Quand les gondoles voguaient à Chantilly : la flottille enchantée des princes de Condé

École française de la fin du XVIIe siècle, anciennement attribué à Lievin Cruyl (1640-1720), Vue du château de Chantilly et des parterres prise du Vertugadin, vers 1680. Gouache sur vélin, 26 x 34,5 cm. Chantilly, musée Condé. Photo service de presse. © GrandPalaisRMN (château de Chantilly) / Gérard Blot
L’extraordinaire Cabinet des livres du château de Chantilly accueille une exposition consacrée à la flottille princière qui, à partir de la fin du XVIIe siècle et durant deux siècles, vogua sur ses canaux. Cette flottille variée et chamarrée, qui fut l’un des éléments centraux des fêtes et divertissements organisés par les princes de Condé dans le parc imaginé par André Le Nôtre, se dévoile dans plusieurs gravures et peintures conservées dans les collections du musée Condé.
Les canaux de Chantilly ne furent pas que de limpides miroirs d’eau reflétant les façades du château, les topiaires ou les sculptures agrémentant les jardins. Galiotes, chaloupes, gondoles et pirogues, frégates et nacelles : de nombreuses embarcations de plaisance y croisèrent, les divertissements nautiques étant très prisés par les princes de Condé et leurs invités, de la tranquille promenade aux joutes et régates. Florent Picouleau, chargé des archives au musée Condé, a reconstitué leur histoire grâce à une belle sélection d’œuvres et documents présentés dans l’exposition « La flottille princière du château de Chantilly (XVIIe-XIXe siècles) ».
« C’est à partir de la fin du XVIIe siècle que de nombreux bateaux font leur apparition sur le domaine de Chantilly. Principalement de plaisir et d’agrément, cette flottille participe alors activement, puis tout au long du XVIIIe siècle, aux somptueuses fêtes données par les princes de Bourbon-Condé avant de disparaître à la fin du XIXe siècle. »
Florent Picouleau
« Sans canaux, pas de bateaux ! »
C’est ce que rappelle Florent Picouleau dans le catalogue qui accompagne l’exposition. La construction des canaux et d’un vaste réseau hydraulique fut le point de départ des grands travaux entrepris par André Le Nôtre (1613-1700) pour transformer le parc à partir de 1662, à la demande de Louis II de Bourbon, dit le Grand Condé (1621-1686). De l’eau, il y en avait à Chantilly, à profusion, mais il fallait la canaliser et drainer les prairies humides. En plus de sources, le parc était arrosé par une rivière, la Nonette, et l’un de ses affluents. Détournée, la Nonette alimenta le Grand Canal, creusé entre 1671 et 1673. Perpendiculaire à cette longue artère de près de 3 kilomètres qui surclasse par la taille son rival versaillais, la Manche, bras le plus proche du château et du grand escalier (illustration ci-dessus), constituait l’endroit parfait pour embarquer.
Anonyme (XVIIIe siècle), d’après Jean-Baptiste Le Paon (vers 1736-1785), Chasse au cerf offerte au comte et à la comtesse du Nord dans le parc de Chantilly, 12 juin 1782 ; hallali dans le Grand Canal. Copie réalisée en Russie de l’original peint entre 1783 et 1785. Huile sur toile, 98 x 160 cm. Chantilly, musée Condé. Photo service de presse. © GrandPalaisRMN (château de Chantilly) / Gérard Blot
Fêtes et divertissements
« Le Grand Canal de Chantilly n’est en rien un laboratoire de projets navals. Sa flottille, bien que de qualité dans son ensemble, n’a de raison d’être que le divertissement et le plaisir des princes », écrit Florent Picouleau. Les embarcations utilisées à Chantilly apparaissent dans plusieurs peintures et gravures, représentées avec plus ou moins d’exactitude. L’on connaît cependant les types d’embarcations présentes sur les eaux cantiliennes : certaines, modestes, sont destinées au travail, à la pêche et à la chasse, d’autres, richement décorées, sont employées pour les promenades, les joutes et les courses nautiques qui divertissent le prince et ses invités. Certains jeux consistent même à renverser la barque voisine…
Claude-Louis Desrais (1746-1816), Amusement du Hameau de Chantilly ou le naufrage. Estampe couleur, 23,7 x 29,2 cm. Caricatures parisiennes, Le Goût du Jour no 3, A Paris, chez Martinet, libraire rue du Coq S.t Honoré. Chantilly, musée Condé. Photo service de presse. © GrandPalaisRMN (château de Chantilly) / Michel Urtado
Gondoles, nacelles, galiotes…
Les eaux étant peu profondes, les navires de grande taille ne pouvaient y naviguer. La plus grande embarcation à s’y aventurer était la galiote, bateau ponté et mâté destiné à la promenade, particulièrement prisée dans les années 1770-1780. Autre bateau de promenade : la chaloupe, colorée et confortable, qui pouvait accueillir jusqu’à quinze personnes. La gondole, employée pour les personnes de haut rang, fut l’une des premières à voguer sur le Grand Canal, avant même son achèvement. Construite sur le modèle vénitien, elle pouvait accueillir de deux à six personnes et permettait aux promeneurs de gagner d’autres lieux du parc, comme la Ménagerie, à laquelle le château consacrait une exposition en 2021. Sur les canaux secondaires, comme ceux du Hameau, croisaient de nombreuses pirogues, dont les couleurs et les bannières agrémentaient les eaux.
École française de la fin du XVIIe siècle, anciennement attribué à Lievin Cruyl (1640-1720), Vue du château de Chantilly et des parterres prise du Vertugadin (détail), vers 1680. Gouache sur vélin, 26 x 34,5 cm. Chantilly, musée Condé. Photo service de presse. © GrandPalaisRMN (château de Chantilly) / Gérard Blot
« L’ornementation des bateaux de plaisance est un instrument de communication. Plus celle-ci est développée, plus elle assoit le rang de son propriétaire dans la hiérarchie du royaume. Elle varie selon le type d’embarcation, le goût et les moyens financiers de ses commanditaires. »
Florent Picouleau
De grands événements célébrés sur l’eau
Les spectacles nautiques tiennent une place de premier plan dans les grandes fêtes célébrées au domaine de Chantilly : « Les plus beaux miracles nautiques s’accomplissent lorsque les souverains de France et les plus illustres invités des Condés séjournent à Chantilly », précise Florent Picouleau. C’est le cas dès avril 1671 lorsque, aspirant à un retour en grâce, le Grand Condé convie Louis XIV a une fête mémorable, la première d’une longue série qui compta aussi la fête donnée en l’honneur du jeune Louis XV par le prince Louis-Henri de Bourbon-Condé en octobre 1722, qui dura plusieurs jours. La Révolution fut fatale à la flottille de Chantilly, en grande partie détruite. Au XIXe siècle, lorsque le duc d’Aumale se réinstalla à Chantilly, le temps n’était plus aux grandes fêtes princières. La dernière flottille ne compta que quelques embarcations destinées à la pêche, à la promenade, voire au sport, qui disparurent en même temps que le duc, à la fin du siècle.
« La flottille princière du château de Chantilly (XVIIe-XIXe siècles) », jusqu’au 2 juin 2025 dans le Cabinet des livres du musée Condé, château de Chantilly, 60500 Chantilly. Tél. 03 44 27 31 80. https://chateaudechantilly.fr