Une exposition, une œuvre : Les Roses de Pierre Joseph Redouté à l’abbaye de Saint-Riquier
Familière et néanmoins fascinante, la rose peuple nos jardins et notre imaginaire depuis plus de cinq mille ans. C’est son histoire infiniment variée que le centre culturel départemental de l’abbaye de Saint-Riquier a décidé de conter cet hiver, à travers quelque trois cents œuvres et objets fort divers prêtés par trente-cinq institutions et collectionneurs. Pierre Joseph Redouté, éminent peintre des fleurs, ne pouvait manquer d’y paraître.
Cultivée dès l’Antiquité de la Chine à la Mésopotamie, de l’Égypte pharaonique à la Grèce, pour ses propriétés cosmétiques et médicinales, la rose continue de l’être au Moyen Âge, notamment dans les jardins monastiques et seigneuriaux. Cette époque la célèbre également dans les arts profanes et sacrés, la noble fleur ayant été très tôt associée à la Vierge, parfois invoquée sous les appellations de « rose mystique » ou « rose sans épines ». De somptueux exemples de paramentique du XVIIe siècle, entre autres trésors religieux, témoignent dans l’exposition de la permanence de ce symbole dans l’Église catholique.
« C’est le début d’une frénésie botanique inédite : les amateurs multiplient les croisements, et ce sont bientôt des centaines de variétés nouvelles qui fleurissent dans les jardins occidentaux. »
Rosa damascena, importée dans nos contrées lors des croisades, voisine alors avec Rosa gallica et Rosa alba, avant que Rosa centifolia n’entre en scène, devenant la vedette des natures mortes flamandes à compter du début du XVIIe siècle – comme l’illustrent ici les tableaux de Gaspar Pieter Verbruggen le Vieux (1635-1681) et Nicolaes Van Verendael (1640-1691). Jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, les savants répertorient seulement une vingtaine de variétés. Cependant, parce qu’elle est la fleur favorite de Marie-Antoinette, la rose est omniprésente dans les arts décoratifs et mobiliers, la mode et, bien sûr, l’univers du parfum. Le Premier Empire s’en amourache à son tour et l’impératrice Joséphine la fait cultiver dans son château de Malmaison dès 1799. C’est le début d’une frénésie botanique inédite : les amateurs multiplient les croisements, et ce sont bientôt des centaines de variétés nouvelles qui fleurissent dans les jardins occidentaux.
Un peintre de fleurs impérial
C’est dans ce contexte que le dessinateur et peintre Pierre Joseph Redouté (1759-1840), naguère peintre de la fameuse collection des Vélins du roi, puis illustrateur de divers ouvrages savants au cours de l’époque révolutionnaire, devient le peintre de fleurs de Joséphine. Il réalise ainsi 120 planches gravées et aquarellées pour Le Jardin de la Malmaison (1803-1805) du botaniste Étienne Pierre Ventenat. L’impératrice acquiert ensuite les illustrations originales des Liliacées, publiées entre 1802 et 1816. Enfin, elle lui aurait commandé l’illustration des roses de Malmaison (le jardin en comporta jusqu’à 250 variétés), à l’origine de l’œuvre majeure de Redouté, publiée entre 1817 et 1824 : Les Roses. Cet ouvrage de botanique en trois volumes dont Claude Antoine Thory rédige les textes est illustré de planches d’une perfection technique et scientifique immédiatement louée par les bibliophiles comme par les botanistes, et vaut à son auteur de figurer au premier rang des peintres de plantes.
La rose, partout, tout le temps
Tandis que les concours et catalogues de vente se multiplient, les réticules, tissus d’ameublement, accessoires de mode, décors, objets du quotidien ou d’apparat s’ornent de roses. La « rosemania » connaît son apogée sous le Second Empire. Quand vient l’heure de l’Art nouveau, la rose se réinvente, comme l’illustrent trois vases prêtés pour l’exposition par le musée national des Beaux-Arts de Lettonie. L’Art déco ne la dédaigne pas, qui la traite audacieusement, la stylisant à l’extrême. La seconde moitié du XXe siècle l’embrasse avec passion comme symbole de féminité ; parfums, maquillage, haute couture ne se lassent pas de l’exploiter.
Il existerait actuellement environ 40 000 variétés de roses, et l’on continue d’en créer. Dans le département de la Somme, la rose Somme 1916 en est un exemple, qui lie la grâce d’une fleur à l’âpreté d’un épisode historique dont les cicatrices marquent à jamais le territoire. De l’art au quotidien le plus trivial, du luxe à l’humble souvenir intime, la rose n’a pas fini d’écrire son histoire – et la nôtre.
« Rosemania. Une histoire de la rose », jusqu’au 16 février 2025 au centre culturel départemental de l’abbaye de Saint‑Riquier, Place de l’église, 80135 Saint‑Riquier. www.somme.fr