Histoire d’une bibliothèque : Les secrets de la bibliothèque municipale de Versailles

Entrée de la bibliothèque municipale de Versailles, 5, rue de l’Indépendance américaine. L’ancien hôtel des Affaires étrangères et de la Marine a été construit en 1762. © Alain Richard
Si elle comporte neuf sites dans la ville, la bibliothèque de Versailles peut s’enorgueillir d’un bâtiment central exceptionnel : l’ancien hôtel des Affaires étrangères et de la Marine, qui abrite des collections remarquables et variées.
Rue de l’Indépendance américaine, mitoyen de l’hôtel de la Guerre et construit en 1762 par l’architecte Jean-Baptiste Berthier, l’hôtel des Affaires étrangères et de la Marine fut édifié pour le duc de Choiseul, alors ministre. Le bâtiment de cinq étages abritait non seulement les bureaux, mais aussi des logements ainsi qu’une chapelle. Dans la grande galerie située au premier étage se trouvaient les archives du ministère, papiers diplomatiques, dépêches, cartes, traités, correspondances officielles.
Grande galerie de l’hôtel des Affaires étrangères et de la Marine. © Alain Richard
Un écrin remarquable
C’est la raison pour laquelle des techniques particulières furent utilisées pour rendre l’édifice résistant aux incendies : emploi de la brique à la place du bois par ailleurs très courant dans la ville de Versailles, pièces conçues comme des caissons indépendants les uns des autres pour éviter la propagation du feu. Les lieux sont empreints de solennité et ont conservé un somptueux décor d’origine, des boiseries, des dessus-de-porte représentant les grands ports du monde, de Constantinople à Lisbonne, le portrait de Louis XV par le peintre Van Loo, un magnifique globe céleste sur pied accompagné de son frère, un globe terrestre. C’est dans cette galerie qu’étaient reçus les visiteurs importants et c’est à cet endroit que furent menées, sous la houlette de la France, les négociations aboutissant au traité d’indépendance des États-Unis d’Amérique. Jusqu’à la Révolution française, le bâtiment était donc un ministère. Tout va changer avec le renversement du régime.
« Parmi les merveilles conservées en son sein, la bibliothèque veille sur les manuscrits de Madame de Maintenon, épouse morganatique de Louis XIV. La marquise ayant un rôle de premier plan aux côtés du souverain, elle avait entre les mains des correspondances très importantes ainsi que des documents diplomatiques. »
Carnets personnels de Madame de Maintenon, fin XVIIe-début XVIIIe siècle. © Alain Richard
Le ministère devient bibliothèque
Au moment de la Révolution, les ministères sont installés à Paris. Le bâtiment se trouve vide et en 1795, la grande galerie, dotée de nombreux rayonnages, est attribuée à la bibliothèque de l’École centrale du département de Seine-et-Oise nouvellement créé, avant de devenir bibliothèque municipale selon les vœux de l’empereur Napoléon, qui publie en 1803 un décret obligeant toutes les villes majeures à se doter d’une bibliothèque. On y regroupe l’ensemble des volumes confisqués dans les demeures devenues « biens nationaux » : châteaux princiers et seigneuriaux comme ceux de Brunoy ou de Bellevue, institutions religieuses, cabinets de la famille royale. Chaque ouvrage est muni d’un « fichet révolutionnaire » comportant un numéro qui est parfois encore visible. Les bibliothèques ne manquent pas dans le département, particulièrement bien doté. On retrouve donc à Versailles des livres prestigieux parmi lesquels des reliures aux armes royales ou encore le « Carrousel de Louis XIV », ensemble de textes et gravures décrivant les plaisirs organisés pour le Roi-Soleil. En revanche, les manuscrits sont envoyés à la Bibliothèque nationale. Les trésors de Versailles sont placés sous la responsabilité d’un bibliothécaire qui est chargé de les protéger, Hippolyte Paillet, actif de 1804 jusqu’à la fin du règne de Napoléon en 1815.
Page de titre des Divertissements… donnés par Louis XIV en 1674, recueil de gravures publié en 1676. © Alain Richard
La valse des directeurs
Le poste est sensible puisqu’à chaque changement de régime au cours du XIXe siècle, un nouveau directeur est nommé dont les idées sont en accord avec celles du gouvernement : un émigré de retour d’exil en 1815, un orléaniste en 1830, un bonapartiste sous le Second Empire, un républicain en 1873. Chacun d’entre eux essaie d’organiser cet héritage prestigieux. Parmi les merveilles conservées en son sein, la bibliothèque veille sur les manuscrits de Madame de Maintenon, épouse morganatique de Louis XIV. La marquise ayant un rôle de premier plan aux côtés du souverain, elle avait entre les mains des correspondances très importantes ainsi que des documents diplomatiques. Avant de mourir, elle détruit une partie de ses papiers et fait don du reste à la maison de Saint-Cyr qu’elle a fondée pour venir en aide aux jeunes filles nobles et pauvres, en souvenir de sa propre jeunesse difficile. Le fonds de Saint-Cyr, qui avait d’abord été donné au grand séminaire de Versailles, fait partie des biens reversés à la bibliothèque municipale après la loi de séparation de l’Église et de l’État de 1905. On peut y admirer les carnets secrets manuscrits où Madame de Maintenon recopiait certains passages des lettres de ses directeurs de conscience. De petite taille, ils tiennent dans la main et sont couverts d’une simple reliure de galuchat sans ornement. La grande écriture régulière de la marquise s’y trouve à l’étroit. Certains carnets comportent des pages blanches car ils n’ont pas été utilisés en entier. Autre pièce d’exception : un cahier de psaumes calligraphiés sous forme d’arabesques par Lesgret Delespée, maître d’écriture des pages de la cour du roi, offert à la marquise de Maintenon.
