Une expo, une œuvre : La Mise au tombeau de Paul Delvaux

Paul Delvaux, La Mise au tombeau (détail), 1953. Huile sur bois, 175 x 300 cm. Liège, La Boverie. Photo service de presse. © Fondation Paul Delvaux – V. Everarts © adagp, Paris 2025
Si l’exposition « Les mondes de Paul Delvaux » à Liège éclaire le travail du peintre surréaliste belge en tissant un dialogue avec quelques figures majeures de son temps (Picasso, De Chirico, Magritte…), elle a également une dimension rétrospective et offre une impressionnante réunion d’œuvres qui s’ouvre avec la première du peintre (1920) et se clôt avec sa dernière (1984). Cette traversée de l’univers pictural de Delvaux et de ses thèmes de prédilection est l’occasion de s’arrêter sur l’une de ses compositions les plus saisissantes, La Mise au tombeau (1953).
Le centenaire du surréalisme et la commémoration des trente ans de la disparition de Paul Delvaux (1897-1994) offraient une double raison d’organiser une exposition en pays mosan, région dont l’artiste était originaire et qu’il a peinte à plusieurs reprises. En suivant les grands sujets et motifs chers à l’artiste, trains et gares, vestales, architectures antiques, squelettes, le parcours retrace les étapes constitutives d’un langage pictural singulier, caractérisé par une iconographie obsédante comme les rêves. On y croise à la fois des tableaux fameux, tels L’Aube (1943) ou Le Tunnel (1978), d’autres qui le sont moins ainsi que de nombreux dessins – domaine où Delvaux excelle et qui irrigue largement sa peinture.
Paul Delvaux, La Mise au tombeau, 1953. Huile sur bois, 175 x 300 cm. Liège, La Boverie. Photo service de presse. © Fondation Paul Delvaux – V. Everarts © adagp, Paris 2025
Une scène universelle
Une version très similaire, datée de 1951, de La Mise au tombeau fit scandale à la Biennale de Venise en 1954 auprès des autorités ecclésiastiques, choquées par l’appropriation pour le moins irrévérencieuse d’une iconographie sacrée. Il faut pourtant reconnaître que l’irrévérence du peintre tient ici du génie. La prise en considération des précédentes étapes ayant nourri le langage de Delvaux permet de comprendre ce qui est à l’œuvre ici. Commissaire de l’exposition, Camille Brasseur, directrice de la Fondation Paul Delvaux, qui considère cette « toile majestueuse et de grand format » comme « emblématique de la production de Delvaux dans la période d’après-guerre », rappelle d’abord le choc, révélateur, éprouvé par l’artiste avant la guerre en découvrant les œuvres surréalistes (notamment celles de l’exposition « Minotaure » en 1934 au palais des Beaux-Arts de Bruxelles).
En reprenant ici le thème de la Passion, il cherche à son tour à créer un choc poétique par l’association anachronique ou simplement inattendue d’éléments représentés avec un grand réalisme. Si elle suit en cela une logique surréaliste, cette œuvre entretient aussi un lien avec l’expressionnisme que Delvaux explora bien avant cela, à la fin des années 1920. Le motif du squelette est en effet pour lui une façon de s’approprier une figure, de la mettre en situation. « Il a un jour l’idée de substituer aux personnages de chair des squelettes dans des scènes de Passion, explique la commissaire. Il s’agit pour lui de ramener l’être à l’essentiel, c’est-à-dire de le dépouiller de tous ses attributs et de véhiculer par ce biais un message humaniste. »
Paul Delvaux, La Mise au tombeau (détail), 1953. Huile sur bois, 175 x 300 cm. Liège, La Boverie. Photo service de presse. © Fondation Paul Delvaux – V. Everarts © adagp, Paris 2025
« à travers leurs gestes et leurs attitudes les squelettes s’animent presque naturellement de toute l’émotion de la déploration du Christ »
L’expression à son comble
Curieusement, l’expressivité des squelettes, leur dimension dramatique contrastent vivement avec les personnages de chair de la plupart de ses tableaux. En particulier, les femmes nues qui parsèment son œuvre sont figées, arrêtées dans des attitudes maniéristes, des postures théâtralisées ; elles paraissent impassibles et inaccessibles avec leur regard vide, dirigé vers l’intérieur. Inversement, à travers leurs gestes et leurs attitudes les squelettes s’animent presque naturellement de toute l’émotion de la déploration du Christ. La théâtralité de la scène repose également sur une dynamique soigneusement élaborée : « Le sol de cette toile est constitué d’une sorte de tôle ondulée, un motif typique de l’univers de Delvaux », note la commissaire, qui pointe aussi la façon dont les vitraux abstraits créent des lignes de force dans la composition. Le rythme s’appuie aussi sur l’emploi d’un nuancier restreint, palette éteinte et lunaire habituelle à Delvaux, au sein de laquelle contrastent quelques touches vives. Il n’est pas question ici de vanité, genre que l’artiste belge n’a pratiqué qu’une fois, sous la forme d’un petit crâne, au début de sa carrière. Les squelettes de Delvaux sont, eux, bien vivants.
Pour voir cette œuvre, rendez‑vous à l’exposition « Les mondes de Paul Delvaux », qui se tient à La Boverie, à Liège, jusqu’au 16 mars 2025. www.expo-pauldelvaux.com