Saint-Denis révélée par l’archéologie (3/5). La ville médiévale : les découvertes de la place Jean-Jaurès

Fouille manuelle fine d’un foyer du XIIIe siècle.

Fouille manuelle fine d’un foyer du XIIIe siècle. © Inrap / UASD

Saint-Denis fut, pendant des siècles, la plus florissante et la plus influente des villes de France. Abbaye royale dès le VIIe siècle, ornée d’une somptueuse basilique, elle préserve des vestiges historiques de premier plan, témoins de son extraordinaire passé médiéval. Menées depuis plusieurs décennies, les fouilles archéologiques dévoilent peu à peu l’histoire de la ville – qui est aussi une histoire de l’archéologie urbaine. À l’occasion de deux grandes campagnes menées sous la basilique-cathédrale et sous la place Jean-Jaurès, Archéologia vous propose une synthèse de ces riches heures dionysiennes.

Les auteurs de ce dossier sont : Claude Héron, chef de service, Ville de Saint-Denis, Direction de la Culture, Unité d’archéologie Ivan Lafarge, responsable d’opération, Bureau du patrimoine archéologique, Département de la Seine-Saint-Denis Michaël Wyss, archéologue émérite à l’Unité d’archéologie de la Ville de Saint-Denis Georges El Haibe, responsable scientifique Inrap de la fouille de la place Jean-Jaurès à Saint-Denis Clément Tulet, adjoint au responsable scientifique, USAD, de la fouille de la place Jean-Jaurès à Saint-Denis

Numérisation 3D par photogrammétrie des vestiges du Moyen Âge.

Numérisation 3D par photogrammétrie des vestiges du Moyen Âge. © Rachid El Hajaoui, Inrap

Au cours du Moyen Âge, la ville de Saint-Denis se développe autour du bourg monastique alors en plein essor. Le projet d’aménagement et de végétalisation de la place Jean-Jaurès, située à l’ouest de la mairie et à deux pas de la basilique, a amené le Service régional de l’archéologie (SRA) à prescrire des fouilles réalisées en groupement par l’Inrap et l’UASD. Commencées mi-janvier 2023, elles s’achèveront mi-décembre prochain. L’emprise, qui s’étend sur près de 6 000 m2, a permis d’éclairer les différentes étapes d’occupation de cet espace central, riche en vestiges.

Sous les arbres, l’histoire

Plusieurs opérations d’archéologie de sauvetage et préventive réalisées par l’Unité d’archéologie de la Ville de Saint-Denis (UASD) avaient déjà offert une première appréciation du potentiel de l’emprise considérée. En 1987, une surveillance de terrassements a accompagné la plantation de trente-six arbres. En 2005, à la faveur de l’arrachage de ces arbres et de leur remplacement par de nouveaux spécimens, un diagnostic est réalisé avec l’ouverture de cinq tranchées en périphérie de la place et la surveillance du creusement de quatorze fosses de plantation. La connaissance des lieux s’appuie également sur les sources d’archives, écrites et graphiques. Grâce à l’ensemble des recherches passées et en cours, nous pouvons aujourd’hui proposer une première synthèse chronologique de l’occupation de la place Jean-Jaurès du Moyen Âge à nos jours.

Le fossé d’enceinte du IXe siècle

À partir de 869, un fossé de l’enceinte est édifié pour protéger l’abbaye et la basilique des raids vikings. Ce fossé carolingien a été retrouvé tout au long de la partie ouest de la place Jean-Jaurès. D’après les observations anciennes, il est parfois simple, parfois double, de plan ovale et de diamètre qui varie entre 400 et 500 m, avec la basilique en son centre. Il protège alors une surface d’environ 13 ha.

Nécropole et bâtiments médiévaux

En 2005, huit sépultures sont signalées dans l’angle sud-est de la place. Elles étaient en grande partie orientées est/ouest. Aucun mobilier funéraire n’était associé aux individus, mais la céramique retrouvée dans les remblais d’inhumation ainsi que deux datations au carbone 14 ont permis de rattacher cet ensemble à l’époque carolingienne. Ces inhumations étaient complètement inattendues et cet espace funéraire était inconnu jusqu’ici : en effet, la grande nécropole du Haut Moyen Âge (476-1000), étudiée au nord de la basilique, se trouve à environ 80 m à l’est. Au tournant des XIe et XIIe siècles, l’occupation funéraire des lieux cesse, le fossé est comblé et l’espace est urbanisé. Deux types de bâtiments ont été dégagés lors des opérations récentes. Le premier se présente sous la forme de trous de poteau creusés dans le substrat marneux et répartis sur toute la surface fouillée. Le second était probablement à pan de bois (ou colombages), identifié grâce à son soubassement, en maçonnerie en pierre et au mortier, associé à des trous de poteau. Les différents éléments recueillis permettent de reconstituer leurs plans, tailles et formes. Ces probables habitations sont liées à des fosses destinées au stockage de céréales et à des fosses d’extraction de la marne. Vers le début du XIIIe siècle, une occupation beaucoup plus dense (avec des bâtiments construits en dur remplaçant les précédents) témoigne d’une augmentation de la population. Différentes couches charbonneuses fines, associées à des niveaux de sols, ainsi que différents foyers repartis dans la plupart des pièces de plusieurs bâtiments, nous permettent de suggérer des activités domestiques, commerciales et artisanales.

Nous pouvons aujourd’hui proposer une première synthèse chronologique de l’occupation de la place Jean-Jaurès du Moyen Âge à nos jours.

Les loges de la foire du Lendit (1444-1854)

Des bâtiments datant entre le milieu du XVe siècle et le milieu du XIXe siècle ont également été reconnus. Implantés sur ceux médiévaux détruits, ils appartiennent aux loges de la foire du Lendit, parfois associées à des caves destinées au stockage des marchandises. Depuis le XIe siècle, cette foire est l’une des plus importantes du royaume, le Lendit étant à l’origine une fête religieuse liée à saint Denis. Au début du XIIe siècle, les activités commerciales sont transférées dans le quartier actuel de la Plaine, entre Paris et Saint-Denis. En 1426, la foire s’interrompt 18 ans, pendant la guerre de Cent Ans, avant d’être rétablie, en 1444, à l’intérieur du bourg par Charles VII. Déplacée plusieurs fois, elle est définitivement établie sur la place par Henri II en 1556. Un plan daté de 1718 présente un enclos très organisé, percé de six portes et comprenant quatorze rues pavées, bordées de cent dix-neuf loges. Les loges de la foire sont démolies en 1854 et remplacées par des halles métalliques destinées à abriter un marché. Détruites à leur tour entre 1890 et 1893 pour aménager la place, elles déménagent à l’emplacement de l’actuelle grande halle. Au centre de la place, sont apparues les fondations du kiosque à musique, de forme octogonale, construit à la fin du XIXe ou au début du XXe siècle, et disparu vers 1958. L’intérieur est comblé par des gros fragments de mosaïque polychrome et de briques, suggérant un sol intitialement décoré de mosaïques. À la suite de la démolition du kiosque, la place est déboisée et accueille un nouveau marché et un parking.

 Récipients d’époques médiévale et moderne : coquemar, tèle, tasse et fiole.

Récipients d’époques médiévale et moderne : coquemar, tèle, tasse et fiole. © Emmanuelle Collado, Inrap