Sir Lawrence Alma Tadema rejoint la National Gallery de Londres
À l’occasion de la célébration de son bicentenaire, la National Gallery de Londres s’offre, pour la somme (rondelette) de deux millions de livres, un tableau caractéristique du peintre britannique d’origine néerlandaise Lawrence Alma Tadema.
Après un important Nicolas Poussin (Eucharistie) et un tableau intimiste, de moindre intérêt, d’Eva Gonzalès (La Psyché), c’est au tour d’Alma Tadema (1836-1912) de venir compléter, cette année, les collections du musée londonien, lesquelles ne comptaient jusqu’alors aucune de ses œuvres1. Salle 45, les visiteurs pourront désormais considérer cette peinture caractéristique de la manière « léchée » de l’artiste et de son projet consciencieux de reconstitution archéologique de l’Antiquité égyptienne, grecque ou romaine qui fit les délices de la période victorienne avant de subir une sévère dévalorisation esthétique en même temps que l’ensemble de l’art académique.
Un peintre à la mode
Né Lourens Alma Tadema à Dronrijp (Frise) en 1836, l’artiste quitta ses Pays-Bas natals pour se former à Anvers. La guerre franco-prussienne de 1870 l’incita à quitter le continent pour s’établir à Londres. Devenu sujet britannique (1873), il acquit une réputation flatteuse et une solide fortune grâce à des tableaux comme Après l’audience. L’œuvre nous transporte au Ier siècle avant J.-C. Fidèle « lieutenant » et gendre de l’empereur Auguste, Marcus Vipsanius Agrippa gravit les escaliers de sa villa après avoir reçu des solliciteurs venus des quatre coins de l’Empire. Les présents offerts par les visiteurs demeurent, jonchant le sol au premier plan. L’œuvre fut peinte avec l’espoir – finalement déçu – d’obtenir le mécénat d’un ingénieur et industriel fortuné de Newcastle, Sir William Armstrong, qui avait, antérieurement, admiré Une audience avec Agrippa (Dick Institute, Kilmarnock East Ayrshire, Écosse). Ce dernier tableau, qui représentait la « séquence » précédente (Agrippa descendant l’escalier à la rencontre de ses solliciteurs), avait fait sensation à Londres lors de son exposition à la Royal Academy en 1876. Après l’audience se contentait d’inverser la composition, ce qu’Armstrong dut trouver un peu trop désinvolte… Le tableau fut néanmoins présenté, avec succès, à la Royal Scottish Academy en 1879.
« Le musée londonien voit aujourd’hui dans cette acquisition l’occasion de ménager une place au Neoclassicism et à l’Aestheticism, ce qui sonne assurément mieux qu’académisme ou pompiérisme. »
Retour en grâce
Il a fallu plus d’un demi-siècle pour que la peinture d’Alma Tadema revienne du mépris dans lequel le culte de la (sainte) modernité l’avait fait choir. Le musée londonien voit aujourd’hui dans cette acquisition l’occasion de ménager une place au Neoclassicism et à l’Aestheticism, ce qui sonne assurément mieux que « académisme » ou « pompiérisme ». Il est aisé de dauber sur le goût de l’antique « pointilleux » d’Alma Tadema actualisé par l’archéologie (on notera l’utilisation de la statue de Augustus Prima Porta, exhumée en 1863, représentation impériale qui inspire aux solliciteurs une révérence quasi religieuse). On se gardera d’oublier que cet art académique, si déprécié, connut une postérité immense dans un art qui était à venir : le cinéma.
1 Négociée par Christie’s, l’acquisition a été faite auprès d’un collectionneur privé. L’achat a été rendu possible grâce aux legs de Mme Martha Doris Bailey, M. Richard Hillman Bailey, Mlle Gillian Cleaver et Mme Sheila Mary Holmes, et avec le soutien du National Gallery Trust, 2024.