Un objet à la loupe : de la pierre à l’écorce, la maquette de la porte d’Auguste à Nîmes
Au Ier siècle avant notre ère, l’empereur Auguste accorde à la colonie latine de Nemausus le droit de se doter d’une enceinte de prestige, longue de 4 milles (6 km). La muraille était alors percée de nombreuses portes dont deux subsistent aujourd’hui, la porte de France et la porte d’Auguste. Cette dernière donnait accès à la ville de Nîmes par l’est, en remontant la via Domitia. Le musée d’Archéologie nationale en conserve une remarquable maquette réalisée au début du XIXe siècle.
Après des siècles de guerres, de pillages, de réoccupations et de remplois, le désir de conserver les monuments antiques encore debout s’affirme à la Renaissance.
Une ancienne muraille romaine
Les érudits des anciennes villes de la Gaule narbonnaise ne se contentent pas de collectionner les objets de l’Antiquité, ils protègent les édifices, les dessinent, relèvent les inscriptions, rédigent des recueils, compulsent les sources littéraires antiques… C’est ainsi que Jacques Deyron (16..-1677), Henri Gauthier (1660-1737) ou Léon Ménard (1706-1767) s’intéressent à une construction romaine en grand appareil présente dans les soubassements du château royal de Nîmes, édifié au XIVe siècle. Ils y reconnaissent une porte de l’ancienne muraille romaine, flanquée de tours. Englobée dans la fortification subsistante après le démantèlement du château en 1632, elle n’est finalement dégagée qu’après 1793, lors de la démolition de celle-ci.
Premières fouilles
En 1848, le préfet du Gard ordonne des fouilles jusqu’aux niveaux antiques et fait effectuer quelques réparations. On retrouve alors les deux grandes baies centrales, aux arcs en plein cintre surmontés de têtes de taureaux, pour le passage des véhicules et les deux portes piétonnes latérales. Ces dernières sont encadrées de pilastres corinthiens qui soutenaient un entablement dont subsiste une corniche surmontée d’un bandeau où les traces d’arrachement ont permis de lire une inscription antique. Au-dessus des arcades latérales, deux niches ornées de pilastres doriques abritaient probablement les statues des petits-fils d’Auguste, Caius et Lucius. Au Moyen Âge, toutes ces ouvertures ont été murées à l’exception de la grande baie de droite qui, équipée de portes, servait d’entrée au château. À droite de cette construction, deux arrachements de murs témoignent de l’existence de tours semi-rondes de part et d’autre du système de portes.
De la pierre au liège
La maquette en liège de la porte d’Auguste du musée d’Archéologie nationale correspond à un état du monument que l’on peut dater entre 1793 et 1848. Elle fait partie d’un ensemble de vingt-quatre réalisations déposées par l’école des Beaux-Arts au musée des Antiquités nationales en 1903. Cette collection a été créée par Auguste Pelet (1785-1865), architecte nîmois qui s’attache à reproduire les constructions gallo-romaines, à l’échelle d’un centimètre pour un mètre. La finesse d’exécution est remarquable : fabriquées dans du liège taillé, sculpté et collé, les maquettes sont complétées par des détails ciselés dans la terre cuite. L’utilisation de la soie, du sable, du verre, de la mousse naturelle et du papier permet une restitution naturaliste. L’exactitude de la réplique est quasi parfaite : chaque pierre du mur est reproduite à bonne dimension et bonne place dans l’ensemble de l’appareil.
Un enregistrement des vestiges
Cette technique de la sculpture en liège, la phelloplastie, est héritée des artisans italiens qui, dès le XVIIe siècle, produisent des modèles réduits, essentiellement destinés aux riches étrangers amateurs d’antiquités effectuant le Grand Tour et souhaitant remporter chez eux une copie des sites visités. Dans ses écrits, Pelet assigne à ses productions une visée pédagogique : il s’agit aussi d’enseigner l’architecture à partir des modèles antiques, en cohérence avec le goût néoclassique alos en vogue. Cependant, ces modèles réduits nous renseignent sur un état des monuments à l’époque de leur réalisation : ils constituent, au sens archéologique du terme, un enregistrement des vestiges. Ainsi, sur la baie de gauche de la maquette, on peut voir une partie de la corniche qui diffère sensiblement de l’architecture actuelle. Il s’agit donc d’un état antérieur à la restauration de 1848, elle-même peu documentée. Pelet se fait le continuateur des Antiquaires du Midi, qui témoignaient de ces monuments à l’aide de dessins, mais avec une technique différente qui les restitue en volume. Il ne se contente pas cependant de rendre fidèlement l’état dont il est le témoin. À plusieurs reprises, à côté de la maquette du site tel qu’il est conservé au début du XIXe siècle, il réalise un autre modèle, qui montre l’apparence antique du monument. Pour ce faire, il est obligé d’imaginer ce qui n’est plus visible et de tenter de répondre aux problèmes posés par l’architecture globale de l’édifice. À ce titre, ses réalisations participent de l’expérimentation en archéologie.