Lettre de Madame de Maintenon à l’abbé de Gergy, curé de Saint-Sulpice, son directeur de conscience. Le document, daté de 1714, est signé « maintenon ». © Alain Richard
Des acquisitions uniques
Au XIXe siècle, une judicieuse politique d’achat va enrichir les collections. Une occasion se présente : la première bibliothèque de Marie-Antoinette est en vente. En effet, la reine a eu plusieurs bibliothèques à Trianon. C’est la première, installée dans un ensemble de boiseries blanc et or, que l’on peut admirer aujourd’hui à la bibliothèque municipale de Versailles. Et, par une chance extraordinaire, la plupart des livres de la reine ont pu y être replacés. Face à eux se trouvent les volumes de Madame Du Barry, favorite de Louis XV. Le contenu des deux bibliothèques est très différent : si la favorite issue du peuple s’est constitué, pour améliorer sa culture générale, un fonds composé de livres de philosophie, de politique, d’histoire et de géographie, les ouvrages ayant appartenu à Marie-Antoinette relèvent davantage de la distraction pour une femme qui aimait le théâtre, les romans et la musique. Mais on y trouve tout de même une encyclopédie…
« L’origine du “fonds Goujet” est longtemps restée mystérieuse. Il est difficile de retracer l’itinéraire de tous les volumes de la bibliothèque de Versailles, où la tradition orale joue un rôle important avec ses légendes. »
Le fonds Goujet
L’origine du « fonds Goujet » est longtemps restée mystérieuse. Il est difficile de retracer l’itinéraire de tous les volumes de la bibliothèque de Versailles, où la tradition orale joue un rôle important avec ses légendes. Mais le mystère a fini par être levé sur la provenance de ce fonds exceptionnel. L’abbé Claude Pierre Goujet (1697-1767) collectionnait les livres des XVIIe et XVIIIe siècles. Avant même l’invention du terme de « bibliophilie », il développa une connaissance approfondie de ce domaine et acquit en particulier des incunables et des livres du XVIe siècle. Il est l’auteur de Bibliothèque française, une somme répertoriant les livres publiés en français depuis les débuts de l’imprimerie. À la bibliothèque de Versailles, 614 volumes sont connus sous le nom de « fonds Goujet ». Cependant, seuls deux d’entre eux ont réellement appartenu au collectionneur. Il semblerait que cet ensemble ait été constitué par un bibliothécaire à partir des titres du catalogue raisonné de l’abbé. Il est certain en revanche qu’existe dans ce fonds le seul exemplaire connu de la première édition du Cymbalum Mundi de Bonaventure Des Périers, daté de 1537 et composé de quatre historiettes mettant en scène les dieux de l’Olympe sur un mode divertissant et irrévérencieux. Le roi François Ier, qui pensa se reconnaître en la personne de Jupiter, le fit interdire !
De généreux donateurs
Progressivement, les fonds s’accroissent également grâce à des collections privées offertes à la bibliothèque. André Pératé (1862-1947), conservateur du château de Versailles dans les années 1920 et ami du peintre Maurice Denis, a donné à la bibliothèque son importante collection personnelle de 397 livres d’images religieuses des XVIe et XVIIe siècles. Jean Lebaudy (1894-1969), membre de la Société des bibliophiles français, et son épouse Henriette de Ganay (1898-1983) rassemblèrent 4 000 estampes et livres rares, parmi lesquels des eaux-fortes de Jacques Callot, les éditions de L’Astrée d’Honoré d’Urfé ou des Maximes de La Rochefoucauld, ainsi que des originaux de Molière. En 1972, l’ensemble de la collection est offert à la bibliothèque de Versailles. Quant à James Hazen Hyde (1876-1959), c’était un riche Américain qui avait élu domicile à Versailles, rue de l’Ermitage, dans un pavillon ayant appartenu à la marquise de Pompadour. Passionné par l’histoire des États-Unis et particulièrement de l’Indépendance, il laissa à la bibliothèque les 10 000 livres qu’il avait pu rassembler sur ces sujets au moment où il repartit dans son pays en 1940. Jusqu’au XXe siècle, la bibliothèque a surtout été fréquentée par des érudits du monde entier, intéressés par ses ouvrages rares, mais aussi par son fonds de musique baroque lié à la chapelle et à l’opéra du château, ainsi que par des livres scientifiques judicieusement acquis par les conservateurs successifs. Aujourd’hui, c’est à la fois une bibliothèque de recherche et de lecture publique qui reçoit les familles, avec 10 000 inscrits et de nombreux lecteurs sur place.
Dessinée par Ange-Jacques Gabriel, la première bibliothèque de Marie-Antoinette à Trianon, aux boiseries blanc et or, a été installée au château de Versailles en 1772 et démontée sept ans plus tard. © Alain Richard
Bibliothèque municipale de Versailles, 5, rue de l’Indépendance américaine, 78000 Versailles. Mardi, jeudi, vendredi de 13h à 18h30, mercredi et samedi de 10h à 18h30. Tél. 01 30 97 28 90. bibliotheque.versailles.fr
Les photos illustrant cet article sont à créditer à Alain Richard, que la rédaction remercie pour son aimable autorisation de reproduction.