Un nouveau regard sur les Diamants de la Couronne
Pour nombre de visiteurs, la galerie d’Apollon constitue l’un des temps forts de leur excursion au musée du Louvre. Et pour cause, elle abrite, outre la splendide collection de gemmes montées réunie par les rois de France, un somptueux trésor : les Diamants de la Couronne. À la faveur de leur présentation renouvelée, inaugurée en 2020, et d’une étude inédite sur des moulages conservés dans les réserves du département des Objets d’art, un nouvel ouvrage publié aux éditions Faton, écrit sous la direction d’Anne Dion-Tenenbaum, conservateur général au musée du Louvre, vient de paraître à leur sujet.
S’il existe une abondante bibliographie relative aux Diamants de la Couronne1, force est de constater que la collection n’avait jamais été publiée dans son ensemble auparavant. Mais que recouvre exactement cette expression « Diamants de la Couronne » ? Son noyau initial est constitué des joyaux réservés au musée du Louvre par la loi d’aliénation du 10 décembre 1886, qui précède la célèbre vente de 1887 : le spinelle Côte de Bretagne, le fameux Régent, le diamant rose Hortensia, le « dragon-perle », la montre du dey d’Alger, l’épée militaire de Charles X, l’insigne de l’ordre de l’Éléphant du Danemark et la broche-reliquaire de l’impératrice Eugénie. Ces pièces historiques ont ensuite été complétées par de nouvelles acquisitions à partir du milieu du XXe siècle. Certaines sortent quelque peu du cadre strict des Diamants de la Couronne car il ne s’agit pas de pièces qui faisaient autrefois partie des joyaux inaliénables, mais plutôt de bijoux ayant appartenu en propre aux souverains ou encore d’équivalents de pierres et de parures portées par les monarques français.
La création des Diamants de la Couronne
Nous devons l’institution des joyaux de la Couronne à François Ier. Le 15 juin 1530, ce dernier décide de rendre inaliénable un ensemble de huit bagues2 en transférant leur propriété à l’État. Ces joyaux se distinguent dès lors des bijoux qui appartiennent en propre au souverain. On utilise bientôt pour les désigner l’expression « joyaux de la Couronne », puis « diamants de la Couronne ». Michèle Bimbenet-Privat et François Farges y voient la « volonté de sanctuariser un trésor dynastique ». Cette décision intervient en effet au moment même où François Ier épouse Éléonore d’Autriche. Elle permet ainsi au monarque de s’assurer que les trésors de France y demeurent quels que soient les aléas de l’existence. On peut se demander si la formation des joyaux de la Couronne ne repose pas également sur une éventuelle motivation financière, le roi de France devant alors faire face à la formidable rançon demandée par Charles Quint suite à la captivité de Pavie. Cela semble pourtant peu probable au regard de la faible valeur pécuniaire des bijoux sélectionnés, dont le prix repose davantage sur leur dimension historique. Plusieurs de ces gemmes viennent en effet du trésor de Bretagne, une décision tout sauf anodine si l’on garde à l’esprit que le duché de Bretagne n’est pas encore fermement rattaché à la France en 1530. Des huit joyaux mentionnés en 1530, seule la Côte de Bretagne est aujourd’hui connue. Comme beaucoup de gemmes de la Couronne, ce très beau spinelle de couleur amarante (107,88 carats) a connu une histoire mouvementée. Mis en gage à plusieurs reprises pendant les guerres de Religion, il est retaillé en forme de dragon par Jacques Guay au XVIIIe siècle – perdant ainsi la moitié de son volume – avant d’être intégré dans le grand insigne de la Toison d’or de Louis XV. Volé en 1792, il réintègre les Diamants de la Couronne à la mort de Louis XVIII, qui avait réussi à le racheter lors de son exil. Affecté au musée du Louvre en raison de sa valeur historique, il échappe à la vente de 1887.
