentaux afin de promouvoir sa politique diplomatique visant à réunir les églises d’Orient et d’Occident. Ce sont des œuvres comparables à celles-ci que Cimabue dut observer avec attention au début de sa carrière.

Peintre byzantin, Madone Kahn, vers 1272-1282. Tempera et or sur boisde peuplier, 130 x 77 cm. Washington, National Gallery of Art.

Peintre byzantin, Madone Kahn, vers 1272-1282. Tempera et or sur boisde peuplier, 130 x 77 cm. Washington, National Gallery of Art. Photo service de presse. Courtesy National Gallery of Art, Washington

Autour de la Maestà du Louvre

Mais rapidement, le peintre chercha à renouveler ces modes de représentation pourtant hautement estimés, en donnant à sa peinture une orientation résolument naturaliste, en abandonnant les déformations conventionnelles volontaires déployées dans les icônes, pour figurer pour la première fois des personnages saints comme des hommes : dans des corps d’hommes, avec des sourcils, des mains articulées, des jambes musclées, parés de costumes soulignant leurs formes et se mouvant dans un monde en trois dimensions. Ce changement radical dans la représentation, cette quête de naturalisme et d’illusionnisme spatial, on l’observe pour la première fois dans la grande Maestà peinte par Cimabue vers 1280 pour l’église san Francesco de Pise. L’œuvre était destinée à être hissée sur le jubé et à dominer les fidèles dans la nef, comme le souligne une reconstitution 3D présentée dans l’exposition.

Reconstitution en 3D du jubé de l’église san Francesco de Pise.

Reconstitution en 3D du jubé de l’église san Francesco de Pise. © Rechichi, Cooper, Giles, Bevilacqua

Les révélations de la restauration

À l’issue de sa restauration récente (3 ans de chantier), elle révèle ses secrets, à commencer par ses coloris clairs, vifs et raffinés, retrouvés sous les couches de vernis oxydés et les repeints abondants. C’est également le sens inédit du naturalisme déployé par Cimabue qui refait surface : avec une virtuosité technique déconcertante, l’artiste parvient à créer des effets de transparence inédits pour suggérer la finesse de certains costumes, comme s’ils étaient réellement palpables, pour révéler le corps des personnages sous ceux-ci, à l’image de la jambe de l’Enfant sous son voile blanc. Des phalanges des doigts effilés de la Vierge au rendu de la pression de la main de l’enfant sur le rotulus qui se courbe légèrement sous son action, en passant par le dégradé de rose, d’ocre et de terres qui modèle les joues des anges, tout concourt ici à ancrer progressivement la représentation dans un monde qui ressemble au nôtre, à faire des personnages représentés des êtres dont l’humanité est pour la première fois soulignée. Les objets et les accessoires renvoient eux aussi à la réalité du XIIIe siècle, tel le précieux textile islamique peint derrière la Vierge, dont Cimabue a été jusqu’à reproduire fidèlement le décor d’aigle dans des médaillons et des inscriptions qui sont encore en partie lisibles aujourd’hui.

Cenni di Pepo, dit Cimabue (vers 1240-1301/1302), La Vierge et l’Enfant en majesté entourés de six anges (Maestà), vers 1280-1285. Peinture sur bois de peuplier, 424 x 276 cm.

Cenni di Pepo, dit Cimabue (vers 1240-1301/1302), La Vierge et l’Enfant en majesté entourés de six anges (Maestà), vers 1280-1285. Peinture sur bois de peuplier, 424 x 276 cm. Paris, musée du Louvre. © C2RMF / Thomas Clot

L’Italie et l’Orient islamique au XIIIe siècle

Ces textiles, comme d’autres objets précieux venus des terres d’Islam du pourtour méditerranéen, que ce soit du Sud de l’Espagne, du Maghreb, de l’Égypte ou du Proche-Orient, constituaient des objets d’une immense préciosité pour les Italiens du XIIIe siècle, qui en faisaient le commerce, les employaient comme reliquaires, pour orner les autels de leurs églises ou pour envelopper la dépouille des personnages les plus sacrés : saints et empereurs. L’exposition présente certaines de ces pièces comparables à celles que Cimabue reproduisit avec une fidélité inédite dans ses peintures, et qui nourrirent son inspiration. Ce fut peut-être le cas d’un précieux gobelet en verre émaillé produit en Syrie dans la deuxième moitié du XIIIsiècle, dont la présence est attestée en Italie au moment où Cimabue peignait sa Maestà.

Syrie, deuxième moitié du XIIIe siècle, Gobelet dit aux joueurs de polo ou aux cavaliers. Verre soufflé, décor émaillé et doré, H. 15,5 cm. Paris, musée du Louvre.

