Classée « Trésor national », l’extraordinaire aiguière d’Isabelle d’Este rejoint le musée du Louvre
Exécutée par Nicola da Urbino (vers 1480-1537/1538), l’aiguière aux armes et emblèmes d’Isabelle d’Este s’était vu refuser son certificat d’exportation avant d’être classée Trésor national en avril 2023. Grâce à la générosité de la Société des Amis du Louvre qui a intégralement réuni la somme de 850 000 €, cette œuvre insigne vient de rejoindre les collections du musée du Louvre où elle est d’ores et déjà visible au sein du département des Objets d’art.
Acquise par le baron Salomon de Rothschild entre 1855 et 1864 (année de son décès), elle est dévoilée dès 1865 au Palais de l’Industrie, lors de l’exposition rétrospective de l’Union Centrale des beaux-arts.
« Cette pièce, particulièrement remarquable [a] vocation à rejoindre les trois autres éléments du même ensemble déjà conservés dans les collections publiques françaises, ce qui constituerait la plus importante réunion au monde de cette vaisselle de prestige. »
Arrêté du 31 mai 2023 refusant le certificat prévu à l’article L. 111-2 du code du patrimoine
Spoliée et restituée
Une reproduction en couleurs apparaît pour la première fois dans le Recueil de faïences italiennes des XVe, XVIe et XVIIe siècles, publié par Alfred Darcel en 1869. Citée dans les décennies suivantes par plusieurs ouvrages spécialisés, la majolique n’est plus exposée après 1878 mais elle figure dans l’inventaire après décès de Salomon de Rothschild, puis parmi les biens spoliés à son fils Édouard par les nazis. Après la Seconde Guerre mondiale, elle est rendue à la famille Rothschild où elle était encore conservée jusqu’à son acquisition.
« Nec spe nec metu »
Si la forme est répandue, le décor particulièrement raffiné et hautement symbolique de cette pièce n’indique assurément pas un usage quotidien. Sur un fond bleu intense, plusieurs putti ailés jouent au milieu des rinceaux, colliers de perles, animaux, voiles et vases à l’antique. Parmi ce foisonnant répertoire figure sur le col le complexe blason de la marquise, tandis que sa devise est inscrite sur la panse : « nec spe nec metu », « ni espoir ni crainte ».
« Le 15 novembre 1524, Éléonore de Gonzague (1493-1550) écrit à sa mère Isabelle d’Este (1474-1539) qu’elle lui envoie « un service de vases de terre ». »
« La première dame de la Renaissance »
Femme de pouvoir et de culture, la marquise de Mantoue se distingue notamment par la considérable influence qu’elle exerce sur les arts et les lettres de son temps. Mécène éclairée, elle se passionne aussi pour les arts décoratifs et encourage la production de majoliques par la commande de pièces raffinées qu’elle expose dans ses résidences ou qu’elle utilise comme cadeaux diplomatiques. Le musée du Louvre possède un admirable dessin de Léonard de Vinci immortalisant le profil de la marquise, ainsi que des chefs-d’œuvre d’Andrea Mantegna, Lorenzo Costa et du Pérugin qu’elle avait commandés pour orner son célèbre studiolo.
Nicola da Urbino, « le Raphaël de la majolique »
Identifié au XIXe siècle puis véritablement redécouvert au XXe siècle, grâce notamment aux travaux de Timothy Clifford et Timothy Wilson, Nicola di Gabriele Sbraghe, dit Nicola da Urbino contribue dans les années 1520 à porter à un sommet l’art de l’istoriato (majolique illustrée). Puisant son inspiration dans les gravures qui diffusent alors abondamment les œuvres des plus grands artistes du temps, il imagine de superbes décors qui se distinguent par l’éclat de leurs couleurs, la finesse d’exécution et l’équilibre des compositions ; autant de caractéristiques qui lui valent le surnom de « Raphaël de la majolique ».
Une réunion exceptionnelle
Vingt-trois assiettes et coupes du service d’Isabelle d’Este sont actuellement identifiées dans diverses collections publiques et privées à travers le monde, mais c’est au Louvre que se trouve l’ensemble le plus important. Unique pièce de forme du service connue à ce jour, la précieuse aiguière rejoint ainsi trois autres pièces de ce mythique service de table. L’assiette figurant Abimélech épiant Isaac et Rébecca provient du legs de la baronne Salomon de Rothschild (1922) tandis que le grand plat retraçant l’Histoire d’Orphée et d’Eurydice et la coupe représentant le Festin de Didon et Énée ont intégré les collections par dation, en 2007. On ne peut donc que se réjouir de cette acquisition qui constitue à l’évidence un enrichissement particulièrement heureux pour les collections du Louvre.