Le règne de Louis XIV
Les trois inventaires rédigés en 1644, 1661 et 1691 permettent de suivre l’évolution des Diamants de la Couronne sous le règne de Louis XIV. On constate ainsi l’accroissement considérable du fonds au fil des années, d’abord en qualité, puis en quantité, grâce à des achats mais aussi à deux legs, celui de la reine mère d’une part (1644) et celui du cardinal Mazarin d’autre part (1661). Ce dernier lègue en effet au souverain 18 diamants (dont le Grand Sancy), qui, avec l’accord du roi, porteront le nom de leur illustre testateur. À cette date, les joyaux de la Couronne sont essentiellement composés de gemmes incolores ou peu colorées, mais ne comptent pas de pierres de couleur franche de belle qualité. Ce manque est sans doute à l’origine des acquisitions menées entre 1669 et 1672. Louis XIV apparaît alors comme un collectionneur avisé, qui cherche d’abord à se procurer de belles pierres, à l’image du diamant de la Maison de Guise. En 1669, il achète le Grand Diamant Bleu3 auprès du diamantaire Jean-Baptiste Tavernier. De même, il acquiert des perles et probablement le diamant rose Hortensia. La constitution d’un fonds important destiné aux Diamants de la Couronne se double de centaines de gemmes (zircons, péridots, opales, améthystes, agates, saphirs jaunes, etc.) destinées à servir de cadeaux diplomatiques. Cette stratégie d’enrichissement témoigne de la volonté du Roi-Soleil de donner l’image d’un souverain hors normes, resplendissant de diamants. Les années 1660 montrent également l’importance de la communauté protestante parmi les fournisseurs de la Couronne, communauté à laquelle on peut rattacher Tavernier et David Bazu. Leur implication dans le marché des pierreries venant d’Inde, alors largement dominé par les Anglais et les Hollandais, leur permet de devenir des interlocuteurs incontournables de la monarchie. Si une partie des pierreries acquises dans les années 1661-1679 a survécu, tout le reste (1679-1691) a en revanche disparu, les éléments ayant été démontés, aliénés ou volés.
Le Régent, un diamant exceptionnel
L’histoire du Régent est pleine de rebondissements. Refusé par Louis XIV qui ne pouvait se l’offrir, il est acheté en 1717 à l’initiative de Philippe d’Orléans qui lui a laissé son titre. Ce diamant facetté de forme coussin rectangulaire pèse plus de 140 carats. Monté à de nombreuses occasions, il a notamment orné la couronne du sacre de Louis XV. Volé en 1792, il est retrouvé l’année suivante et mis en gage à plusieurs reprises. Il sera serti sur la garde de l’épée consulaire de Napoléon Ier, puis sur son glaive, sur les couronnes de Louis XVIII, de Charles X et de Napoléon III et enfin sur le diadème grec de l’impératrice Eugénie, avant d’être attribué au Louvre en 1887.
Les Diamants de la Couronne au XVIIIe siècle
Les sources relatives à l’administration des Diamants de la Couronne sont plus modestes pour le règne de Louis XV. Un inventaire est dressé à la mort du roi en 1774. Les bijoux réservés à la reine représentent une part plus importante qu’au siècle précédent. On observe toujours un goût pour les joyaux colorés. L’aspect multicolore de certaines parures montre qu’il était courant de démonter les pierres pour créer de nouveaux bijoux. Par ailleurs, on ne cherche pas tant une harmonie colorée et une disposition symétrique des pierres qu’une apparence la plus fastueuse possible. En témoigne la couronne du sacre de Louis XV, la plus riche jamais exécutée. Elle compte 282 diamants (dont le Régent sur la fleur de lys centrale, le Sancy et huit Mazarins), 64 pierres de couleur et 230 perles. Les pierres seront desserties après l’événement pour composer d’autres parures et remplacées par des imitations afin de conserver une trace de cette pièce exceptionnelle.
