L’art autrement : regards choisis sur l’art.

 

Jeanne Du Barry. Épisode IV : « sa passion de l’art et des collections l’a probablement tuée »

Élisabeth Vigée Le Brun (1755-1842), Jeanne Bécu, comtesse Du Barry, en peignoir, avec un chapeau de paille (détail), 1781. Huile sur toile marouflée sur isorel, 86 x 66 cm. Collection particulière. © DR
Élisabeth Vigée Le Brun (1755-1842), Jeanne Bécu, comtesse Du Barry, en peignoir, avec un chapeau de paille (détail), 1781. Huile sur toile marouflée sur isorel, 86 x 66 cm. Collection particulière. © DR

Décryptant habituellement la Révolution, l’Empire et les monarchies constitutionnelles, l’historien Emmanuel de Waresquiel s’est laissé séduire par le charme ensorcelant et la personnalité brillante de celle qui fut peut-être la femme la plus ravissante de l’Ancien Régime. Publiée récemment aux éditions Tallandier, la biographie qu’il consacre à Jeanne Du Barry dresse un portrait inédit de la dernière favorite de Louis XV qui, loin du personnage sulfureux que l’Histoire a voulu retenir, s’imposa surtout comme l’un des plus grands mécènes du Siècle des Lumières. Celui qui se définit comme un homme de « sources » ou de « traces » a également retrouvé l’identité du véritable père de Jeanne, le financier Claude Billard du Monceau, ainsi que de sa fille cachée, Marie-Joseph Bécu de Cantigny, dite « Betsi ». Il s’en ouvre aux lecteurs de L’Objet d’Art.

Propos recueillis par Nathalie d’Alincourt et Olivier Paze-Mazzi
Emmanuel de Waresquiel. © David Atlan
Emmanuel de Waresquiel. © David Atlan

Quelle amatrice de peinture est-elle ?

Un quart de sa collection est composé de maîtres anciens de l’école du Nord, un goût conforme à celui de son époque. Dans le secret de sa bibliothèque versaillaise était sans doute accroché le tableau le plus sulfureux de sa collection : la Vénus endormie du Flamand Cornelis Van Poelenburgh. Elle possédait aussi le célèbre portrait de Charles Ier par Van Dyck. Elle privilégie pourtant majoritairement la création contemporaine française : Greuze, Vien, Drouais, Vernet, auquel elle commande pour Louveciennes Les Quatre Parties du jour.

Joseph Vernet (1714-1789), Les Quatre Parties du jour. La Nuit, un port de mer au clair de lune. Huile sur toile, 98 x 164 cm. Paris, département des Peintures du musée du Louvre. © RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Michel Urtado
Joseph Vernet (1714-1789), Les Quatre Parties du jour. La Nuit, un port de mer au clair de lune. Huile sur toile, 98 x 164 cm. Paris, département des Peintures du musée du Louvre. © RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Michel Urtado

Sa préférence semble toutefois être allée à la sculpture…

« La douceur du marbre qui respire », écrit-on en 1774 à propos du remarquable buste dans lequel Pajou immortalise les traits de la comtesse. Elle aimait, en effet, profondément la sculpture, comme en témoignent les nombreuses effigies qu’elle commande et dont elle surveille de près l’exécution. Madame Du Barry devait sans doute considérer que ce médium était le mieux à même de sublimer sa beauté. Outre Pajou, elle sollicite Vassé, Allegrain, Caffieri… Rien n’est assez beau pour Louveciennes : elle n’hésite pas à détourner des œuvres destinées au roi, à l’image de la Vénus au bain d’Allegrain, au grand dam du marquis de Marigny, surintendant des Bâtiments, avec lequel elle ne s’entend guère. Elle exige de passer avant tout le monde, et obtient, après coup, l’aval de Louis XV !

Après avoir obtenu d’Allegrain sa Vénus au bain, Jeanne lui passe commande en 1772 de son pendant, Diane au bain, pour la somme colossale de 16 000 livres. Elle ne prendra place à Louveciennes qu’en 1778. Gabriel-Christophe Allegrain (1710-1795), Diane surprise par Actéon dite aussi Diane au bain, 1778. Marbre, 170 x 77 x 10 cm. Paris, musée du Louvre. © RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Hervé Lewandowski
Après avoir obtenu d’Allegrain sa Vénus au bain, Jeanne lui passe commande en 1772 de son pendant, Diane au bain, pour la somme colossale de 16 000 livres. Elle ne prendra place à Louveciennes qu’en 1778. Gabriel-Christophe Allegrain (1710-1795), Diane surprise par Actéon dite aussi Diane au bain, 1778. Marbre, 170 x 77 x 10 cm. Paris, musée du Louvre. © RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Hervé Lewandowski

« Sa passion de l’art et des collections l’a probablement tuée », écrivez-vous dans votre ouvrage. Que voulez-vous dire ?

