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L’histoire (de l’art) comme un roman : un Dumas inattendu

Herbert Watkins, Portrait d’Alexandre Dumas (détail), 1857. Tirage sur papier albuminé, 18,5 x 13,2 cm. Guernesey, Maison de Victor Hugo – Hauteville House.

Herbert Watkins, Portrait d’Alexandre Dumas (détail), 1857. Tirage sur papier albuminé, 18,5 x 13,2 cm. Guernesey, Maison de Victor Hugo – Hauteville House. Photo CC0 Paris Musées / Maisons de Victor Hugo Paris-Guernesey

Les éditions du Chêne publient, sous la forme d’un attrayant coffret, une œuvre-fleuve méconnue de Dumas qui officie ici comme « historien de l’art » sans renoncer à sa passion dominante et son principal talent : raconter de bonnes histoires.

Jugeant opportun de placer les Alpes entre lui et des créanciers trop pressants, Alexandre Dumas (1802-1870) s’installa à Florence en 1840. Un projet éditorial bien rémunéré se présenta, un quatuor d’investisseurs proposant au célèbre écrivain, le dramaturge surtout (Dumas, alors, n’a pas encore publié Les Trois Mousquetaires ni Le Comte de Monte-Cristo), d’écrire la version française d’une vaste étude de la galerie des Offices doublée d’une histoire illustrée de la peinture. Les souscripteurs recevaient mensuellement quelques feuilles, à charge pour eux de les faire relier. Banal, ce procédé feuilletonnant est pourtant à l’origine de la rareté des versions « complètes » de l’ouvrage (le tarissement des finances et la tourmente révolutionnaire paneuropéenne en 1848 empêchèrent son total achèvement).

Résurrection éditoriale

C’est au beau projet de rendre accessible cet écrit méconnu que se sont attelés Jocelyn Fiorina, Cristina Farnetti et les éditions du Chêne sous forme de sept volumes, dans un format évoquant celui des guides de voyage. Le premier consiste en une histoire de la dynastie Médicis, mécènes paradigmatiques (l’histoire moderne est venue corriger cette pure expression de la propagande médicéenne) dont l’indéniable grandeur mêlée de turpitudes captiva naturellement l’écrivain1. Puis vient une histoire de la peinture de l’Antiquité au Moyen Âge. Suit, dans le plus épais des sept volumes, une histoire des grands peintres – italiens surtout, pas seulement. On trouve ensuite un tome reproduisant la fameuse galerie des portraits d’artistes du musée florentin (« Salle de prédilection » d’un auteur qui ne conçoit l’histoire de l’art qu’incarnée par des « héros »). Les volumes 5, 6 et 7 consistent, enfin, en un catalogue illustré (à la fois par les gravures « au trait » réalisées au XIXe siècle et les photographies modernes, bienvenues, des mêmes œuvres) de la galerie des Offices, principal objet de cette fresque épique.

La Galerie de Florence racontée par Alexandre Dumas, présenté et annoté par J. Fiorina et C. Farnetti, éditions du Chêne.

La Galerie de Florence racontée par Alexandre Dumas, présenté et annoté par J. Fiorina et C. Farnetti, éditions du Chêne.

Une œuvre ambivalente

En dépit d’un amour sincère pour la peinture et pour les artistes, y compris ceux de son temps tel Delacroix, et bien qu’il prenne plus d’une fois la posture de rétablisseur de faits au détriment de la légende, Dumas (associé à ses inévitables collaborateurs, dont son propre fils, Alexandre, futur auteur de La Dame aux camélias) ne se soucia guère de faire œuvre d’irréprochable historien-archiviste. Les contemporains n’étaient d’ailleurs pas dupes. Ayant eu vent du projet de ce feuilleton florentin, le directeur du Magasin pittoresque, Édouard Charton, fulmina : « [I]l arrangera les chroniques les plus absurdes, de préférence en roman et voilà ! J’ai dit ma façon de penser aux libraires, mais le nom de Dumas les fascine […] ». L’intérêt de ce séduisant coffret ne réside pas, on s’en doute, dans l’exactitude ni dans la pertinence des informations qui s’y trouvent (elles sont heureusement actualisées par un appareil de notes), mais dans le « moment » romantique de l’histoire du goût2 que reflètent ces pages très divertissantes, souvent savoureuses, et surtout dans le rapport, essentiellement romanesque, qui lie Dumas à l’histoire (de l’art). Certains épisodes relatés dans La Galerie de Florence nourriront d’ailleurs, en retour, l’intrigue des Trois Mousquetaires (l’épisode des fameux ferrets de diamants d’Anne d’Autriche) aussi bien que la question de l’origine du trésor de l’abbé Faria, mentor ­d’Edmond Dantès…

1 Signalons une publication récente de cette histoire dumasienne des Médicis chez Vuibert en 2023.

2 L’intérêt, paradoxal ici, manifesté par Dumas pour la peinture espagnole est congruent avec une génération romantique captivée par la « Galerie espagnole ». Réunie par le baron Taylor pour Louis-Philippe, celle-ci avait été ouverte au public du Louvre en janvier 1838.

La Galerie de Florence racontée par Alexandre Dumas, présenté et annoté par J. Fiorina et C. Farnetti, éditions du Chêne, novembre 2024, 7 volumes sous coffret, 1 700 p., nombreuses illustrations, 149 €