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La renaissance d’un tableau néoclassique de Vincenzo Catalani

Vincenzo Catalani, La prédication de saint Paul à Athènes (détail), vers 1853. Après restauration, février 2025. Huile sur toile.

Vincenzo Catalani, La prédication de saint Paul à Athènes (détail), vers 1853. Après restauration, février 2025. Huile sur toile. © PERF

Après une longue histoire d’un romanesque que n’aurait pas renié Prosper Mérimée, un tableau de 32 m2 retrouvé en février 20211 à Rome, enroulé sur lui-même, considéré comme un tapis, et entreposé dans l’escalier de la tribune d’orgue de l’église Saint-Louis-des-Français, vient d’être révélé grâce à une restauration d’une année2. Cette véritable « épiphanie » s’accompagne de la réhabilitation de la mémoire d’un artiste, Vincenzo Catalani (1814-1871). On connaissait seulement la date de réalisation de la toile (1853) et le commanditaire, Ferdinand II de Naples, père du dernier roi Bourbon sur le trône des Deux-Siciles.

Vincenzo Catalani, né à Rome de parents napolitains en 1814, est formé à Naples tout d’abord puis à Rome, à partir de 1838, puisqu’il intègre par concours le Pensionato Napoletano dont son compatriote Vincenzo Camuccini (1771-1844) est le directeur3. Ainsi, il apparaît comme l’un des ultimes représentants de la peinture académique napolitaine. La fortune critique de Camuccini, aujourd’hui, en a fait un sujet, de même qu’elle a favorisé la valorisation de ses œuvres, peintes et dessinées, attestées ou non. Grâce à la remise au jour de notre tableau, une étude fine de l’art de Catalani permettra-t-elle de lancer une recherche sur ses dessins, préparatoires ou non à cette toile, et de constituer un corpus de ses œuvres?

Vincenzo Catalani meurt à Rome en 1870 ; il se défenestre depuis une fenêtre de son atelier du Campo Marzio.

Autoportrait de Vincenzo Catalani, identifié par analogie avec un dessin conservé.

Autoportrait de Vincenzo Catalani, identifié par analogie avec un dessin conservé. © PERF

Un ultime représentant de l’école néoclassique napolitaine

Par son style, la maîtrise de son trait dans la droite ligne de l’influence de Raphaël, mais plus encore ses choix de gamme chromatique, il peut apparaître comme l’un des ultimes représentants de cette école néoclassique napolitaine d’influence française, alors que les modèles de David, mais plus encore ceux d’Ingres, sont parfaitement intégrés ; ils demeurent éminemment présents dans les compositions d’Horace Vernet, d’Hippolyte Flandrin ou d’Ary Scheffer. Toute sa carrière se déroule entre Rome et Naples. Protégé du pape Pie IX, il figure vraisemblablement parmi les Virtuosi al Pantheon, académie fondée au XVIe siècle et dont les statuts sont réformés par ce même souverain pontife. Pie IX, pape réformateur, est aussi le dernier pape à « régner » sur les États Pontificaux dans l’Italie qui sera unifiée lors du Risorgimento. Catalani est choisi pour la réalisation d’un tableau commémorant la Chute miraculeuse de Pie IX au couvent de Sainte-Agnès5.

Vincenzo Catalani, La prédication de saint Paul à Athènes (détail), vers 1853. Après restauration, février 2025. Huile sur toile.

Vincenzo Catalani, La prédication de saint Paul à Athènes (détail), vers 1853. Après restauration, février 2025. Huile sur toile. © PERF

Des œuvres ornant palais et églises

Ses tableaux commandés par les derniers souverains sur le trône de Naples sont recensés, au Palais Royal de Naples, à Caserte6, comme dans les églises7. La toile représentant la prédication de saint Paul à Athènes, par ses dimensions, est exceptionnelle. Pierre Antoine Ferracin la compare cependant à une autre composition attestée de Catalani, Criton conseillant à Socrate de quitter sa cellule, conservée aujourd’hui – roulée elle aussi – au palais royal de Caserte8.