Syrie, deuxième moitié du XIIIe siècle, Gobelet dit aux joueurs de polo ou aux cavaliers. Verre soufflé, décor émaillé et doré, H. 15,5 cm. Paris, musée du Louvre. © musée du Louvre, Dist. GrandPalaisRmn / Hugues Dubois

La restauration récente de l’œuvre a permis de mettre au jour dans son cadre un décor d’inscriptions arabes sur fond rouge très proche de celui encadrant la composition du gobelet aux joueurs de polo. Ces inscriptions arabes ou imitant l’écriture arabe sont omniprésentes dans le tableau de Cimabue. Elles étaient sans doute perçues comme une référence au langage divin, à celui de la Terre Sainte dont provenaient les objets pris pour modèle par Cimabue, auxquels on attribuait souvent une origine légendaire et une date très ancienne : voile de la Vierge ou de sainte Anne, verre avec lequel la manne fut récoltée par Abraham, etc. Le prestige de ces objets comme de leurs écritures, à une époque où la question du langage divin passionne les théologiens, explique la fascination qu’ils durent exercer chez les artistes et commanditaires.

« À la suite de Cimabue, les peintres ne cherchent plus à reproduire des prototypes estimés, mais affirment au contraire leur personnalité, leurs inventions […]. »

Émulation et invention : la peinture dans les années 1280

Ce sens du naturalisme et cette volonté de faire entrer le réel dans la peinture ont fait l’effet d’un véritable choc chez les contemporains de Cimabue, que ce soit le Maître de San Martino, un mystérieux peintre pisan qui réinterpréta la Maestà de Cimabue dans une œuvre présentée dans l’exposition en vis-à-vis du chef-d’œuvre du Florentin, ou le jeune peintre siennois Duccio di Buoninsegna. Une section de l’exposition présente comment la décennie 1280-1290 a vu de nombreux peintres créer un climat d’émulation sans précédent, conduisant à une recherche presque frénétique de nouveauté, d’innovation. À la suite de Cimabue, les peintres ne cherchent plus à reproduire des prototypes estimés, mais affirment au contraire leur personnalité, leurs inventions, tel Duccio dans sa petite Madone des Franciscains, prêtée exceptionnellement par la Pinacothèque nationale de Sienne, une œuvre tout en élégance, en délicatesse, en lignes sinueuses et dans laquelle le jeune prodige siennois a l’idée géniale de représenter trois Franciscains agenouillés aux pieds de la Vierge, parvenant à suggérer leur animation en les figurant dans des positions qui témoignent d’une première tentative de décomposition du mouvement.

Duccio di Buoninsegna (documenté à partir de 1278-1318), La Vierge et l’Enfant avec trois Franciscains, dite Madone des Franciscains, vers 1285-1288. Tempera sur bois, 24 x 17 cm. Sienne, Pinacoteca nazionale.

Duccio di Buoninsegna (documenté à partir de 1278-1318), La Vierge et l’Enfant avec trois Franciscains, dite Madone des Franciscains, vers 1285-1288. Tempera sur bois, 24 x 17 cm. Sienne, Pinacoteca nazionale. Photo service de presse. © Su concessione del Ministero della Cultura, Musei Nazionali di Siena

Cimabue et Duccio

Renouvelant le thème de la Vierge et l’Enfant, il figure également avec un naturel étonnant deux anges accoudés à leur nuage en train de contempler les personnages principaux dans l’un de ses chefs-d’œuvre de jeunesse, la Madone de Crevole. Si Cimabue marqua le jeune Duccio lorsque celui-ci séjourna à Florence en 1285, il fut sans doute à son tour frappé par la richesse des inventions du jeune Siennois, comme en témoigne la Madone Gualino, longtemps attribuée à Duccio, et présentée dans l’exposition sous le nom de Cimabue. Celle-ci présente en effet de nombreux traits caractéristiques de la manière et de la technique du Florentin, qui, après la peinture de la Maestà, continua à explorer la voie du naturalisme et de l’humanisation de la représentation. L’Enfant est ici plus vif et plus animé que dans le tableau destiné aux Franciscains de Pise, comme si Cimabue avait cherché à répondre aux bambins gesticulants peints par Duccio. En offrant la possibilité de voir côte à côte ces œuvres, l’exposition parvient à rendre compte de ce climat d’intense émulation qui caractérisa la peinture à Florence durant cette décennie.

Duccio di Buoninsegna, La Vierge et l’Enfant, dite Madone de Crevole, vers 1285. Tempera sur bois, 89 x 60 cm. Sienne, Museo dell’Opera del Duomo (en dépôt de l’archidiocèse de Sienne).

Duccio di Buoninsegna, La Vierge et l’Enfant, dite Madone de Crevole, vers 1285. Tempera sur bois, 89 x 60 cm. Sienne, Museo dell’Opera del Duomo (en dépôt de l’archidiocèse de Sienne). © Bridgeman Images

Un Trésor national présenté pour la première fois au public

C’est au cours de ces années que Cimabue dut peindre l’une de ses compositions les plus novatrices, un diptyque narratif destiné à une communauté de Clarisses, dont trois éléments sont réunis pour la première fois dans l’exposition : la petite Maestà (Londres, National Gallery), La Flagellation du Christ (New York, The Frick Collection) et enfin La Dérision du Christ (Paris, musée du Louvre). Cette dernière a été découverte à Compiègne en 2019 et classée Trésor national, avant d’être acquise par le musée du Louvre en 2023. Elle est présentée au public dans l’exposition, à l’issue de sa restauration récente.

