Bussy-Rabutin : le panache dans la disgrâce
Un exilé magnifique, un disgracié brillant, un « illustre malheureux ». Les qualificatifs ne manquent pas pour désigner Roger de Rabutin (1618-1693), comte de Bussy, flamboyant militaire qui se couvrit de gloire durant la guerre de Trente Ans avant que le scandale de trop ne le condamne à ruminer son amertume durant un interminable exil sur ses terres. Plus de trois siècles après sa disparition, son souvenir résonne toujours intensément entre les murs de son château bourguignon aux étonnants décors auquel le Centre des monuments nationaux vient d’offrir une cure de jouvence.
Certains naissent sous une bonne étoile. Roger de Rabutin, lui, naît un vendredi 13. Troisième fils de son père, il est d’abord destiné à embrasser une carrière ecclésiastique avant que la disparition de ses frères ne décide ses parents à placer sa vie sous le signe de Mars. Dès l’âge de 23 ans, le jeune militaire se distingue et obtient la direction d’un régiment. La roche Tarpéienne est cependant proche du Capitole : la contrebande du sel à laquelle se livrent ses hommes lui vaut bientôt un premier séjour à la Bastille ; il y rencontre le sulfureux maréchal de Bassompierre qui lui montre la voie du libertinage. Malgré cet écart, le comte de Bussy poursuit à sa sortie une belle carrière dans les armes, participant à toutes les campagnes entre 1634 et 1659. La bataille des Dunes de 1658 sera son apothéose ; il s’y enorgueillit d’y avoir pour la première fois exposé le jeune Louis XIV au feu, démontrant ainsi la bravoure du futur Roi-Soleil. Hélas, il n’obtint pourtant jamais son bâton de maréchal de France, sans doute en partie à cause de l’inimitié que lui voue Turenne. « Roger de Rabutin est le meilleur de mes officiers, mais uniquement pour les chansons ! », se plaisait-il à rappeler régulièrement au roi.
Piquants « rabutinages »
Militaire valeureux, Bussy-Rabutin n’en est pas moins un bel esprit maniant avec un talent égal le verbe et l’épée. Grand épistolier, il entretiendra durant plus de quarante ans une intense correspondance avec Marie de Rabutin-Chantal, sa célèbre cousine que l’Histoire retiendra davantage sous le nom de Madame de Sévigné. Une relation tissée de brouilles et de réconciliations, le « cher cousin » n’hésitant pas à reprocher à la femme de lettres de n’être « amie que jusqu’à la bourse » ! Ils finiront d’ailleurs par qualifier leurs échanges aussi brillants que piquants de « rabutinages ». En conservant la majorité des lettres de la marquise et en s’assurant de leur postérité, Bussy-Rabutin sera l’un des premiers à reconnaître ses qualités littéraires.
Le scandale de trop
Alors que s’achève, à la fin des années 1650, sa carrière militaire, le comte de Bussy n’en finit plus de s’adonner au libertinage. Une partie fine organisée au château de Roissy en pleine Semaine sainte lui vaut un premier exil de quelques mois sur ses terres de Bourgogne. Afin de divertir sa maîtresse, la marquise de Montglas alors souffrante, il commence la rédaction de son Histoire amoureuse des Gaules, véritable « roman satirique » qui se révèle une chronique scandaleuse des mœurs de la haute société. On y découvre les aventures galantes des plus hautes dames de la cour, à peine masquées derrière des surnoms que l’on s’amuse bien vite à éventer. Réservé à un cercle intime, le manuscrit va pourtant fuiter ; imprimé en Hollande, il échappe à tout contrôle et se retrouve complété d’histoires nouvelles mettant en scène le roi et sa maîtresse, ajouts dont Bussy-Rabutin se défendra toujours d’être l’auteur. Peine perdue : parvenu entre les mains du monarque, l’ouvrage suscite un immense scandale. Embastillé le 17 avril 1665, l’imprudent pamphlétaire est bientôt condamné à un exil définitif en son château de Bussy-Rabutin. Il a beau protester, se prétendre indispensable à la Couronne et adresser près de cinquante missives au roi sollicitant la « permission de servir à nouveau », rien n’y fait. Le Soleil demeure de plomb. C’est à la mort de sa mère que le comte hérite du château racheté par son grand-père en 1602. Ancienne maison-forte du XIVe siècle parée deux siècles plus tard des grâces de la Renaissance, la demeure se dote au début du XVIIe siècle d’une splendide façade classique. Lorsque Bussy-Rabutin en prend possession, l’aménagement intérieur doit être entièrement repensé. Il s’y emploiera du fond de son exil, imaginant de son propre aveu des « dedans singuliers ».