« En réalité, c’est à Rome que le pape Pie IX le voit, l’admire, dès son achèvement, et ordonne qu’il soit transféré dans son palais du Quirinal. »

Ingres et Raphaël

Ingres a quitté son poste de directeur de l’Académie de France, et Rome donc, en 1841, mais, pour les artistes français présents en Italie et qui ne suivent pas les tentations du mouvement romantique9 – déjà ce sont celles de l’orientalisme qui se profilent –, le véritable maître demeure bien entendu Raphaël ; avant tout, il est le dénominateur commun à toute analyse de leurs œuvres. Le contexte historique aura lui aussi un rôle clé – dont la libération de la Grèce illustrée par Lord Byron. Notre tableau donnant des portraits qui caractérisent les Arabes et les Ottomans par leurs couvre-chefs pourrait lui aussi évoquer cette époque, sinon cette épopée.

Le peuple d’Athènes, jeune femme avec son enfant, portrait d’influence ingresque dans l’attitude et le regard (après restauration).

Le peuple d’Athènes, jeune femme avec son enfant, portrait d’influence ingresque dans l’attitude et le regard (après restauration). © PERF

Une œuvre de commande

Entre la date de sa réalisation, 1853, et l’arrivée à Saint-Louis-des-Français en 1912, bien des interrogations demeurent. Il semblerait, d’après notamment les données de Pierre Antoine Ferracin, que le tableau ait bien été commandé pour l’église du complexe industriel « pyrotechnique » de Pietrarsa fondé par Ferdinand II, installé à proximité de Naples. Peint à Rome, il est terminé en 1853. Il est alors envisagé, avant de le placer dans l’église auquel il est destiné, de le présenter dans le musée des Bourbons au Palais Royal de Naples. Sans doute n’arrivera-t-il jamais dans l’église de Naples. En réalité, c’est à Rome que le pape Pie IX le voit, l’admire, dès son achèvement, et ordonne qu’il soit transféré dans son palais du Quirinal. 

Vincenzo Catalani, La prédication de saint Paul à Athènes (détail), vers 1853. Après restauration, février 2025. Huile sur toile.

Vincenzo Catalani, La prédication de saint Paul à Athènes (détail), vers 1853. Après restauration, février 2025. Huile sur toile. © PERF

Une histoire mouvementée

Par la suite, la toile quitte le palais du Quirinal mais reste à Rome, selon toute probabilité il est transféré au palais Farnèse, propriété des Bourbons de Naples où avait été établi en 1825 le Pensionato Napoletano devenu « di Roma », centre de formation des élèves de l’école des Beaux-Arts du royaume de Naples10. Lors de la vente du palais Farnèse à la France en 1911, les collections sont déménagées ; c’est sans doute en raison de son thème religieux que La Prédication de saint Paul est transféré à l’église nationale française, Saint-Louis-des-Français. Il est alors logique qu’il apparaisse en 1912 dans les inventaires des biens des Pieux Établissements de la France à Rome et à Lorette…

« L’épisode relaté est bien celui des Actes des Apôtres, Paul prêchant aux épicuriens comme aux stoïciens ainsi qu’au peuple d’Athènes, dans toute sa diversité. »

Une référence essentielle

En 1912, l’œuvre est recensée en tant que Conversion de Denys l’Aréopagite. Le choix comme titre de La Prédication de saint Paul à Athènes aurait pu évoquer, pour nous Français, le tableau d’Eustache Le Sueur du musée du Louvre – mais la référence n’est pas la plus pertinente. La véritable référence est bien, ici, la composition de Raphaël pour la tapisserie destinée à la chapelle Sixtine représentant la prédication de saint Paul à Athènes, dont le carton (343 x 434 cm) est conservé au Victoria & Albert Museum de Londres.

Un portrait collectif

Sur notre tableau, l’apôtre est figuré alors qu’il profère son discours à Athènes, la ville est caractérisée par la présence du Parthénon et du monument de Philopappus11. L’épisode relaté est bien celui des Actes des Apôtres12, Paul prêchant aux épicuriens comme aux stoïciens ainsi qu’au peuple d’Athènes, dans toute sa diversité. Ce sont quarante-sept personnages qui sont représentés, reprenant peut-être le vœu de Pie IX de disposer d’une sorte de portrait collectif. Mais avant tout, semble-t-il, cette composition est la démonstration de la variété de la population réunie autour de saint Paul.

