Notre-Dame de Paris restaurée (4/12). Le mausolée du comte d’Harcourt

Jean-Baptiste Pigalle, Tombeau du comte d’Harcourt, 1776. Marbre. Paris, cathédrale Notre‑Dame. © P. Lemaître / dist. CMN
Commandé en 1770 et achevé six ans plus tard, le tombeau du comte d’Harcourt est un chef-d’œuvre méconnu de Jean-Baptiste Pigalle. Exécuté dans la chapelle Saint-Étienne que possédait la famille d’Harcourt, ce monument fut transféré durant la Révolution au musée des Monuments français d’Alexandre Lenoir avant d’être réinstallé à Notre-Dame sous la Restauration, contre le mur d’une chapelle dont Viollet-le-Duc conçut ensuite le décor.
Membre de l’Académie royale de peinture et de sculpture de Paris, Jean-Baptiste Pigalle comptait en 1770 parmi les sculpteurs les plus réputés de la capitale. Il travaillait alors à l’achèvement du mausolée du maréchal de Saxe. Commande royale célébrant le vainqueur de Fontenoy, ce monument funéraire érigé dans le temple protestant Saint-Thomas de Strasbourg de 1752 à 1777 permit à l’artiste de déployer toute la verve des grandes sépultures baroques qu’il avait vues dans sa jeunesse, à Rome. Cette image grandiose du guerrier ne craignant pas la mort et descendant sereinement au tombeau marqua considérablement les contemporains et caractérise la maturité artistique de Pigalle.
Jean-Baptiste Pigalle, Tombeau du comte d’Harcourt (détail), 1776. Marbre. Paris, cathédrale Notre‑Dame. © P. Lemaître / dist. CMN
« Représentée en larmes, la veuve a les mains jointes et regarde une saisissante allégorie de la mort qui, voilée, brandit un sablier indiquant que le temps passant inexorablement réunira bientôt les amants séparés. »
Au-delà de la mort, l’amour
Aussi n’est-il pas étonnant que Marie-Madeleine Thibert des Martrais ait demandé à Pigalle l’exécution d’un imposant mausolée un an après la mort de son époux, Henri Claude, comte d’Harcourt (1704-1769). Fils d’un maréchal de France, issu d’une illustre famille, ce lieutenant général des armées du roi ne brilla pas particulièrement sur les champs de bataille, contrairement à ce que le trophée d’armes, inspiré du monument strasbourgeois, pourrait laisser penser. Mais, plus encore que la carrière militaire du comte, c’est l’amour d’un couple exceptionnellement uni que ce tombeau proclamait.
Jean-Baptiste Pigalle, Tombeau du comte d’Harcourt (détail), 1776. Marbre. Paris, cathédrale Notre‑Dame. © P. Lemaître. All rights reserved 2024 / Bridgeman Images
En effet, le contrat passé entre la comtesse et le sculpteur indique que le sujet du mausolée est « la réunion conjugale ». Très précise, la description atteste combien Pigalle suivit à la lettre les volontés de la commanditaire. « À l’une des extrémités du sarcophage, commence le document, sera l’ange tutélaire du […] comte d’Harcourt qui, voyant venir ladite dame comtesse d’Harcourt, lèvera d’une main la pierre du tombeau […] » tandis que de l’autre il tient le flambeau de l’hymen. « Après avoir paru reprendre un moment de vie à la chaleur de ce flambeau, [M. le Comte] se débarrassera de son linceul et tendra à son épouse ses bras languissants ». Représentée en larmes, la veuve a les mains jointes et regarde une saisissante allégorie de la mort qui, voilée, brandit un sablier indiquant que le temps passant inexorablement réunira bientôt les amants séparés.
Une œuvre théâtrale
Exécutées « en marbre blanc statuaire le plus beau qu’il sera possible de trouver », ces quatre figures agencées autour de la cuve du sarcophage en une narration muette témoignent de la parfaite maîtrise de Pigalle dans l’expression des passions et la représentation vériste du corps, qu’il soit adolescent, décharné ou à l’état de squelette. Cette iconographie très personnelle et assez absconse dérouta les contemporains. Denis Diderot, par exemple, n’y vit qu’un « galimatias ». Conscient de l’importance de cette commande pour laquelle il toucha la somme exorbitante de 60 000 livres, le sculpteur veilla aux moindres détails de l’exécution, demandant à ce que les vitraux médiévaux soient remplacés par de simples verres. Ainsi maîtrisée, la lumière adoucie du jour tombait sur le seul visage vraiment visible : celui, éploré, de la comtesse qui espérait tant que ce tombeau devienne aussi le sien.
Jean-Baptiste Pigalle, Tombeau du comte d’Harcourt, 1776. Marbre. Paris, cathédrale Notre‑Dame. © P. Lemaître / dist. CMN