Il existe également des parures monochromes4, à l’image de celles fournies aux Dauphines successives. L’attrait pour les perles et les diamants ne disparaît pas pour autant, comme on le voit sur le portrait de Marie Leszczynska par Jean-Baptiste Van Loo (1727, Genève, musées d’Art et d’Histoire). Par ailleurs, l’inventaire dressé à la mort de la souveraine en 1768 fait mention de nombreux bijoux de sentiment, reflets de son affection pour son entourage. Depuis Colbert, les Diamants de la Couronne dépendent du contrôleur général des Meubles de la Couronne, sous l’autorité du secrétaire d’État chargé de la Maison du Roi. En 1773, leur responsabilité est confiée au garde général des Meubles de la Couronne, sous l’autorité du nouveau commissaire général du Garde-Meuble, Marc-Antoine Thierry de Ville d’Avray. L’année suivante, le Garde-Meuble est transféré sur l’actuelle place de la Concorde et les collections, dont les Diamants de la Couronne, sont régulièrement présentées au public à partir de 1777. C’est également Thierry de Ville d’Avray qui, en 1788, convainc le roi de faire retailler à Anvers nombre de diamants présentant des tailles anciennes passées de mode et fait ensuite réaliser des moulages en plomb des pierres afin de permettre une meilleure gestion de l’ensemble. Cette volonté de classement raisonné est aussi à mettre en relation avec le développement d’un esprit scientifique. Les joyaux de la Couronne seront ainsi étudiés par le physicien Mathurin Jacques Brisson, qui s’intéresse à la densité des matériaux et par les minéralogistes Balthazar Georges Sage et Jean-Baptiste Louis de Romé de L’Isle.
La taille des pierres précieuses
De nombreuses pierres, dont les célèbres Mazarins, sont retaillées au XVIIIe siècle pour obtenir une forme plus à la mode. Leur grosseur s’en trouve dès lors diminuée, mais pas nécessairement leur valeur. En témoigne le Grand Diamant Bleu, dont le prix double presque en 1673 alors qu’il a perdu un tiers de son poids. Ce brillantage permettait de redonner de l’éclat à la pierre, de cacher les traces d’usure (coins écornés, rayures) ou les accidents.
La Révolution et ses conséquences
Suite à l’abolition de la monarchie le 10 août 1792, des scellés sont posés au Garde-Meuble (installé dans l’Hôtel de la Marine), où sont conservés les Diamants de la Couronne, estimés à près de 24 millions de livres. Un cambriolage spectaculaire, qui voit s’envoler 9 000 pierres précieuses et n’est pas encore complètement élucidé aujourd’hui, se déroule alors du 11 au 17 septembre. Seule une partie du butin sera retrouvée et certains joyaux sont définitivement perdus. Conséquence directe du vote de la loi sur la Liste civile en 1791, les Diamants de la Couronne font partie, tout au long du XIXe siècle, et ce malgré les changements de régime, de la dotation mobilière du roi. Leur gestion est proche de celle mise en place sous l’Ancien Régime et la pratique qui consiste à monter une même pierre sur de nombreux bijoux successifs persiste. Les inventaires dressés tout au long du siècle permettent de faire plusieurs constats : si Napoléon augmente la dotation de près de 45 % (notamment en faveur de Marie-Louise) et si Louis XVIII fait entrer dans les collections de la Couronne plusieurs pierres volées en 1792 qu’il avait pu racheter durant son exil, peu d’acquisitions importantes seront en revanche réalisées par Charles X (qui a pourtant eu l’opportunité de racheter le Grand Sancy). Quant à Louis-Philippe, il décide de ne pas utiliser les Diamants de la Couronne, ce qui n’empêche pas les membres de la famille d’Orléans de posséder de riches écrins personnels.