Un manuscrit de l’Histoire amoureuse de France récemment acquis
Au cœur de la tour dorée, sous le regard du véritable gynécée peint que s’était ménagé le maître des lieux, trône désormais le texte par lequel le scandale est arrivé. Préempté en début d’année par le CMN, cette Histoire amoureuse de France est une copie de l’Histoire amoureuse des Gaules, manuscrit original aujourd’hui perdu rédigé entre 1660 et 1665 et dont aucune copie ne subsiste dans les collections publiques. Publiée en 1665, cette première version était cryptée, masquant l’identité réelle des personnages derrière des noms de fantaisie ; non crypté, le manuscrit récemment acquis lui est donc postérieur. Particulièrement soigné et présenté comme un véritable livre, peut-être était-il spécifiquement destiné à un imprimeur et donc préparatoire à la deuxième édition imprimée de 1666 ?
Courtisan par procuration
Puisqu’il ne peut désormais paraître à la cour, c’est donc la cour qui viendra à lui ! Une véritable armada de peintres, de maçons et d’ouvriers investit bientôt le château afin d’aménager ses salons et de les peupler de plus de trois cents peintures et portraits. Louis XIV refuse obstinément de le recevoir ? Une galerie réunit tous les prédécesseurs du Roi-Soleil depuis Hugues Capet face aux plus glorieux des Rabutin. L’ancien militaire n’a plus sa place dans les armées royales ? Une salle entière est dédiée à 65 portraits dépeignant les plus illustres hommes de guerre français, de Du Guesclin… à Bussy-Rabutin. Impossible désormais de conter fleurette aux dames de la cour ? Un grand salon, actuelle tour dorée, en immortalise la beauté, agrémentant chaque portrait d’un commentaire galant.
« Puisqu’il ne peut désormais paraître à la cour, c’est donc la cour qui viendra à lui ! Une véritable armada de peintres, de maçons et d’ouvriers investit bientôt le château afin d’aménager ses salons et de les peupler de plus de trois cents peintures et portraits. »
Devises vengeresses
Le goût du comte pour les jeux de l’esprit, caractéristiques de l’idéal aristocratique, triomphe sur les murs de l’énigmatique salle des devises. Il y dévoile aussi bien son caractère – « qui me mordra pleurera », avertit un étonnant portrait d’oignon –, que ses peines de cœur : six peintures traduisent notamment la trahison de la marquise de Montglas, maîtresse infidèle dont les traits apparaissent sur le visage d’une sirène, d’une hirondelle ou encore sur un buste posé sur un balancier que le rancunier Bussy a choisi de faire peser moins lourd que le vent !
Bussy dans l’œil des Sarcus
Bussy-Rabutin s’éteint en 1693, trois ans après avoir brièvement retrouvé à Versailles une cour qu’il ne comprend plus. Le château passe entre les mains de ses enfants qui s’en sépareront en 1733. Étonnamment, son décor si singulier, tout entier pensé pour un seul homme, va survivre à ses propriétaires successifs. En 1835, Jean-Baptiste de Sarcus s’offre le domaine aux enchères et se prend de passion pour son illustre prédécesseur.
« Étonnamment, son décor si personnalisé, tout entier pensé pour un seul homme, va survivre à ses propriétaires successifs. En 1835, Jean-Baptiste de Sarcus s’offre le domaine aux enchères et se prend de passion pour son illustre prédécesseur. »
Tout en engageant d’indispensables travaux de restauration, ce peintre amateur et érudit complète – avec plus ou moins de succès – le programme iconographique voulu par le comte. La véritable résurrection du domaine qui s’opère alors finit par porter ses fruits : Bussy-Rabutin devient en 1862 l’une des premières résidences privées à obtenir son classement au titre des Monuments historiques. Mis en vente par la famille au début du siècle suivant, le château intègre le giron de l’État en 1929.
Une nouvelle jeunesse pour Bussy-Rabutin
En 2018, le château était choisi comme monument emblématique de la région Bourgogne-Franche-Comté par la Mission Patrimoine portée par Stéphane Bern. Grâce à ce soutien combiné aux subsides du ministère de la Culture, du plan de relance et de la Région, cet ermitage demeuré désespérément loin du pouvoir durant le Grand Siècle se retrouve enfin au centre de toutes les attentions : un chantier de 4,5 millions vient de permettre de doubler le parcours de visite en ouvrant pour la première fois son aile est, désormais restaurée et remeublée. Baptisée « aile Sarcus », cette partie du château accueillait au XIX e siècle les appartements de la famille ainsi que diverses pièces de service. Se fondant notamment sur plusieurs inventaires, le CMN a pu recréer une atmosphère habitée, bénéficiant d’une quarantaine de prêts du Mobilier national, dont différentes pièces des Tuileries qui meublaient l’appartement de la sœur du comte de Chambord, petit-fils de Charles X. La salle à manger a ainsi retrouvé son décor de faux marbre du XIX e siècle, mis au jour et restauré grâce aux bons soins de l’Atelier de Ricou. L’aile ouest a aussi profité d’un redéploiement des collections : la chapelle accueille désormais un remarquable Murillo récemment restauré, tandis que le mobilier, les sculptures et plusieurs peintures sont désormais présentés selon leur disposition historique grâce à des photographies anciennes.
Château de Bussy-Rabutin, 13 rue du château, 21150 Bussy-le-Grand. Tél. 03 80 96 00 03. www.chateau-bussy-rabutin.fr