Notre-Dame de Paris à la lumière de l’archéologie (1/8). Construction, transformations, restaurations : huit siècles d’histoire

L’envolée des voûtes à plus de 30 m de haut de la cathédrale Notre-Dame fut un record et une prouesse architecturale qui stupéfièrent les contemporains du XIIe siècle. © Pascal Lemaitre / Viollet le Duc / Artedia / Leemage
Depuis huit siècles, Notre-Dame de Paris domine l’île de la Cité. Sa silhouette familière dissimule une histoire qui reste en grande partie à découvrir. Le drame du 15 avril 2019 a imposé des opérations de sauvetage et signé l’ouverture d’un chantier scientifique qui vise une connaissance complète de l’édifice afin d’en permettre la parfaite restauration.
Les auteurs de ce dossier sont : Arnaud Ybert, Yves Gallet, Frédéric Épaud, Olivier Poisson, Stephan Albrecht, Caroline Bruzelius, Lindsay Cook et Stéphanie Daussy, respectivement président et membres de l’Association des scientifiques pour Notre-Dame ; Philippe Villeneuve, Aline Magnien, Marie-Hélène Didier et Dominique Garcia. Ce dossier a été coordonné par Olivier Poisson, inspecteur général des Monuments historiques honoraire et membre de l’association des Scientifiques pour Notre-Dame. La rédaction le remercie chaleureusement pour sa précieuse contribution.
La cathédrale Notre-Dame de Paris vue depuis la Seine avant 2019. © Pascal Lemaitre / Artedia / Leemage
Dans l’histoire architecturale de la cathédrale gothique de Paris, on distingue trois périodes essentielles : celle de la construction, au XIIe siècle, celle des transformations, aux XIIIe et XIVe siècles et, enfin, celle de la restauration, au XIXe siècle. Chacune de ces périodes de travaux a contribué à façonner, jusqu’à aujourd’hui, le visage de l’édifice.
La construction de Notre-Dame commence autour de 1160, en remplacement d’une cathédrale plus ancienne dont on sait peu de choses. Le chantier prend place dans un contexte dynamique.
Une capitale en devenir
Paris est alors, sur le plan économique et démographique, une ville en plein essor, un essor qui se reflète dans l’expansion du territoire urbain, qu’il faudra bientôt, sous Philippe Auguste (1180-1223), clore d’une enceinte. C’est aussi le moment où Paris devient progressivement la vraie capitale du pouvoir capétien. Les rois résident dans le palais de la Cité, à la pointe aval de cette île où s’élèvent également, à l’amont, l’église et le palais de l’évêque. De cette proximité naissent des relations contrastées : des temps de cohésion du pouvoir royal et du pouvoir épiscopal, des moments d’affirmation de l’un par rapport à l’autre, marqués par un soin jaloux de chacun à faire reconnaître ses prérogatives. Sur le plan artistique, enfin, ces décennies 1130-1160 connaissent de nombreuses mutations qui conduisent, par étapes, à un renouvellement architectural – un processus que l’on ramène, en des termes bien anachroniques, à celui d’un passage du « roman » au « gothique ».
Une cathédrale pionnière
L’initiative de la construction revient à un évêque ambitieux, Maurice de Sully (1160-1196), qui voulut réaffirmer l’importance de la cathédrale de Paris par rapport à l’archevêché de Sens, mais aussi par rapport aux abbayes royales qu’étaient Saint-Denis et Saint-Germain-des-Prés, et aux cathédrales voisines, dont plusieurs – Senlis, Noyon, Laon… – étaient alors en reconstruction. La longévité de Maurice de Sully lui permit de programmer le chantier dans son ensemble et de veiller au bon déroulement d’une large part des travaux. À sa mort, le chevet et la nef étaient édifiés. La façade, avec ses trois portails sculptés, fut en revanche de quelques années plus tardive. Notre-Dame est donc, dans sa chronologie comme dans son architecture, une cathédrale du premier art gothique : une phase d’élaboration de ce style, une phase d’expérimentation, qui explique sa place pionnière dans le « temps des cathédrales », même si, contrairement à une idée reçue, elle n’en représente pas l’apogée. Notre-Dame a été la plus vaste et la plus haute cathédrale de son temps, mais quelques décennies plus tard, Reims, Amiens ou Cologne devaient la dépasser, en hauteur, en légèreté, en luminosité.
La scène montre le roi Dagobert Ier (600-639) se réfugiant dans l’abbaye royale de Saint-Denis. Au second plan, on aperçoit Paris telle qu’elle était au XVe siècle avec la cathédrale Notre-Dame et sa flèche médiévale. Enluminure de Jean Fouquet extraite des Grandes Chroniques de France, vers 1455-1460. Paris, BnF, Fr 6465, fol. 57. © Akg-images
Les transformations médiévales
Dès le XIIIe siècle, Notre-Dame connaît des transformations décisives. Les si célèbres roses du transept, par exemple, datent de cette période, et non de la construction d’origine. Il en va de même de toutes les fenêtres hautes, d’ouest en est. Le système de contrebutement est aussi repris, les arcs-boutants modifiés. Et c’est de cette époque que datait, pour l’essentiel, la « forêt » de Notre-Dame, la charpente partie en fumée dans l’incendie du 15 avril 2019. Enfin, toute une série de chapelles est ajoutée au corps de l’édifice, au pourtour de la nef puis du chevet. C’est, semble-t-il, d’abord pour faire entrer davantage de lumière dans une cathédrale jugée trop sombre que les architectes du XIIIe siècle ont entrepris de telles transformations. Il n’est pas exclu que d’autres motivations aient joué, comme le souhait d’adapter la cathédrale à l’essor des dévotions privées, ou le désir de répondre aux monuments qui, entretemps, étaient sortis de terre : l’abbatiale rayonnante de Saint-Denis (1231), la Sainte-Chapelle du palais de la Cité (1243-1248). Le clergé de Notre-Dame n’hésita d’ailleurs pas à faire appel aux meilleurs maîtres d’œuvre de Paris, Jean de Chelles puis Pierre de Montreuil (1212-1267), dont par chance les noms ont échappé à l’oubli. Ces Jean Nouvel du XIIIe siècle, puis leurs descendants et successeurs, de Pierre de Chelles à Raymond du Temple, firent de Notre-Dame l’une des réalisations les plus remarquables du style gothique rayonnant, célébrée et imitée à travers toute l’Europe.
Réalisées peu après le milieu du XIIIe siècle, les roses du transept de Notre-Dame sont des œuvres d’exception, dépassant en diamètre toutes celles qu’a produites le gothique français. © Lemaitre / Artedia / Leemage
Des interventions nécessaires
Ce vaste chantier de modernisation s’achève aux alentours de 1320. À partir de cette date, Notre-Dame ne connaît plus de transformations significatives, du moins dans ses œuvres vives. Et c’est dans cet état qu’elle subsiste pendant cinq siècles, jusqu’à ce que l’inexorable action du temps rende nécessaire une restauration d’ensemble. Au milieu des années 1840, l’action engagée de personnalités marquantes (Victor Hugo) et la cristallisation de la conscience patrimoniale conduisent au lancement des travaux : c’est alors que s’ouvre, sous l’égide de Lassus et du jeune Viollet-le-Duc, un nouveau chapitre de l’histoire architecturale de Notre-Dame. Le chantier qui s’est engagé après l’incendie de 2019 ne devrait pas manquer d’y ajouter quelques pages inédites.
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