Vincenzo Catalani, La prédication de saint Paul à Athènes (détail), vers 1853. Après restauration, février 2025. Huile sur toile.

Vincenzo Catalani, La prédication de saint Paul à Athènes (détail), vers 1853. Après restauration, février 2025. Huile sur toile. © PERF

Chaque personnage est doté d’un attribut qui le caractérise : turban, fez, voile, auréole ou halot nimbant Denys qui vient de se laisser convaincre et s’est converti. C’est à une lecture codée de tous ces portraits qu’invite l’analyse du tableau, jusqu’au portrait de Sénèque, de Denys l’Aréopagite transfiguré par la conversion, de son épouse au pied de l’apôtre ; on distingue aussi un Ottoman, un Arabe, une jeune mère « ingresque », présentant son enfant, ou encore Catalani lui-même.

Le peuple d’Athènes, portrait de groupe (détail), après restauration.

Le peuple d’Athènes, portrait de groupe (détail), après restauration. © PERF

Le contexte historique

Ce regard œcuménique n’est pas sans rappeler le contexte de l’Italie des années 1850, celui des prémices de l’unité italienne réconciliant les États pour faire émerger l’idée d’une Nation unique. À la suite de la « conquête » du Latium, État pontifical, Rome en sera proclamée la capitale, en 187113.

Sur le choix de cette iconographie, la présence si codée d’Athènes n’est-elle pas, elle aussi, un indice important pour la commande, dans le contexte des épisodes de la lutte de la Grèce (1821-1830) pour se libérer des « Ottomans » – et évoquer ici, Victor Hugo14 et Lord Byron15, ainsi qu’Eugène Delacroix et sa toile Scènes des Massacres de Scio16.

Portrait d’un groupe du peuple d’Athènes, au premier plan, représenté dans sa diversité – détail d’un homme à turban lors des premiers essais de nettoyage.

Portrait d’un groupe du peuple d’Athènes, au premier plan, représenté dans sa diversité – détail d’un homme à turban lors des premiers essais de nettoyage. © PERF

Le lieu d’exposition

Cette toile, retrouvée, a été opportunément choisie par Pierre Antoine Ferracin comme sujet pour son mémoire de master à l’université de la Sapienza, sous la direction du Professeur Moretti, en 202217.

Que faire de ce tableau, une fois remis sur un châssis à ses dimensions ? Où le présenter ? La salle des Ignudi du palais Saint-Louis a finalement été choisie, comme atelier et, le tableau remis sur châssis ne pouvant plus sortir de la pièce, comme lieu de présentation définitive. Les analyses18 ont révélé qu’un vernis teinté avait été passé sur la couche picturale, sur le premier vernis, celui des années 1855 – ce qui confirmerait une intervention de « bichonnage » ou un souci d’harmonisation des patines avec les autres œuvres d’une collection de tableaux, entre 1855 et 1912 donc. D’autre part, les modifications dans les dimensions de la toile, en hauteur comme en largeur, confirmeraient l’insertion dans un décor préexistant.

Déroulage du tableau le 9 mars 2024 dans la salle du Palais Saint-Louis qui deviendra la chapelle Saint-Paul.

Déroulage du tableau le 9 mars 2024 dans la salle du Palais Saint-Louis qui deviendra la chapelle Saint-Paul. © PERF

« Aujourd’hui, au-delà du caractère spectaculaire des dimensions de la toile, c’est la prise de pouvoir sur l’espace qui est remarquable »

La restauration

L’intention initiale de mener un chantier pédagogique articulant les interventions de deux écoles de restauration, l’Istituto per il restauro (ICR) en Italie et l’Institut du Patrimoine (INP), n’a pas pu se réaliser. C’est à quatre jeunes diplômées de l’ICR que la restauration a donc été confiée, en février 2024, sous la direction de Barbara Lavorini (restauratrice fonctionnaire de l’ICR). Les fragilités de la toile, d’une seule pièce19 – ce qui a été respecté au rentoilage –, les nombreuses usures de la couche picturale sur une préparation très fine mais dont l’incidence s’est avérée relativement mineure sur la lecture générale des tonalités – notamment dans les ciels – ont été autant de paramètres à intégrer. Les opérations de rentoilage ont été particulièrement délicates.