Cenni di Pepo, dit Cimabue, La Flagellation (détail page suivante), vers 1285-1290. Peinture sur bois (peuplier), 24,7 x 20 cm. New York, The Frick Collection.

Cenni di Pepo, dit Cimabue, La Flagellation (détail page suivante), vers 1285-1290. Peinture sur bois (peuplier), 24,7 x 20 cm. New York, The Frick Collection. Photo service de presse. © The Frick Collection

La réunion de ces trois œuvres sans doute séparées au début du XIXe siècle permet de découvrir une facette jusqu’alors méconnue de l’art de Cimabue, celle d’une peinture d’une grande liberté, vive et colorée, d’un naturalisme plus que jamais affirmé. Dans une œuvre aux dimensions réduites, le peintre figure des personnages aux jambes parfaitement restituées, avec leurs mollets, leurs tibias saillants et même leurs rotules soulignées par quelques coups de pinceau, et leurs chausses colorées à la mode du XIIIe siècle. Tous ont un visage différent, aux traits caractérisés, comme s’ils étaient saisis sur le vif. Cimabue s’affirme ici comme l’inventeur d’une nouvelle peinture qui dut marquer toute une génération d’artistes, ouvrant la voie aux grandes compositions narratives du début du XIVe siècle.

Cenni di Pepo, dit Cimabue, La Dérision du Christ, vers 1285-1290. Peinture sur bois (peuplier), 25,8 x 20,3 cm. Paris, musée du Louvre.

Cenni di Pepo, dit Cimabue, La Dérision du Christ, vers 1285-1290. Peinture sur bois (peuplier), 25,8 x 20,3 cm. Paris, musée du Louvre. Photo service de presse. © GrandPalaisRmn (musée du Louvre) / Gabriel de Carvalho

Duccio et Giotto et les voies du renouveau de la peinture à l’aube du XIVe siècle

Cet héritage de Cimabue, on le saisit en admirant face à face, de part et d’autre de la Maestà, le grand Saint-François d’Assise recevant les stigmates peint par Giotto et deux des panneaux du revers de la Maestà de Duccio. Ces derniers poussent plus avant les expériences narratives si nouvelles mises en œuvre par Cimabue dans La Dérision du Christ. En comparant les mêmes scènes peintes par Cimabue et par Giotto une vingtaine d’années plus tard, les visiteurs découvrent combien le jeune Siennois dut être frappé par l’art si novateur de Cimabue, qu’il réinterpréta dans des compostions monumentales, au rythme narratif plus accentué où s’exprime un sens du détail et du pittoresque jusqu’alors inédit.

Giotto di Bondone (vers 1267-1337), Saint François d’Assise recevant les stigmates. Dans la partie inférieure : Le Songe d’Innocent III ; Innocent III approuvant les statuts de l’ordre ; La Prédication de saint François d’Assise aux oiseaux, vers 1298. Bois (peuplier), 330 x 178,5 cm (avec la moulure rapportée à l’époque napoléonienne). Paris, musée du Louvre.

Giotto di Bondone (vers 1267-1337), Saint François d’Assise recevant les stigmates. Dans la partie inférieure : Le Songe d’Innocent III ; Innocent III approuvant les statuts de l’ordre ; La Prédication de saint François d’Assise aux oiseaux, vers 1298. Bois (peuplier), 330 x 178,5 cm (avec la moulure rapportée à l’époque napoléonienne). Paris, musée du Louvre. Photo service de presse. © GrandPalaisRmn (muse du Louvre) / Michel Urtado

De l’autre côté de la salle, une autre voie : celle de Giotto et de son Saint François peint moins d’une vingtaine d’années après le chef-d’œuvre de Cimabue par son disciple. Alors que Cimabue est encore vivant, Giotto se voit confier l’achèvement de la décoration du jubé de l’église San Francesco de Pise. Son Saint François était destiné à prendre place à côté de l’œuvre maîtresse de son maître. En moins de vingt ans, grâce à un climat d’émulation extraordinaire, la peinture a déjà beaucoup changé. Sous le pinceau de Giotto triomphe désormais l’expressivité des personnages et l’illusionnisme spatial, poussés à un niveau sans précédent. On ne peut s’empêcher de penser que, derrière la licence poétique, le sonnet de Dante se fait l’écho d’une réalité : celle d’un Cimabue qui fut le plus grand peintre de son temps, mais dont les disciples, en quelques années seulement, donnèrent à leur tour une impulsion nouvelle à la peinture à l’aube du XIVe siècle éclipsant la gloire du vieux maître florentin.

« Revoir Cimabue. Aux origines de la peinture italienne », jusqu’au 12 mai 2025 au musée du Louvre, aile Denon, 1er étage, 75001 Paris. Tél. 01 40 20 53 17. www.louvre.fr

À lire : catalogue, sous la direction de Thomas Bohl, coédition musée du Louvre éditions / Silvana Editoriale, 280 p., 42 €.
Dossiers de l’Art n° 325, éditions Faton, 80 p., 11 €. À commander sur www.faton.fr