« Suite à l’abolition de la monarchie le 10 août 1792, des scellés sont posés au Garde-Meuble, où sont conservés les Diamants de la Couronne, estimés à près de 24 millions de livres. Un cambriolage spectaculaire, qui voit s’envoler 9 000 pierres précieuses et n’est pas encore complètement élucidé aujourd’hui, se déroule alors du 11 au 17 septembre. »
Les Diamants de la Couronne, une propriété commune de la Nation
Si Napoléon III utilise les Diamants de la Couronne pour son propre usage et celui de l’impératrice, il les considère également comme « une richesse nationale dont le souverain est dépositaire5 » et décide par conséquent de les présenter lors de l’Exposition universelle de 18556. Derrière ce choix se cache également un enjeu politique : il s’agit de rivaliser avec les autres cours européennes – celle de la reine Victoria notamment – et de montrer l’excellence, voire la supériorité de la joaillerie française. Sous la IIIe République, on souhaite se séparer des Diamants de la Couronne, symboles monarchiques par excellence. On décide toutefois d’en conserver certains et de les exposer dans la galerie d’Apollon aux côtés des gemmes de Louis XIV et des regalia. Leur valeur patrimoniale en fait en effet un bien de la Nation et justifie leur présentation muséale. Après de nombreuses discussions et un rapport d’expertise rendu en 1882, une loi d’aliénation paraît finalement le 10 décembre 1886 : les Diamants de la Couronne seront vendus, à l’exception de ceux affectés au musée du Louvre, au Muséum et à l’École des Mines en raison de leur intérêt historique, artistique ou géologique. Cet événement mondain est organisé en neuf vacations du 12 au 23 mai 1887 et rapporte près de 7 millions de francs-or. Quant aux joyaux réservés au Louvre, ils seront présentés dans la galerie d’Apollon à partir de 1889 et s’y trouvent encore aujourd’hui, pour notre plus grand plaisir.
« Sous la IIIe République, on souhaite se séparer des Diamants de la Couronne, symboles monarchiques par excellence. On décide toutefois d’en conserver certains et de les exposer dans la galerie d’Apollon aux côtés des gemmes de Louis XIV et des regalia. »
De mystérieux moulages
Des recherches récentes ont permis à François Farges de faire parler des moulages inédits trouvés dans les réserves du département des Objets d’art. Il s’agit de moulages des Diamants de la Couronne, d’autant plus précieux pour l’histoire de l’art, des sciences et des techniques que certaines de ces pierres historiques ont aujourd’hui disparu7. Les plus anciens, en plomb, ont été réalisés à la demande de Thierry de Ville d’Avray en 1788, tandis que ceux en plâtre datent du Second Empire. Destinés à favoriser une meilleure gestion de la collection, ces moulages ont également permis la réalisation de fac-similés en cristal de roche que Napoléon III aimait montrer et qui seront vendus en 1887. Ils entreront au Louvre en 1891.
Notes
1 On pense avant tout à Histoire des joyaux de la Couronne de France de Germain Bapst (1889) et à Joyaux de la Couronne de France de Bernard Morel (Paris, Albin Michel, 1988).
2 En réalité un carcan, c’est-à-dire un collier près du cou, et sept bagues. Au XVIe siècle, on entend généralement par « bague » un bijou en pendentif se terminant par une perle en forme de poire.
3 On s’accorde aujourd’hui à reconnaître dans le Hope (conservé au Smithsonian Institute de Washington) ce diamant bleu exceptionnel – c’est le plus grand jamais trouvé à ce jour –, dérobé lors du vol des joyaux de la Couronne en 1792.
4 On trouve des exemples de telles parures dès la fin de la Renaissance. Moins à la mode sous les régences de Marie de Médicis et d’Anne d’Autriche, pendant lesquelles les diamants et les perles occupent le devant de la scène, les bijoux associant le diamant et une variété de pierres de couleur font leur retour à la fin du règne de Louis XIV.
5Visites et études de S.A.I. le Prince Napoléon au palais de l’Industrie. Guide pratique et complet à l’Exposition universelle de 1855, Paris, Perrotin, 1855, p. 235 ; cité dans Anne Dion-Tenenbaum (dir.), Les Diamants de la Couronne et joyaux des souverains français, Paris et Dijon, Louvre éditions et Faton, 2023, p. 210.
6 Un principe qui sera repris en 1878 et en 1884.
7 Ces moulages ont par exemple permis de confirmer que le diamant « légère eau aigue-marine » fourni par Nitot et monté sur le diadème de Marie-Louise était bien le second Grand Diamant Bleu de 32,62 carats serti par Jacqmin sur la grande Toison d’or de Louis XV.
À lire :
Sous la direction d’Anne Dion-Tenenbaum, Les Diamants de la Couronne et joyaux des souverains français, coédition musée du Louvre / éditions Faton, 286 p., 49 €. À commander sur www.faton.fr