![Vue de la baie d’Akapa sur l’île de Nuku Hiva aux Marquises. © NPL - DeA Picture Library, Bridgeman Images](https://www.actu-culture.com/wp-content/uploads/2024/07/Marquises-1.jpg)
Archipel composé d’une douzaine d’îles, les Marquises préservent un habitat monumental et des sculptures originales, les tiki, témoins d’une riche culture antérieure à l’arrivée des Occidentaux. Elles abritent aussi plus de 700 sites archéologiques. Mais cet inventaire, très loin d’être achevé, souligne que ces terres demeurent parmi les moins explorées par l’archéologie nationale. Alors que la candidature de l’archipel est soumise cet été, en Inde, au Comité du patrimoine mondial de l’Unesco, au double titre nature et culture, où en est-on de la recherche en cette terre de Polynésie ?
L’archipel des Marquises a été « découvert » en 1595 par les Occidentaux, l’explorateur espagnol Alvaro Mendana de Neira les nommant alors Islas Marquesas de Mendoza en hommage à l’épouse du vice-roi du Pérou, Don García Hurtado de Mendoza, marquis de Cañete. La forme francisée est restée.
Base d’explorations
Il faut attendre 1774 pour qu’il en soit à nouveau question quand James Cook y fait une courte halte. C’est l’un des archipels les plus éloignés de tout continent, ce qui lui vaut d’être atteint et peuplé tardivement, autour de 800 de notre ère, par des navigateurs venus de Polynésie occidentale. « Les Austronésiens, établis dans l’aire des Fiji-Tonga-Samoa, poursuivirent leur découverte du Pacifique en se dirigeant vers le soleil levant, expliquent Sophie-Dorothée Duron, Marie-Noëlle et Pierre Ottino-Garanger, auteurs de L’Océan marquisien. Ces peuples étaient des marins hors pair qui savaient lire la mer, comprendre le murmure des vents et interpréter le langage des étoiles. Cette direction, face aux alizés, leur assurait une sécurité de retour au cas où ils ne toucheraient pas de terres nouvelles. Revenir à son archipel de départ était alors plus aisé par vent arrière. » Les Marquises servent ensuite à leur tour de base pour de nouvelles explorations vers l’île de Pâques, Hawaï ou la Nouvelle-Zélande, témoignant d’une civilisation qui considérait l’océan, non comme un obstacle en marge du monde continental, mais comme un univers à part entière.
![Me’ae de Iipona à Puamau au pied du piton Toea, île de Hiva Oa. © P. Ottino‑Garanger](https://www.actu-culture.com/wp-content/uploads/2024/07/Marquises-2.jpg)
Comment occuper ce vaste territoire ?
Dans ces îles montagneuses au relief très escarpé, avec ses hautes falaises, entaillées de vallées profondes et étroites, formant autant de territoires, les familles ont préféré s’installer plus à l’intérieur des terres par sécurité, même si le littoral et la basse vallée offraient souvent des espaces plus plats. Peu occupés car dangereux à bien des égards (risque de tsunamis ou d’effondrements de falaises, zones de combats et d’enlèvements intertribaux), ces derniers constituaient aussi une limite entre deux mondes, celui de la terre et celui de la mer, revêtant ainsi une dimension particulière. Le rivage marquait enfin la lisière avec le monde des ancêtres, situé par-delà l’océan. C’est pourquoi seuls les pêcheurs (des hommes exclusivement) et les personnes ayant vocation à protéger ou à conduire des échanges y avaient en principe leurs résidences. Dans les vallées s’implantaient les clans au sens large du terme. « Ces aménagements étaient déterminés par les contraintes liées aux besoins humains fondamentaux : se nourrir, trouver un abri et par les croyances et connaissances de ces “peuples de la mer” », souligne Pierre Ottino-Garanger, archéologue chercheur à l’Institut de recherche pour le développement (IRD) et expert ICOMOS. « Dans les installations allant du littoral aux espaces ombragés, frais et humides des terres, les ‘enata (habitants originels) durent respecter à la fois les contraintes physiques et des traditions héritées d’une culture ancestrale qui s’est diffusée au fur et à mesure du peuplement à travers le Pacifique », explique l’ethno-archéologue Marie-Noëlle Ottino-Garanger. À cela s’ajoute une vision de la place de chacun et de chaque famille, selon son rôle dans la communauté – sans oublier le grand nombre de tapu qui régissait leur vie sociale et religieuse. Leur univers, reflet de cette dernière, était vu comme une succession de strates – les papa – : celles de l’au-delà, le monde des ancêtres, et celles du monde des vivants, de la lumière, avec en particulier celle des chefs – papa haka’iki.
![Bol (ipu ehi) en coque de noix de coco. Îles Marquises, fin du XIXe siècle. Mark and Carolyn Blackburn Collection of Polynesian Art. © Bridgeman Images](https://www.actu-culture.com/wp-content/uploads/2024/07/Marquises-3.jpg)
Des recherches menées depuis un siècle
Les premiers travaux archéologiques remontent aux années 1920 et sont l’œuvre de Ralph Linton du Bishop Museum d’Hawaï. Il inventorie alors de nombreux sites et structures de surface en s’appuyant sur la mémoire et les traditions orales transmises par les Anciens. En 1956-57, R. C. Suggs entreprend des recherches à Nuku Hiva. À de minutieuses fouilles stratigraphiques, il adjoint les nouveaux procédés de datation au carbone 14. Il effectue des prélèvements de pollen ainsi que des études typologiques et stratigraphiques de vestiges en place et détermine cinq périodes d’évolution, jalonnées de repères chronologiques. Si ceux-ci sont mis à mal par le perfectionnement des méthodes, cette approche et bien des résultats restent essentiels. Par la suite, les recherches universitaires viseront à préciser les dates du peuplement – entre 950 et 1250 selon les lieux étudiés – comme les questions de subsistance et des aspects de l’organisation sociale. En 1964-65, les travaux menés par Y. Sinoto et M. Kellum mettent au jour plus de 3 000 artefacts dans la dune de Hane, sur l’île de Ua Huka. Mais leur étude exige, comme c’est encore le cas, que les analyses soient effectuées bien au-delà des mers ; il en va de même pour leur conservation !
![Danseurs d’Hatiheu sur le tohua Hikokua, île de Nuku Hiva. © B. Postel](https://www.actu-culture.com/wp-content/uploads/2024/07/Marquises-4.jpg)
Brigitte Postel
![](https://www.actu-culture.com/wp-content/uploads/2024/06/sport-et-archeologie_pdt_hd_54344.jpg)
À retrouver en intégralité dans :
Archéologia n° 633 (juillet-août 2024)
Sport et archéologie
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