Aujourd’hui, au-delà du caractère spectaculaire des dimensions de la toile, c’est la prise de pouvoir sur l’espace qui est remarquable, même si la lecture contrainte de la salle du palais Saint-Louis ne permet pas de percevoir cet espace comme, sans doute, le peintre l’avait envisagé (il est accroché au niveau du sol). La vision orthogonale du regard donne au ciel une importance qu’il n’aurait sans doute pas eu di sotto in sù.

Notes

1 La redécouverte de ce tableau a eu lieu dans le cadre de l’opération de récolement des objets de Saint-Louis de 2021 par les élèves de l’INP, Mesdames Blocquet et Davenas et Messieurs Chevrollier et Sartori. Depuis cette date ont été publiés un communiqué et un article annonçant la restauration (cf. communiqué de presse de l’ambassade de France près le Saint Siège, 4 juillet 2024 – et article de Pierre Antoine Ferracin, « La toile retrouvée à Saint-Louis-des-Français », Storia dell’arte, octobre 2021 et décembre 2024).

2 Initiée en 2014 en prévision du Jubilé, sous l’égide de l’Ambassadrice de France près le Saint Siège, Madame Florence Mangin, tutelle des Pieux Établissements de la France à Rome et à Lorette, eux-mêmes propriétaire de l’œuvre – avec le souhait, alors, de voir associée la Fondation pour la Sauvegarde de l’art français autour d’un projet de chantier école franco-italien. C’est finalement grâce au dialogue entre l’administrateur des « Pieux », le frère Renaud Escande, o.p., et le directeur de l’Istituto per il Restauro de Rome, l’architecte Luigi Oliva, que l’opération s’est achevée, en un an, grâce, aussi, à l’implication du professeur à la Sapienza, Massimo Moretti. Une journée d’étude et un ouvrage sont envisagés aujourd’hui.

3 Le Pensionato Napoletano est l’académie des Beaux-Arts fondée, à Rome, en 1825 par Ferdinand II, Roi des Deux -Siciles.

4 Giacomini Federica, PhD, Vincenzo Camuccini e il restauro dei dipinti a Roma nella prima metà dell’Ottocento, Bergame, associazione Secco Suardo, 2007.

5 Localisation inconnue à ce jour.

6 Pierre Antoine Ferracin, La predicazione di San Paolo ad Atene, Sapienza, facoltà di Lettere e filosofia, Corso di laurea magistrale in Storia dell’Arte – Professore Massimo Moretti. A.A 2020-2022.

7 Ibid.

8 Ibid.

9 Le palais Farnèse sera vendu à la France en 1911, acquis par l’Italie en 1936 – cédé alors en location à la France.

10 Érigé entre 114 et 119 au sommet de la colline des Muses, au sud-ouest de l’Acropole en l’honneur du sénateur romain Caius Julius Antiochus Epiphanes Philopappus.

11 Actes, XVII-22-3.

12 Capitelli Giovanna, Mecenatismo pontificio e borbonico alla vigilia dell’Unità, Roma, 2011.

13 Victor Hugo, « L’Enfant », Les Orientales, 1829.

14 Cf la mort de Lord Byron en 1824, à Missolonghi, ainsi que l’épisode de « La Grèce sur les ruines de Missolonghi », illustré par Delacroix, daté de 1826.

15 Scènes des Massacres de Scio, 1824. Le tableau est au musée du Louvre.

16 Pierre Antoine Ferracin, ibid.

17 Le comité de suivi s’est réuni tous les mois, sous la présidence du frère Renaud Escande, o.p., et la tutelle scientifique du Pr Massimo Moretti. 18 Cf dossier d’étude de l’ing. Falcucci, juillet 2024.

19 Les études ont précisé la provenance probable de cette toile, les Flandres.