Dans ses Souvenirs, Vigée Le Brun décrit, à l’occasion de son premier séjour à Louveciennes, l’invraisemblable capharnaüm qui régnait alors dans la galerie du pavillon vieux faisant office de garde-meuble1. La maîtresse de maison devait y piocher régulièrement afin de modifier l’aménagement de son pavillon de musique. Madame Du Barry avait adopté l’habitude éminemment aristocratique de l’endettement, ce qui ne l’empêcha pas d’accroître démesurément ses collections jusqu’à son exécution en 1793. Quelques mois plus tôt, alors qu’elle est à Londres afin de récupérer les diamants qui lui avaient été dérobés, elle décide, contre l’avis de tous, de rentrer à Louveciennes, désormais sous scellés, dans l’espoir de préserver ses collections. Si, sous la Révolution, la Terreur et ses risques immenses ne l’ont pas fait fuir, c’est qu’elle voulait à tout prix sauver ce qui pouvait l’être encore des merveilles d’une époque à jamais disparue. Un amour absolu pour ses collections qui fait écho au célèbre mot de Mazarin : « Dire qu’il va falloir quitter tout cela. »

Ite missa est : un gage d’amour et de fidélité

Ce tableau figurant dans un inventaire révolutionnaire du 24 août 1794 a été acquis l’an passé par Versailles qui l’expose dans sa nouvelle galerie de l’histoire du château. La scène représentée était jusqu’ici considérée comme la dernière messe des Tuileries le 9 août 1792 ou comme celle de la Pentecôte du 12 juin 1791. Selon Emmanuel de Waresquiel, elle se situe pendant la semi-captivité de la famille royale aux Tuileries, entre le 25 juin 1791, date du retour de Varennes, et la ratification par le roi de la Constitution qui met fin à la suspension de ses pouvoirs. La messe n’a à cette période plus lieu dans la chapelle, à l’autre bout du château, mais dans la galerie de Diane. Le duc de Brissac qui y assiste quotidiennement s’y fait représenter de dos au premier plan, dans son uniforme de capitaine des Cent-Suisses de la garde, avec son épée et sa canne de commandement. Derrière l’autel provisoire, on admire les tapisseries dites de l’Histoire du roi d’après Van Der Meulen, à la gloire de Louis XIV. Agenouillés sur des prie-Dieu, on reconnaît au premier rang de gauche à droite : Madame Élisabeth, la sœur du roi, le petit dauphin de six ans, la reine, le roi, Madame Royale. Les dames de la reine se tiennent un peu en arrière. Ce touchant tableau presque intimiste a été commandé par le duc à Hubert Robert pour l’offrir à sa maîtresse. « Il illustre une double fidélité : celle de Louis-Timoléon et de Jeanne l’un pour l’autre, celle de deux amants pour la famille royale » explique le biographe de Jeanne Du Barry.

Hubert Robert (1733-1808), La Messe de la famille royale dans la galerie de Diane au château des Tuileries, été 1791. Huile sur toile, 37,8 x 46 cm. Versailles, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon. © Château de Versailles, Dist. RMN / Christophe Fouin
Hubert Robert (1733-1808), La Messe de la famille royale dans la galerie de Diane au château des Tuileries, été 1791. Huile sur toile, 37,8 x 46 cm. Versailles, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon. © Château de Versailles, Dist. RMN / Christophe Fouin

Peint par amour en 1781, offert par amour en 1793

En 1781, le duc de Brissac commande à Vigée Le Brun deux portraits : le sien et celui de Jeanne Du Barry, sa maîtresse. L’artiste réalisera plus tard deux autres effigies de l’ancienne favorite, l’une, demandée également par Brissac, date de 1787, l’autre est laissée inachevée à son départ précipité pour l’Italie dans les derniers mois de 1789. Le portrait de 1781 est probablement demeuré à Paris dans l’hôtel de la rue de Grenelle, chez le duc, après son massacre à Versailles en 1792. L’année suivante, quelques mois avant de monter sur l’échafaud, Jeanne demande à son ami (ou amant) Louis de Rohan de se rendre sur place avant l’inévitable pose des scellés : elle souhaite récupérer le portrait de Brissac et plusieurs tableaux la représentant par Vigée Le Brun ; elle offre à son cher ami de choisir l’un d’entre eux : « J’ai gardé un des petits, c’est l’original de Lebrun qui est habillé avec une chemise ou peignoir blanc, et coiffé d’un chapeau avec une plume… [il] est si agréable, si ressemblant et si piquant que j’en suis extrêmement content et transporté de bonheur de le posséder », écrit-il. Lors de la mise à l’encan de ses collections à sa mort en 1807, le portrait est acquis par le peintre Hubert Robert. L’œuvre connaîtra un destin mouvementé : sortie à deux reprises de la famille, elle est aujourd’hui conservée dans les collections d’une maison alliée aux Rohan-Chabot. Elle figura au Grand Palais dans les expositions « Marie-Antoinette » (2008) et « Vigée Le Brun » (2015-2016).

Élisabeth Vigée Le Brun (1755-1842), Jeanne Bécu, comtesse Du Barry, en peignoir, avec un chapeau de paille, 1781. Huile sur toile marouflée sur isorel, 86 x 66 cm. Collection particulière. © DR

1 « Dessous mon appartement, se trouvait une galerie fort peu soignée, dans laquelle étaient placés, sans ordre, des bustes, des vases, des colonnes, des marbres les plus rares et une quantité d’autres objets précieux ; en sorte qu’on aurait pu se croire chez la maîtresse de plusieurs souverains, qui tous l’avaient enrichie de leurs dons. » Élisabeth Vigée Le Brun, Souvenirs.

Retrouvez les épisodes précédents de notre série « Jeanne Du Barry » :
Épisode I : « la faute est aux dieux qui la firent si belle »
Épisode II : reine de Versailles et de Fontainebleau
Épisode III : les fastes de Louveciennes

Entretien à retrouver en intégralité dans :
L’Objet d’Art n° 610
1874, la naissance de l’impressionnisme

98 p., 11 €.
À commander sur : www.estampille-objetdart.com

À lire :
Emmanuel de Waresquiel
Jeanne Du Barry. Une ambition au féminin
Tallandier
592 p., 27,90 €.

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